J’aurais voulu naître français

roberto-lapia

 

J’aurais voulu naître français, parce que les herbes sont si folles et les grains si beaux.

J’aurais voulu naître français, pour ne pas me noyer dans les trames serrées de la bureaucratie, ne pas devoir m’expliquer autant de malheur. Pour râler, tout le temps. 

J’aurais voulu naître français, pour aller chez le psy. (En réalité je suis allé chez le psy parce que j’aurais voulu naître français).

J’aurais voulu naître français, pour avoir une possibilité. Pour avoir plus de possibilités.

J’aurais voulu naître français, pour ne pas avoir l’impression d’être ridicule à chaque fois que j’essaie de prononcer correctement un erre. Pour ne pas ouvrir à fond les voyelles. 

J’aurais voulu naître français, pour les nasales. J’aurais voulu naître français, ça suffit avec les diphtongues !

J’aurais voulu naître français, pour faire la distinction entre eu et au, au-dessus et en-dessous, chevaux et cheveux. Gens, jaune, jeune et jêune. Etcetera etcetera.   

J’aurais voulu naître français, ne pas avoir un « petit accent », j’aurais voulu naître français, ne pas avoir un « sacré accent ».

J’aurais voulu naître français, ne pas entendre – à chaque fois que j’ouvre la bouche – « Oh, il est trop mignon ! ».

J’aurais voulu naître français, A: « Bonjour », B: « Bonsoir ». A: « Bonsoir », B: « Bonjour ».

J’aurais voulu naître français, on n’est quand même pas des racistes !

J’aurais voulu naître français, pour me compliquer la vie.

J’aurais voulu naître français, parce que j’aurais su dès le début qu’il ne faut pas tartiner le foie gras. Jamais ! J’aurais voulu naître français, pour pouvoir me marier avec tous. 

J’aurais voulu naître français, parce que le coupable est celui qui se prend un coup de tête, pas celui qui le donne.

J’aurais voulu naître français, quel stress !

J’aurais voulu naître français, ne pas faire exprès d’arriver en retard aux rendez-vous. J’aurais voulu naître français, pour ne pas détester les rendez-vous.

J’aurais voulu naître français. Non, Berlusconi et Sarkozy ce n’est pas du tout la même chose. Faîtes-moi confiance.

J’aurais voulu naître français, pour être moins exotique. J’aurais voulu naître français, j’en ai marre d’être un stéréotype vivant.

J’aurais voulu naître français, pour ne pas être « comme les corses ».

J’aurais voulu naître français, qu’est-ce que ça veut dire tous ces putains d’acronymes ?

J’aurais voulu naître français, pour faire « pfff» avec la bouche. Avec nonchalance.

J’aurais voulu naître français, pour pouvoir détester Paris au lieu de l’aimer passionnément, chaque jour un peu plus. J’aurais voulu naître français, j’aurais peut-être eu envie d’habiter à la campagne.

J’aurais voulu naître français, pour écrire comme Céline et fumer comme Houellebecq. J’aurais voulu naître français, pour être Blaise Cendrars.

J’aurais voulu naître français, je préfère Brassens.

J’aurais voulu naître français, jouer avec les mots. J’aurais voulu naître français, Il pleut des cordes / L’eau s’est pendue.

J’aurais voulu naître français, « Vous êtes italien? J’ai été à Rome, Venise, Florence…  ». Ça suffit !

J’aurais voulu naître français, manger des pâtes Panzani trop cuites avec un brin de beurre salé et du  gruyère râpé, sans avoir envie de vomir à chaque bouchée.

J’aurais voulu naître français, ignorer la violence quotidienne infligée aux pizzas. J’aurais voulu naître français, parce que même si la mozza n’est pas une vrai mozza… C’est pas grave !

J’aurais voulu naître français, les vacances à la Colonie. Autre chose que les colonies de vacances…

J’aurais voulu naître français, pour ne pas avoir besoin du bidet. J’aurais voulu naître français, je ne supporte pas les puristes de l’hygiène…

J’aurais voulu naître français, la grand-mère de ma copine aurait sans doute apprécié le geste.

J’aurais voulu naître français, que Dieu me laisse tranquille une fois pour toutes !

J’aurais voulu naître français.

Pour avoir une envie folle de naître italien.

Signaler ce texte