Jour d'école

mathyc

Mathieu avait peur de beaucoup de choses, mais il avait surtout peur des maths.  Selon lui, les maths étaient une matière violente. Un par un, en file indienne, les élèves venaient au bureau de la maîtresse. Ils attendaient la sentence. Un trait rouge dans la marge et l’élève pouvait regagner sa place et passer à l’exercice suivant. Son tour venu, Mathieu posait son cahier sur le bureau et affichait un faible sourire, espérant que celui-ci favoriserait l’indulgence de la maîtresse. Mais les maths étaient une science exacte et, le plus souvent, il était confronté au soupir de madame Durier. Le premier jour, elle avait dit aux enfants « appelez-moi Maryse ». Elle était en instance de divorce et parfois, sa patience en pâtissait. Il arrivait que les cahiers volent dans la salle de classe. C’était donc la boule au ventre que Mathieu présentait son travail. 

-           Mathieu, mais quand est-ce que ça te rentrera dans le crâne, hein ?

Elle disait cela en lui donnant des coups de cahiers sur la tête à chaque syllabe prononcée. Ca ne lui faisait pas mal, mais il sentait quand même les larmes monter et sa vue se brouiller. Il ne voyait pas comment les maths pouvaient lui rentrer dans le crâne. Il n’y avait pas de trou. Juste une cicatrice qui datait du jour où la démonstration de son agilité sur la cage à poules de la cour de l’école s’était soldée par un « ploc » sourd. Le sol était devenu rouge puis, il avait entendu des voix crier son nom dans le lointain et des pas précipités. Depuis, il avait un goût amer dans la bouche lorsqu’il revoyait cet assemblage métallique qui n’était pas fait pour les poules mouillées. Il le regardait du coin de l’œil. Il avait eu 9 points de suture et la structure elle, était toujours là, plus rutilante que jamais, prête à attirer de nouveaux enfants qui, contrairement à l’équipage d’Ulysse, ne résistaient pas longtemps aux sirènes placées dans la cour de l’école.

Il retournait donc à sa place la tête basse. Les larmes coulaient sur son cahier et déformaient le quadrillage bleu. Il essuyait le tout du revers de sa manche. Il aurait bien aimé copier sur quelqu’un,  mais dès qu’il faisait une bêtise, il rougissait et il repensait à Marcellin Caillou, ce personnage de Sempé toujours écarlate pour un oui ou pour un non. Lorsque la maîtresse était de meilleure humeur, elle venait et se penchait sur Mathieu. Sa bouche sentait le café froid et la cigarette. Le mélange d’odeur lui soulevait le cœur, mais s’il savait que la vérité sortait de la bouche des enfants, il avait également appris qu’il ne fallait pas pour autant la dire. Quand il était plus jeune, il avait mis sa mère dans l’embarras en disant tout fort « la dame elle est pas belle ! ». La phrase était sortie toute seule comme il aurait pu dire « j’ai envie de faire pipi » ou « j’ai faim ».

En géométrie, ce n’était pas mieux. Il était gaucher. C’était pratique pour le tennis, mais pas pour l’école. Il rendait toujours un vrai torchon. Il traçait des traits et découvrait ensuite avec horreur que la tranche de sa main salissait ce qu’il venait d’accomplir. Il avait beau gommer, la gomme laissait des traces noires et le papier s’arrachait, empirant l’aspect initial de son travail déjà peu présentable.

 Il avait été rassuré de voir que dans la vie de tous les jours, les adultes ne passaient pas leur temps à tracer des lignes ni à résoudre des problèmes que personne ne se posait. Les adultes, eux,  avaient une arme magique : la calculette. Pourquoi faire compliqué lorsqu’on peut faire simple se demandait-il.  L’objet existait mais il était défendu de l’utiliser de même façon qu’il ne devait approcher les produits toxiques conservés sous l’évier de la cuisine. Il ressentait la même frustration lorsque sa grand-mère lui servait une soupe épicée et qu’il avait une forte envie d’avaler un grand verre d’eau fraîche situé là, tout près, mais auquel on n’a pas le droit de toucher puisque boire chaud et froid en même temps était interdit par la gent parentale. 

Lorsque venait le moment de réciter les tables de multiplication, il espérait fortement tomber sur la table de 1 ou celle de 5. S’il était interrogé sur la table de 7 ou de 8, il sentait son cœur cogner plus fort et ses jambes trembler de façon incontrôlable. Il n’avait pas compris que 7x8 et 8x7 était exactement la même chose et que le résultat donnait invariablement 56.

 Pour toutes ces raisons, Mathieu avait horreur qu’on le surnomme Math. Il pouvait se mettre en colère rien que pour ça. Il se disait que c’était comme s’appeler Olivia et détester les olives ou être fils de boulanger et être allergique à la farine. Il se demandait s’il aurait aussi détesté le français si ses parents l’avaient appelé François. En dehors des maths, Mathieu appréciait l’école. Il aimait l’histoire et particulièrement la préhistoire. Il avait été surpris de découvrir qu’il y a très longtemps, il existait des animaux qui faisaient bien plus peur que le doberman des voisins ou l’araignée qui tissait sa toile sur les barreaux du balcon.

