Un homme du sud

Jean Baptiste Ferrero

Un homme du Sud

Mon pays c’est le Sud.

Mon pays c’est le soleil, c’est la chaude odeur des pierres et des murs chauffés à blanc, la douce fraîcheur des ruelles ombragées.

Je suis né à Oran, en Algérie, quelques jours après l’indépendance de ce merveilleux pays, dans une famille « pied-noir »  espagnole qui vivait là depuis plus de cent ans.

Mon père faisait partie de ces rêveurs qui avaient imaginé qu’Algériens et Européens pouvaient vivre ensemble et co-construire une république indépendante, pacifique et prospère. Quel beau rêve c’était ! Une Californie truculente et colorée où l’on mangerait de olives en regardant la mer.

J’en ai gardé un goût marqué pour les idéalistes et leurs causes perdues d’avance ainsi qu’une sympathie permanente et définitive pour les couillons de l’histoire, les rues du Sud, l’anisette, la musique arabe et la GIM (Grande Internationale des Métèques) à laquelle je ne suis pas peu fier d’appartenir.

Le premier souvenir que j’ai de la France, c’est ma mère, debout face à la fenêtre de la cuisine et pleurant comme une Madeleine en regardant tombant la neige du glacial hiver 64. Elle qui avait toujours vécu en été, un long été insouciant,  vivrait désormais en hiver, elle le savait et elle pleurait.

Inconsolable.

Inconsolée.

Grandi dans un climat d’exil et d’étrangeté, je suis un intrus, un resquilleur de la vie. Nulle part chez moi, je me sens à l’aise partout et ma curiosité m’a conduit naturellement à essayer de comprendre ce qui motive et anime les relations entre les êtres.

Un peu de philo, un peu de psycho et des années stuporeuses passées à user les bancs de l’Université et je ne comprenais toujours rien.

Des amours ratées. Ratées encore puis ratées mieux. Des amours réussies. Des amours indéfinissables et mêmes des amours oubliables et je ne comprenais toujours rien.

Du travail, du boulot, du labeur. Journaliste, communicateur, consultant, coach. Que des grands mots qui ne veulent pas dire grand chose et je ne comprenais toujours rien.

Et puis l’écriture.  D’abord simple prolongement des histoires que j’inventais à mes petits soldats, puis jeu virtuose destiné à épater filles et copains, jusqu’à devenir cette évidence laborieuse, ce carcan adoré, cette maladie dont on ne veut guérir.

Et bien sûr je ne comprendrai jamais rien, car bien sûr il n’y a rien à comprendre.

Il n’y a que des êtres singuliers à observer, à longueur de jours ; et des histoires à raconter, à longueur de nuits.

Ne rien comprendre.

Voir.

S’émerveiller.

Ecrire.

Être en paix.

Enfin.

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