Je pars à Pattaya

Thomas Delavergne

Libre. J’ai enfin trouvé le courage pour mettre mes paroles en actes. Concrétisation pas simple, surtout lorsques tu émarges à 45 000 euros net par an. Ce qui est certain, c’est que j’ai osé passer à la DRH de ma boîte spécialisée dans l’audit financier. Désolé, mais je n’ai aucune envie de m’étendre sur mon passé. Ras-le-bol des considérations de bien-pensant. Place à l’avenir. Place à la luxure, à la joie de vivre, à la débauche. Enfin, par débauche, j’entends respecter la loi. Hédonisme, me voilà !

« Je pars à Pattaya dans dix jours pour une durée indéterminée. Qui me suis ? », ai-je lancé hier sur les réseaux sociaux. Si l’annonce a suscité de vives réactions, personne ne m’accompagnera. Ironiquement, ma sœur cadette fait remarquer que mon voyage accouchera d’un mauvais remake de Plateforme, livre de Houellbecq bien placé dans ma bibliothèque.

Le tourisme sexuel colle à la peau de la Thaïlande comme la brosse à reluire caractérise Michel Drucker. Une amie expatriée m’a raconté avoir vu, dans certains bars, des prostituées explusées de leur vagin une balle de ping-pong contre un dollar. Cette pratique nauséabonde ne doit pas me priver de vivre dans ce pays à l’histoire ancestrale magnifique. Si des pervers européens passent du bon temps à moindre coût, je n’y peux rien.

Pour oublier le cliché véhiculé par ma sœur, je décide d’aller sur le web afin d’en savoir plus sur ma future ville. Le premier blog ne me rassure point. Son auteur explique que Pattaya est surnommée « la ville du vice ». Il faut aller page 4 du moteur de recherche pour dénicher les merveilles culinaires de ce paradis asiatique.

A 33 ans - non pas que le Christ m’habite - il est temps que je supporte autre chose que ma croix. Depuis l’enfance et la lecture de Robinson Crusoé, m’installer près d’un océan chaud tourne à l’obsession. Célibataire, fils dont les parents vantent la position sociale, appartement dans un beau quartier de Nantes, etc., il y a urgence à quitter ma routine pour combattre mon anxiété. Un imposant sac à dos avec le minimum vital - exception faite de l’appareil photo et du PC portable - suffira à mon bonheur. Une petite case à proximité d’une plage isolée m’éloignera de ma condition d’occidental privilégié.

Ma mère, qui a toujours placé de grands espoirs en son aîné, ne comprend pas le besoin impérieux de s’installer aussi loin. Précarité, isolement, « entouré de ces gens aux mœurs peu catholiques, comment vas-tu t’épanouir ? », ne cesse-t-elle de s’interroger.

Au plus profond de son for intérieur, c’est la religion qui l’ennuie le plus. Croyante et pratiquante, ma mère ressemble à une bonne caricature de ménagère de moins (plus, en réalité) de 50 ans. Epouse dévouée qui a stoppé ces études en licence pour me donner la vie, cette centriste dans l’âme ne regrette rien. Mon père lui apporte le confort matériel dans lequel elle s’épanouit. Si les sentiments persistent, la vie sexuelle de mes parents se situe à des années lumières de la débauche de Pattaya. Aucun doute à ce sujet.

Alors, imaginez-la après la diffusion sur M6 d’un Zone Interdite sur des quinquas allemands en rut, adeptes de jeunes hommes. « Tu veux aller vivre entouré de ces porcs ? », s’était-elle emportée au téléphone à la fin du reportage. Argumenter que l’immense majorité des Thaïs pratiquent le bouddhisme Theravada n’a pas réussi à la convaincre.

In fine, celui qui a de plus en plus de mal à se convaincre que Pattaya constitue l’eldorado, c’est moi. Pourquoi cette boule dans l’estomac ne s’estompe-t-elle pas ? Dans neuf jours, ma vie de petit-bourgeois nantais DJ à ses heures perdues ne sera plus qu’un souvenir. L’inconnu, l’ouverture spirituelle, le soleil continu, les vacancières avide d’exotisme… La palette d'opportunités laisse augurer une existence à faire pâlir plus d’un jeune actif. Allez savoir pourquoi, la peur de l’inconnu n’a pas fini d’entretenir mes craintes.

A trois jours du départ, mon premier Amour a repris contact. Dix ans après la rupture, notre Amour a subsisté. Je l’ai toujours su. Malgré nos deux tête-à-tête d’hier et lundi, sans oublier une partie de sexe mémorable, mon départ demeure plus que jamais d’actualité. Rue de l'Échappée, Nadia m’appelle. Un sourire orne mon visage au moment de décrocher. Dans mes pensées, j’oublie de regarder avant de traverser la voie. « A moins de me suivre, n’insiste pas, je pars à… ». Un choc violent s’ensuit. Le bus lancé à vive allure ne me permettra pas de finir ma phrase.

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