J'ai mal à ma mère

venise3

Du plus loin qu'il m'en souvienne, je ne l'ai pas aimée. Elle, c'est ma mère. Celle qui m'a donné la vie. Quel cadeau empoisonné certains jours que la vie…

J'ai parlé ailleurs de ma grand-mère, celle qui m'a élevée, qui a fait de moi celle que je suis devenue, sans qui sans doute je n'aurais pu enfanter si elle ne m'avait donné l'amour qui fait grandir aussi sûrement que les soupes maison.

Elle, donc… Durant mon enfance, elle est allée d'épisode dépressif en épisode dépressif. Du moins c'est ce qu'on me disait, avec le temps, le recul et mes connaissances, j'en suis venue à la conclusion que le mal était bien plus profond. Je ne sais toujours pas quel nom donner à sa maladie, mais elle atteignait son mental, cela est certain.

Ma grand mère me racontait que lorsque j'étais bébé et que venait l'heure de son retour à la maison après le travail, du temps où elle travaillait encore, je sentais sa présence avant qu'elle n'arrive, comme le font les animaux et leur maître. Je m'agitais avant même qu'elle n'ait tourné la clef dans la serrure. Moi, ce dont je me souviens, c'est de mon recul à son contact, mon recul et mon dégoût de son odeur, d'elle tout court.

Comme le font les enfants, je m'inventais des histoires d'adoption, je me disais qu'il était impossible qu'elle m'ait « fabriquée » . L'image de son accouchement me révulsait.  J'ai déjà parlé de mon père, de son absence, de son manque. Là…

Face à ces deux parents qui n'en étaient pas vraiment, ce sont mes grands parents qui m'ont élevée. Mon grand père a été emporté par le crabe qui a fusillé ses poumons alors que j'avais treize ans. Je me souviens d'être à cette époque là devenue un peu sa garde malade, le promenant comme il m'avait tant promenée quand j'étais enfant, à tout petits pas. Son départ a été la première fois où j'étais confrontée à la mort. J'en ai été dévastée…

Puis la vie a continué, j'ai grandi encore entre elles deux. Depuis longtemps elle ne travaillait plus, en invalidité. Il y a eu des épisodes douloureux, des hospitalisations, des moments délirants, d'autres plus calmes. Et ma grand mère toujours là pour assumer, affronter, endosser. Se demandant quel serait l'avenir, l'organisant, faisant en sorte qu'il n'y ait pas de problème.

A son tour, le crabe s'est attaquée à elle, et ce fut pire encore que le départ de mon grand père, une agonie lente, mais si rapide au fond. Je n'étais pas prête. On ne l'est jamais, prêts, au départ des gens qu'on aime.

Ses derniers mots ont été pour saluer le fait que mon fils aîné ait fait ses premiers pas.

Lucide, elle m'avait dit « tu ne l'aimes pas, ta mère ». C'est bien pour cela que je ne voulais pas de fille, pour moi une fille n'aimait pas sa mère puisque ma mère n'aimait pas la sienne et moi pas la mienne. Elise m'a heureusement réconciliée avec le rapport mère fille, et montré combien je pouvais me tromper.

Au départ de ma grand mère donc, et toute à mon chagrin à surmonter, je n'ai pas « géré » ma mère. Et elle s'est lancée dans des délires comme une ado qu'on aurait lâchée dans la nature, tombant dans les excès de boissons, de dépenses, dilapidant en rien de temps ce que ma grand mère avait laissé pour assurer son avenir.

J'ai à un moment dû reprendre les choses en main, des plaintes venant des voisins pour des problèmes d'hygiène dans son appartement. A un retour de vacances d'été, on a passé des jours et des jours avec mon chéri à débarrasser l'appartement des immondices, la faisant hospitaliser car elle était en crise. Puis j'ai assumé sa curatelle, mais j'ai craqué, je ne pouvais plus, les enfants étaient petits, je travaillais, c'était trop lourd et on ne peut être le parent de son parent. Elle n'est pas méchante, loin de là, jamais méchante mais si difficile et obstinée dans ses conneries…

J'ai donc lâché, et confié avec l'accord du juge des tutelles la tutelle à un professionnel. Auparavant j'avais mis en place tout un système pour qu'elle puisse demeurer chez elle, avec livraison de repas par le centre d'action sociale, une aide ménagère venait à domicile faire l'entretien de l'appartement, etc…

Jamais aucun médecin n'a tenté de vraiment la soigner, ils se sont contentés de l'abrutir de médicaments à dose massive, de la « contrôler » comme ça, avec des psychotropes.

Quel gâchis, sa vie à elle, et notre relation à toutes les deux. 
Toute ma vie, j'ai eu honte d'être sa fille, honte qu'on puisse le savoir, me relier à elle, me trouver une ressemblance avec elle, honte de l'avoir abandonnée, de ne pas l'aimer, de ne pas m'en occuper, de continuer à vivre, à aimer, à avoir une famille, à avoir construit une vie, à avoir la tribu. Honte… tout le temps.

Cela a duré quelques années ainsi, son tuteur a pris sa retraite, la tutelle a été reprise par une association. Et là ça a été de mal en pis, ils ont fait ce qu'ils ont pu mais pas plus. 
Une espèce de type s'est installée chez elle, soi disant amoureux, soi disant ils devaient se marier. Après qu'elle ait du être placée en maison de retraite car elle devenait dangereuse pour elle et pour les autres (errant sur la voie publique, sur la route, se plantant devant les voitures ou les bus pour mendier des cigarettes), il a continué d'habiter là (là où la photo a été prise, celle pour mes deux ans). C'est la maison de mon enfance, celle où j'ai grandi, mais qui n'est plus rien finalement sans les âmes de mes grands parents.

