IVRESSE

nyckie-alause

Rythme de mon cœur, battement de paupières, tremblements de mes doigts au bout de mes mains comme une tentative d'échappée, un dérèglement de ma voix qui frise les aigus que normalement je n'atteins pas. Sauf — pas dans le sens qui n'a pas souffert, indemne — sauf que j'ai bien envie de rire de ma situation. D'ailleurs je ris déjà et c'est dans cette action inattendue que j'atteins ces aigus. 

Inattendue. Et inopportune me fait remarquer Joseph en serrant mon coude un peu trop fort mais moins fort que le rire qui s'échappe de moi. Il tente de m'entrainer vers le jardin. Il espère que personne ne s'est rendu compte de mon état.

Il n'y a rien de honteux, Joseph, je ne fais que rire. 

Je pourrais dis-cou-rire ! Ce serait vraiment drôle ! Je pourrais avouer des trucs et des machins que même pas dans ton état, tu serais capable d'imaginer… Je vois que tu frémis, ton étau se desserre. Tu penches ta tête vers mon oreille pour un secret de plus ? Ce n'est pas la peine. Des secrets quand je n'en ai plus, je les invente. J'imagine ce que tu me caches. J'ai bien vu le regard que tu as lancé à Tomas… Il t'a répondu par un signe entendu ce qui fait que moi, naïve que tu crois, j'ai entendu tout ce qu'il n'a pas dit et je peux le répéter.

Tais-toi ! Arrête ! Tais-toi donc ! 

Maintenant il s'est accroché à mon épaule pour que je le suive. Mais, lui dis-je, ne vois-tu pas que ma coupe est vide ? Je pousse un cri à l'intérieur du verre, il me revient en ricochet chargé d'une odeur légèrement acide, vitaminée.

Etrange écho ? Encore ! remplis ma coupe, encore. Après, je te le promets, j'arrête.

Tu jures ? Okay, assieds-toi là et cesse de rire. 

M'a-t-il poussée un peu durement ? Le contact est vigoureux de mon derrière sur la pierre froide du banc, les mains sur sa surface râpeuse et inégale coupe court à mon hilarité. 

Pour l'instant je reste calme mais dépêche-toi, ça ne durera pas. 

Une nouvelle coupe. Déjà les bulles du breuvage pétillent dans ma gorge. Avant de pouvoir s'attaquer à mon cerveau elles réveillent dans ma bouche des souvenirs inattendus. 

Joseph, tu te souviens de ta première limonade ? Et laisse ce verre d'eau ridicule auquel tu t'accroches comme s'il allait raccommoder ta vie. Réponds à ma question…

Le regard qu'il me lance, ce froncement de sourcils pour me faire croire qu'il réfléchit, il en fait trop, c'est ridicule. 

Tu es ridicule Joseph. Dis simplement que tu as oublié ou que tu ne veux pas te souvenir. 

Le champagne a fait son office et j'éclate d'un nouveau rire, un rire plus intime que le précédent, plus profond, plus grave. Une sorte de sourire avec du son, sans ostentation, amical… Un de ces rires qui quand il m'est destiné me fait fondre. 

C'est le moment où il ose enfin regarder dans mes yeux. 

C'est l'instant de vérité lui dis-je. Je lui montre mon verre que j'ai vidé d'un trait. 

Tu pleures me demande Joseph.

Mais non, pas du tout, ce sont les bulles du champagne qui me piquent les yeux.

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