Je dors nue

veroniquethery

chapitre 1

  Je dors nue. C'est une habitude de longue date. Je déteste les pyjamas informes autant que je raffole de la lingerie coquine. Dentelle, satin, soie. Mais, à quoi bon ces fanfreluches si aucun homme ne peut en profiter ? Je ne sors mes trésors qu'en présence d'un amant. Le reste du temps, je préfère n'être entravée par aucun tissu, aussi précieux soit-il. J'aime sentir les draps sur mon corps. J'apprécie me faire pénétrer par la chaleur des couvertures et, plus encore, m'éveiller quelques instants, glacée par le froid de la chambre, lorsque les couettes protectrices ont glissé du lit. Quel plaisir alors de lutter contre les frissons pour finalement apprécier à sa juste valeur la chaleur bienfaisante de la courtepointe. C'est une façon de me rappeler ce qui arrive, quand, le confort bourgeois perdu, on doit affronter les affres de l'hiver.

  Je n'aurais pas dû dormir nue. Car, alors je n'aurais pas vécu des aventures aussi invraisemblables. Mais, comment aurais-je pu imaginer que moi, femme de 30 ans en parfaite santé, j'allais soudainement faire une crise cardiaque ? Apparemment, j'ai dû pousser un râle des plus sonores, puisque je vois les lampes de la chambre voisine, puis celle du couloir s'allumer. J'entends aussi la voix affolée de ma mère. Que se serait-il passé, si elle n'avait pas, la veille, décidé de dormir dans ma maison, trop fatiguée pour prendre la route ? Sans doute serais-je morte. Mais, le destin a veillé sur moi. La porte s'est ouverte et là, tout est allé très vite. Les cris d'angoisse, la voix affolée pour appeler les secours, les infirmiers et les pompiers, un médecin. Tous sont penchés vers moi et pourtant, ce n'est pas à ce moment-là que j'ai regretté de dormir nue. Parce que ces instants s'écoulent tellement vite que… Pour vous faire comprendre, c'est comme un film en accéléré. Mais, en grande vitesse. Celle où on aperçoit à peine les silhouettes. Le temps de vous l'expliquer et voilà que je me retrouve seule dans ma chambre. Seule et nue.

  Mon corps physique a été emmené. Apparemment, je ne suis pas morte. J'ai entendu mon cœur battre. La pulsation est faible, mais constante. Le médecin a rassuré ma mère en pleurs. Je suis dans le coma ; mais, c'est mieux. Ainsi, je pourrais récupérer plus rapidement mes forces. Je vais m'en remettre ! En attendant, ce sont des vêtements que j'aimerais pouvoir mettre ! C'est étrange. Rien de ce qui m'est arrivé ne m'a inquiétée, comme si ce n'était pas réellement moi cette personne inconsciente sur le lit. Ma seule crainte, c'est d'être nue ! Tous les récits sur la vie après la mort me reviennent en mémoire. Dans un instant, les membres décédés de ma famille, voire certains amis, vont débarquer et, que le diable m'emporte, je ne veux pas qu'ils me voient à poil !

   Alors, je tente de saisir le pantalon et le pull qui traînent sur la courtepointe. Ce sont mes vêtements de fantôme, comme je les appelle. Ils sont informes et je ne les enfile qu'une fois la porte d'entrée verrouillée, quand je suis certaine qu'aucun visiteur ne viendra m'importuner. Là, je m'en contenterais ! Sauf qu'il m'est impossible de les soulever ! Soudain, je me souviens de ce film si romantique dans lequel un jeune premier se fait assassiner par son meilleur ami. Il lui faut des plombes pour parvenir à soulever une cannette de bière et je crois même qu'il se fait assister par un autre macchabée. Comme si, une fois clamsé, on aurait envie de jouer au football ! Soudain, je me ressaisis ! Mais, je ne suis pas morte ! C'est sans doute la raison pour laquelle je suis aussi empotée ! Et, avec un peu de chance, aucun revenant, qu'on soit lié par le sang ou pas, ne va faire irruption ici pour me découvrir dans le plus simple appareil.

   Soulagée ! Je suis soulagée ! Et, je me surprends à danser devant le grand miroir ovale qui jouxte mon lit. Certains de mes amants ont été forts gênés, mais la plupart ont apprécié et… Mais, je me vois ! Je suis exactement comme hier soir, avant de me coucher. Même pas plus pâle ! Franchement, si je n'avais pas vu les secours m'emmener, je n'aurais jamais cru ! Et… Je sais ! Je suis en train de rêver ! Évidemment, comment n'y ai-je pas pensé avant ? Quoique, quand on dort, on n'est pas toujours très logique ! Le pire qui me soit arrivé, en songes j'entends, c'est de me retrouver au milieu du périphérique parisien -j'y allais pour rejoindre mon amant marié qui avait eu la bonne idée de réserver une chambre d'hôtel avec un immense lit à baldaquin – en voiture. Sauf que je n'avais pas de voiture. J'étais assise, tenant un volant et appuyant sur des pédales qui n'existaient pas. Et, personne ne semblait s'en rendre compte, car les andouilles derrière klaxonnaient pour que j'accélère. Je m'étais réveillée en sueur. Aussi soulagée que je le suis maintenant.