Ce qu’il préférait par-dessus tout à l’école, c’était le français. Son père ne comprenait pas sa passion pour la lecture lui qui ne feuilletait que le programme TV. Il aimait les poésies qu’il fallait apprendre. Il se souvenait de l’histoire d’une petite pomme qui s’ennuyait toute seule sur son arbre et qui criait son désespoir d’être ainsi laissée dans le noir du verger. Il se réjouissait de devoir illustrer « Le Hérisson » de Maurice Carême dans son cahier.

Dans la cour de récréation, il avait une peur bleue d’une ronde particulière. Il s’agissait de ce jeu où il se retrouvait au milieu d’un petit groupe. Il incarnait le fromage et les autres lui tapaient dessus en scandant :

Le fromage est battu,
Le fromage est battu,
Ohé, ohé, ohé,
Le fromage est battu.


Il se couvrait la tête pendant que les autres s’en donnaient à cœur joie. Parfois, il jouait aux gendarmes et aux voleurs avec ses camarades. Lorsque l’un deux prononçait « haut les mains ! » Les autres, ravis, récitaient en chœur :

                Haut les mains,

                Peau de lapin,

                La maîtresse en maillot de bain.

 Il n’avait jamais vu la maîtresse en maillot de bain lorsqu’ils allaient à la piscine. Il avait appris avec effroi que, cette année, tous les élèves de son niveau iraient à la piscine. C’était le vendredi. Il aurait préféré que ce soit le lundi pour en être vite débarrassé. Là, cela lui gâchait le vendredi et le plaisir imminent d’être en weekend. Ce plaisir était cependant limité puisqu’il détestait le dimanche. Il se demandait d’ailleurs qui pouvait bien aimer le dimanche et, du coup, il avait un peu de peine pour ce jour mal aimé, mais il avait beau faire un effort, il ne parviendrait jamais à éprouver de l’enthousiasme en sachant que le lendemain il devrait retrouver le chemin de l’école. Il aurait préféré que tous les dimanches de l’année soient mis bout à bout pour en finir, mais les samedis deviendraient alors les nouveaux dimanches.  Le dimanche soir, il tournait et retournait dans son lit dans l’espoir de trouver le sommeil tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre, du côté gauche puis, du côté droit. Enfin, lorsqu’il avait tout tenté,  il enfouissait la tête sous son oreiller et son range-pyjama. Il ne comptait pas les moutons, il n’avait pas envie d’inviter les chiffres entre ses draps et sa couette Tintin. Parfois, il récitait des poésies ou des chansons d’Anne Sylvestre. Les nuits de pleine lune, trouver le sommeil était encore plus difficile. Il ne fermait pas les volets. Il avait peur du noir. Au clair de lune, il attendait que le sommeil  soit plus fort que son angoisse. Il avait toujours en tête « le soleil a rendez-vous avec la lune », chanson qu’il aimait fredonner avec sa mère.

La piscine avait tout du cauchemar. Il ne nageait pas vraiment et paniquait dès qu’il n’avait plus pied. Il n’arrivait jamais à mettre son bonnet de bain seul, contrairement aux autres ; deux adultes étaient nécessaires pour y parvenir. Il avait une grosse tête et ses oreilles décollées ressortaient tels les rétroviseurs non rétractables d’une voiture. Il devait aussi laisser ses lunettes au vestiaire ce qui lui valait les moqueries de ses camarades qui lui trouvaient un air de taupe forcée de sortir en plein soleil. Il avait toujours détesté l’eau et avait en horreur les reportages des fonds marins que ses parents regardaient. La voix monotone et la respiration bruyante des plongeurs avaient sur lui un effet soporifique immédiat.

Chaque année, il redoutait l’approche de la fête des mères, synonyme de cadeaux à réaliser. Les élèves s’y mettaient parfois plusieurs semaines à l’avance. Lorsque tout était terminé et que les objets plus ou moins utiles attendaient sur une table dans le fond de la classe, il réalisait que le sien était le plus moche de tous et qu’il ne serait jamais à la hauteur de la beauté de sa mère. Il se rattrapait dans la rédaction d’un poème qu’il se réjouissait de lui lire le jour j. Il avait du mal à garder le secret. Heureusement qu’il était fils unique, il ne pouvait concevoir que quelqu’un d’autre lui pique le privilège de souhaiter le premier une bonne fête à sa maman.

 L’année du CM2 marqua un tournant dans la vie d’écolier de Mathieu. Problèmes, conversions, divisions et autres ne lui faisaient plus peur. Il les achevait bien plus vite que les autres. Pour quelle raison ? La maîtresse avait eu un argument infaillible. Aussitôt les exercices terminés, les élèves avaient le droit de rejoindre le fond de la classe et de choisir un ouvrage dans lesquels les seuls chiffres étaient ceux des chapitres et des pages que Mathieu tournait.

  • @choupette pas de problème, ils sont la pour longtemps :)

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Dsc00843 300

    mathyc

  • Tu racontes si bien les gens...On sent le vécu et le talent . Merci de ce partage .J'ai mit le temps avant de revenir te lire, je ne regrette pas, si, j'aurais du venir plus vite!

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    Choupette

  • D'accord avec Woody, il est très attachant ton petit Mathieu.
    Mais pourquoi ai-je l'impression que c'est inachevé ou incomplet ? Il faut l'étoffer un peu ce récit, lui donner encore plus de corps et de profondeur. C'est un excellent début.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • belle tranche de vie ... très très sympa, j'aime ces êtres que la nature a peu choyé ... ils sont tellement attachants !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Img 5684

    woody

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