Il y a vécu , comme on squatte, dévastant tout ou terminant ce qu'elle avait commencé.

Après des batailles juridiques, nous venons de parvenir à faire changer la tutelle, et à ce que je puisse intervenir pour défendre ses intérêts. Et cette semaine donc j'avais rendez vous sur place pour prendre les clés afin de faire faire les travaux de remise en état et tenter de louer l'appartement. Car pour le moment sa maison de retraite est financée par l'aide sociale et la pension que je verse chaque mois.

Et là c'était comme une plongée en enfer, un maelstrom de souvenirs m'a envahie. Le choc de découvrir dans quel état tout est resté. On dirait qu'un troupeau de squatters a vécu là, tout est sale, abimé à un point inimaginable Ce qui était l'appartement dont ma grand mère prenait tant de soin, chaque bibelot dépoussiéré, est devenu un taudis…

Il y a de la nourriture avariée qui traine, des papiers, une couche de crasse et de poussière partout, des toiles d'araignée, des vitres cassées… c'est indescriptible et j'en pleure encore….

Donc ces congés n'en sont pas vraiment, pas mal de journées vont être consacrées à du tri, afin de séparer ce qui doit être conservé et faire débarrasser le reste et nettoyer ensuite.


Puis viendra le temps des travaux.

La dernière maison de retraite où elle était n'a plus voulu d'elle car elle causait des troubles, paraît il. Elle a été hospitalisée chez les fous, puis à son retour ils ont refusé de la reprendre et elle a été mise dans une autre maison de retraite qui a l'air mieux.

Et où elle a été envoyée quasiment sans vêtement.

Alors j'ai récupéré dans son armoire des vêtements, je les ai lavés, repassés et je vais les lui emmener car nous sommes convoqués pour une réunion à son sujet cette semaine. Et ce sera la première fois que je la verrai depuis des années et des années…. La dernière fois qu'elle m'a vue, elle était venue sonner ici, m'a dit qu'elle cherchait « …. «  donnant mon nom mais ne me reconnaissant pas. Elle n'a pas dit à la maison de retraite qu'elle avait une fille alors que j'étais son obsession… Peut être qu'elle a oublié que j'existe… Peut être est ce pour cela que j'ai si peur que l'on m'oublie…

Tant de questions, si peu de réponses.

Voilà il fallait que ça sorte, c'est brut comme récit, c'est imparfait, c'est incomplet, mais il fallait que ça sorte. Parce que je suis ça aussi… une file qui abandonne sa mère, qui ne remplit pas ses devoirs filiaux. Je n'ai pas d'excuse, elle ne m'a pas maltraitée, elle m'a juste étouffé de son amour, tout le temps. M'enfermant dans sa peur qu'il m'arrive quelque chose, m'empechant de vivre une enfance et une adolescence normale . De telle façon que j'ai fui dès que je l'ai pu, dès que j'ai travaillé et eu quelques sous de côtés.

Voilà, je suis aussi celle là….

J'ai peur de la revoir, peur de ce rendez vous à venir, peur de retourner encore dans cette maison où les souvenirs sont ravivés par le moindre objet….

J'avais jeté un voile sur tout cela mais le passé rattrape toujours.

Vous pouvez me juger, vous ne le ferez jamais aussi durement que je le fais moi-même.

 

  • un texte très lucide et émouvant. Profondément triste même si on exclue l'amour des grands-parents.
    Ce qui est incroyable c'est qu'en lisant ton texte j'ai eu en mémoire trois histoires différentes d'amis mais aucune ne m'étant familiale(ne concernant ma propre famille) j'ai pas eu de grands parents, mais j'ai eu une mère super aimante et peut-être trop protectrice, ce qui me "condamnée" à n'avoir aucune énergie qui vienne de moi même, ayant toujours tout reçu des autres. je souhaite vraiment que cette rencontre ne soit pas trop pénible pour toi. Mais pourquoi ne pas y aller avec ton compagnon? Tu n'es pas seule dans ta vie, alors pourquoi l'assumer "seule"?
    en tout cas ton talent d'écriture est toujours bien là.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

    • Merci Elisabetha, je n'étais pas seule à assumer la rencontre pas plus que je ne le suis pour le reste (appartement)... cela m'aide et me donne la force. Merci à bientôt

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Img 6678

      venise3

    • c'est bien alors.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Bbjeune021redimensionne

      elisabetha

  • Ecrire te libérera, peut être. Ne sois pas trop dure avec toi même, ce que tu vis à l'air compliqué et douloureux. En tout cas moi je ne te juge pas. tu as l'air d'être quelqu'un de bien, en fait j'en suis certaine.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Gif hopper

    Marion B

    • Merci Marion, en effet écrire fait du bien. et ces moments sont effectivement compliqués. Merci pour tes mots :)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Img 6678

      venise3

  • Qui peut se permettre de te juger et de quel droit d'ailleurs ??? Tu n'es pas responsable de la maladie de ta mère , elle était et est toujours malade, bien sûr que ces souffrances sont difficiles à porter, puisque l'enfance c'est le socle, tu as eu des grands-parents aimant, tu as construis ta propre vie. Comme le dit l'adage " les conseilleurs ne sont pas les payeurs", tu as le droit d'avoir ton propre jugement et surtout donne toi le droit de penser et d'exprimer tes souffrances, tes angoisses, sache une chose c'est que tu n'es en rien responsable de cela, l'écriture est un bel exutoire, et une fois tous ces problèmes réglés, vis pour toi et les tiens,plus facile à dire qu'à faire, certes, bon courage

    · Il y a plus de 10 ans ·
    W

    marielesmots

    • merci Marie. Je suis sans doute sur la bonne voie, je l'espère. Et oui, j'avais besoin d'écrire tout ceci...

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Img 6678

      venise3

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