   Sauf qu'au moment où je pose mes fesses sur le lit afin d'attendre mon réveil, je vois des ombres entrer doucement. Pas par la porte entrouverte ! Mais, par le mur. Je n'en reviens pas ! C'est tellement cliché ! J'en suis déçue. Pour quelqu'un qui, dans la vie, enfin la vraie, se félicite d'écrire des nouvelles fantastiques, voilà que même mes rêves sont bourrés de banalités. Je me lève et vais tâtonner le mur. C'est amusant, j'ai gardé le sens du toucher. Mais, aucune porte secrète... Quant aux trois intrus, ils font comme s'ils ne me voyaient pas ! J'en suis bien satisfaite ! Je n'ai pas envie que des inconnus me reluquent ! S'ils ne me voient pas, en revanche, ils n'arrêtent pas de parler. Mais, sans ouvrir la bouche. Ceux-là pourraient faire une sacrée carrière de ventriloques dans un cirque ! Sauf qu'ils parlent tellement vite que je ne surprends que quelques bribes.

Elle n'est pas morte. Coma. Devrait être là ! Sont-ils déjà venus la chercher ?

   Bon sang ! Ils ont l'air sacrément inquiet ! Qui donc devait venir me prendre ? Ils prennent ma chambre pour un hall de gare ou quoi ?

Pas leur odeur. Pas encore venus. Son attaque n'était pas prévue.

   Ça merci, je le sais ! J'étais en parfaite santé. Même mon médecin me félicitait d'avoir un cœur de sportive. Quoi ?????????? Qu'est-ce qu'il vient de dire celui-là avec son long pif ? On l'a programmée pour être certains d'arriver les premiers. Ils ont fait quoi ? Programmée ? Qu'est-ce qu'ils veulent dire ? Ce sont eux, ces engastrimythes de cirque de banlieue qui sont responsables de mon attaque cardiaque ? Attention, parce que là, je vais m'énerver ! D'abord, c'est mon rêve ! Et, je le trouve pourri ! C'est vrai quoi ? Déjà j'aurais dû me méfier à l'arrivée des pompiers : pas un pour rattraper l'autre. Gros, vieux, chauves ! Ils sont où les mecs sexys du calendrier ? Et, ensuite, quand un rêve tourne mal, d'habitude, je me réveille ! Et là, je suis obligée de supporter les flots de logorrhée ineptes qui me rappellent mes journées de formation, quand j'étais stagiaire en sociologie. Je vais leur en claquer une, tiens, ça me fera du bien ! Et, clac !

   Je n'en reviens pas ! Le gros nez a pris une teinte rubiconde. On dirait celui de ma marraine, quand elle a fini sa bouteille de rouge. Quoique non ! Le sien est plus énorme. Pas pour rien qu'on la surnomme Cyrano. Quant à ma victime, elle regarde en tous sens avec un air affolé.

   Elle est là ! Elle est là et on ne la voit pas ! C'est marrant, ça ! Cela devrait me réjouir ! Être invisible est le rêve absolu ! Vous imaginez ? Pouvoir tricher aux examens. Entrer dans n'importe quelle banque pour piquer dans les caisses. Mettre une claque à la copine de votre ex ! Les possibilités sont aussi infinies que les dosettes de café de Georges ! Pourtant, je n'éprouve qu'une indicible horreur. D'abord, parce que je sais, sans l'ombre d'un doute, que je ne suis pas en train de rêver, que tout ceci est la réalité. Ensuite, parce que, non seulement, je suis dans une sorte de monde parallèle des non-vivants ; mais, en plus, j'y suis seule. Désespérément seule. Même si ça me gênait beaucoup que l'on me voit en tenue d'Eve, l'idée que PERSONNE ne puisse me voir du tout me glace totalement. Alors, je me mets à crier après les trois visiteurs du soir. Mais, ils ne m'entendent pas, ne me voient pas davantage. Et soudain, je les vois disparaître dans le mur.

   Soudain, je comprends. S'ils ne me voient pas, c'est pour une seule et unique raison. C'est parce que je suis nue. Désespérément nue…


à suivre...

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