J’aimerais parler à une personne…

 J'aimerais parler à une personne. Cette personne c'est vous. Enfin… une partie de vous en réalité. Pas celle qui regarde les infos en hochant la tête comme « lobotomisée », non. Pas celle, non plus, qui assimile ses trois cent messages de publicité toute la journée sans même s'en rendre compte, que ce soit dans le métro, sur un camion, sur son mobile ou son P.C.. Non, celle-là ne m'intéresse pas. Encore moins celle qui, en compagnie de beaucoup d'autres, regarde passivement la jeune fille se faire violer dans un bus ou un train en détournant le regard comme si cela ne la concernait pas. Elle je la condamne. Celle qui croit facilement aux promesses, dans l'espoir d'un avenir meilleur, elle… ben, elle non plus ne m'intéresse pas. Pas plus que celle qui demande à une divinité quelconque d'accomplir les choses à sa place parce qu'elle n'aurait pas compris le message des textes originaux. Je ne veux même pas en entendre parler. De celle qui vous a côtoyé pendant dix ans et qui, parce que vos chemins ont pris des directions différentes, ne vous salue plus dans la rue, non plus.

     Ce n'est pas au mouton que je veux parler, d'ailleurs un mouton, ça bêle, c'est inintéressant.

Non, moi je veux parler à l'autre « vous », le vrai. Celui qui ne garde pas son "NON!" au bord des lèvres, mais qui le dit tout haut tout fort. Celui qui sait éteindre la télévision quand la publicité arrive, et qui saurait, en ouvrant les yeux, décrypter les messages cachés dans ces campagnes. Celui qui m'intéresse c'est celui qui ose ramasser la vieille dame dans la rue, parce qu'elle a trébuché sur le trottoir. Qui porte ses courses si elle peine…

     Celui que je veux c'est celui qui ne rit pas d'un malade mental ou physique parce que son visage et sa logique sont différents. L'interlocuteur que je cherche, est celui qui en plus de savoir que les politiques nous mentent, sait pourquoi et à quelles fins. Je veux parler à l'homme ou la femme qui, dans une salle d'attente vide ou bondée, osera m'adresser la parole sans peur, juste pour tuer le temps. Cette personne qui est choquée devant l'aberration, et qui le dit de vive voix, sans peur d'être jugée. Je veux parler à la personne en vous qui a de l'empathie pour les autres, qui réfléchit à ses actes et à ce qui est juste. Celui que je veux c'est celui qui connaît les lois des politiques, mais qui respecte avant tout les lois du bon sens, de l'amour propre et du devoir moral.

     La personne à qui je veux parler, c'est celle qui se demande si les hommes ont bien marché sur la Lune en 1969, ou bien si c'est un montage pour tricher contre les Russes dans la course à l'espace et à l'armement. J'aimerais discuter à cette partie de vous qui se demande qui nous sommes. Qui se questionne sur l'infiniment grand et l'infiniment petit. Sur la vie dans l'espace et dans les profondeurs de l'océan. Cette personne sait suivre une discussion sur les extraterrestres à Roswell et se demanderait si les avions détournés par Ben Laden étaient un acte terroriste ou une affaire de gros sous, de trahison.

     Celui-là poserait ces questions à voix haute, sans avoir peur d'être jugé. D'ailleurs, lui sait que s'il est jugé, c'est qu'il sort du troupeau. La partie de vous qui m'intéresse est celle qui ne jette pas de papier sur le sol, celui qui met son clignotant lorsqu'il conduit et celui qui, tout simplement, sourit sincèrement lorsqu'il vous serre la main. C'est la partie de vous qui sait que notre société est gouvernée par l'argent, d'abord, et le sexe, ensuite.

En d'autres termes plus simples, je veux parler à la partie de vous qui lève le poing, qui est lucide. Celle qui malheureusement est tous les jours tabassée par l'autre, trop souvent réduite au silence.

    J'ai conscience que je ne pourrais parler à cette partie que si le combat qui est en vous tourne en sa faveur. J'ai aussi conscience que peu pourront y parvenir, car trop bornés, pas assez humbles.

C'est dommage, me dis-je parfois, car c'est cette partie qui pourrait faire la différence.

A. W. DARQUEST