Je suis né au dehors

jhona

Je suis né au dehors. Une menotte au poignet, avec une chaîne, et à son extrémité une cage d’oiseau. Une cage d’oiseau vide, en ferraille. Il y avait tout dedans. Un perchoir, une réserve d’eau, un distributeur de graines et une litière.  Tout pour être heureux.  
Je me suis promené comme ça pendant un moment, ne sachant où aller.  

Vu que la porte était grande ouverte, Il y avait régulièrement quelqu’un dans la cage. Ils étaient même parfois plusieurs. Je ne sais plus vers quel âge, mais le ménage fut fait, la porte de la cage se referma et un cadenas en verrouilla l’accès.  Dès lors quelques personnes disposaient de la clé et choisissaient des locataires habilités à y résider.
Ils ou elles n’étaient pas toujours à mon goût, mais je faisais avec.

Je suivis ma cage pendant un temps qui me parut une éternité.
Elle me guidait malgré moi au gré des humeurs de ses occupants, jusqu’au jour...

Jusqu’au jour où,  dans un parc, je croisai une jeune femme. Armée d’une pierre elle tentait désespérément de briser le cadenas de sa cage.  Elle avait de fines mains blanches, un cou onctueux et des yeux en amandes légèrement en retrait dans leurs orbites. Son acharnement n’ôtait rien à son charme, mais la solidité du métal eut raison de sa délicatesse. Elle hurla d’impuissance, avant de jeter la pierre au loin et de s’effondrer.

Je m’assis à côté d’elle, tentant de compatir du mieux que je pouvais, alors que de nos deux cages respectives on percevait des commentaires désapprobateurs et des ricanements satisfaits.  Elle prit une respiration, nos regards se croisèrent et trouvèrent tout seul leur chemin. Un étroit sentier gris pen, silencieux et impérial qui n’autorisait aucun raccourci. Luttant contre notre abandon, nos cages essayèrent à nouveau de nous détourner, de tisser des lignes barbelées sur l’horizon.  Leurs occupants coordonnaient leurs efforts pour nous faire entendre raison. Mais nous restions sourds. Sourds et silencieux.  C’est là qu’elle prit mon poignet avec ses doigts de bambous, ornés à ses extrémités de jolis ongles fuselés. Elle ouvrit le mécanisme cranté de ma menotte et d’un geste précis me libéra.  Je me dis que durant toute ces années, je n’avais été obnubilé que par la cage et ses occupants. Que  jamais l’idée ne m’était venue de me défaire de ce lien.  Je lui souris avec gratitude et saisis à mon tour son poignet avec une assurance qui m’était étrangère. J’allais pour lui ôter sa menotte... Elle me fit comprendre avec appréhension que c’était à elle de le faire.  Face à cette échéance si longtemps espérée, elle était prise d’un soudain vertige. Elle se délivra et m’attrapa aussitôt la main qu’elle étreignit en mélangeant nos odeurs.

Depuis nous sommes revenus souvent dans ce parc. Main dans la main.

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