J'ai l'âge

Yvon Bouëtté

Poème sur les années qui passent

J'ai l'âge !

J'ai l'âge, comme on dit, de mes artères

Pourtant mon âme est toujours primesautière.

J'ai l'âge de mon corps fatigué, par la maladie usé.

Mais mon âme, elle, n'est pas encore tout à fait blasée .

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J'ai pourtant atteint l'âge où je devrais en moi-même être enfin apaisé.

Pourquoi alors ma relative vieillesse est-elle si angoissée ?

Je regarde avec une certaine lucidité les souvenirs de ma vie passée

Existence ordinaire toute en banalités, peines et joies amassées !

Pour quelle raison, alors m'a demandé un jour une amie intriguée

Dans la plupart de tes écrits, tant de tristesse révélée ?

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J'ai pourtant atteint l'âge où je devrais regarder la marche du monde

D'un œil serein. Mais les motifs de colère sur celui-ci abondent.

Des guerres un peu partout où des hommes pour le pouvoir tombent.

Plus de sépultures aux cadavres des vaincus, charniers en place des tombes.

Images ressassées, corps déchiquetés, ici et là-bas, au loin, des hécatombes.

Poussé par les médias et la nouveauté, un jour sur ce carnage le rideau tombe !

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J'ai pourtant atteint l'âge où je devrais avoir oublié du mot révolte, l'existence !

Je rejette en vain, mais de manière véhémente, de l'argent l'omnipotence.

Mon être refuse pour une caste de technocrate le sentiment d'impénitence.

Trônant arrogants et impudiques sur la stèle dorée de leurs incompétences,

Vils et médiocres valets de la haute finance, se refusent à faire pénitence.

Profitez pendant qu'il en est encore temps, du peuple viendra la sentence !

***

J'ai pourtant atteint l'âge où des injustices je pensais avoir tout connu !

J'espérais pour la mesquinerie de ce monde garder en moi cette haine contenue.

Or cette triste époque est celle des paons, piètres artistes ou sportifs parvenus

Qui sans vergogne, sur nos étranges lucarnes, se pavanent sans honte ni retenue !

Alors que l'ouvrier, pauvre et honnête travailleur, habite sa voiture par manque de revenus.

Combien de cas semblables, personnes broyées par la société, nous sont méconnus.

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J'ai pourtant atteint l'âge où je devrais me reposer sur mes maigres deniers.

Tout au long d'une vie de labeur durement amassés et mis au grenier.

Piètre butin, préservé, sauvé d'un ouvrage peu glorieux et souvent routinier,

Quelques temps dans une grande fabrique, la triste et monotone carrière d'usinier.

Restes pitoyables de ripaille et de nuits passées chez de nombreux taverniers.

Être devenu de sa propre existence, le singulier et grotesque braconnier !

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J'ai pourtant atteint l'âge où d'être encore en vie, je devrais m'estimer heureux.

Nombre d'années que mes parents n'ont pas connues, êtres sans aucun doute valeureux.

Nés au début du siècle, contrairement à leurs ancêtres, ils ne furent pas miséreux.

Pour lui, les métiers de la mer en firent de bonne heure un homme vigoureux.

Pour, elle je le sais, fille d'une famille nombreuse le temps de l'enfance fut rigoureux.

Gens simples, taiseux et réservés, d'accolades et autres ils ne furent guère généreux !

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Aujourd'hui je m'autorise à tirer un maigre bilan de ma vie très ordinaire,

Sans attendre le temps qui ne viendra peut-être pas de devenir centenaire !

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Yvon Bouëtté

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