Joyeux Noël

tromatojuice

Putain ! Ce que c'est dur de creuser un trou dans la terre gelée !

L'homme s'arrête quelques instants, exhalant longuement un épais nuage de vapeur. Il s'essuie le front du revereus de la manche avant de reprendre sa besogne. Au dessus de lui, la lune brille doucement, recouverte par instants de lambeaux de nuages. Dans les ténèbres, le froid est tranchant, coupant la chaire et les âmes.

A part le souffle de l'homme, aucun bruit ne vient plus troubler le voisinage. Tous sont blottis dans leurs lits, à rêver de richesses, de prince ou de princesse. Lui a les mains blanchies par le gel. Le sang ne circule plus correctement dans ses doigts, et le manche rugueux de la pelle ne rendait la tâche que plus difficile.

Si l'homme se faisait chier à creuser un trou dans son jardin pourri au fin fond d'une banlieue résidentielle à la con, c'était à cause de Rémi, son gosse. Enfin, son gosse... façon de parler.

Il avait pourtant été clair avec la grosse : le morpion, il n'en voulait pas. Mais cette conne lui avait la surprise d'arrêter son contraceptif sans le lui dire. Une fois que la graine avait pris racine, la femme s'était émue pour la bouillie organique qui grondait dans ses entrailles. Et vlan ! Quelques mois plus tard, le chiard était né.

C'était la grosse qui avait voulu l'appeler Rémi. Quel prénom à la con. Idéal pour ce résidu de fausse couche, cette petite chose sordide rescapée d'un fond de capote.

Pour couronner le tout, la grosse s'était incrustée. Elle avait pris ses aises dans sa vie à lui. Finies les soirée pinard peinard, plus la peine de compter taper le carton avec les potes et encore moins taper le latex avec les putes. Tous ses loisirs avaient laissé place à l'angoisse du biberon, des couches et de la grosse vautrée sur le canapé devant TF1 à s'assommer d'imbécilité audiovisuelle.

Il bouillonnait d'envie de lui éclater sa sale tronche adipeuse, à cette connasse. Lui avoir fait un gosse dans le dos ; à lui ! Déjà qu'il avait eu du mal avec le caniche aérophage de la grosse, alors un marmot : c'était le pompon.

Cette année Rémi avait fêté ses cinq ans. Cinq ans au cours desquels le père et le fils avaient dût apprendre à s'apprivoiser. Le premier rapprochement entre l'homme et son fils avait eu lieu quelques mois après la naissance de Rémi, le jour où le gosse avait gerbé son lait maternisé directement dans le gosier de la grosse. Elle avait bien failli en jeter le moutard contre un mur, elle qui détestait les produits laitiers. L'homme en avait quasiment pissé dans sa culotte tellement il avait ri.

A l'évocation de ce souvenir, l'homme sourit. Devant lui, le trou bée dans les ténèbres de la sainte nuit. D'un geste puissant, il plante la pelle dans la terre gelée. Le bruit du métal pénétrant le sol durci par le gel lui rappelle le son d'un sabre que l'on sort de son fourreau. L'homme sort une petite flasque en métal de la poche de sa chemise tachée de sang. Avoir avoir ingurgité la moitié du whisky, l'homme rempoche le petit flacon.

La semaine dernière, la grosse s'était mise en quête d'un sapin de noël. Malgré ses goûts de chiottes, la grosse avait à sa décharge, un instinct écologique développé. Comme elle n'avait pas la conscience tranquille de s'empiffrer le jour de Noël alors que des petits noirs crevaient de faim à l'autre bout du monde, et que peut-être, leur voisin de palier se balançait au bout d'une corde, la grosse avait acheté un sapin en plastique réutilisable et recyclable ainsi qu'une boite de boules de noël équitables. Qu'y avait-il d'équitable à faire fabriquer ces merdes par des gosses de huit ans qui n'ont jamais, et ne connaîtront jamais Noël. De toutes façons, qui s'en souciait ?

Sûrement pas lui, sûrement pas maintenant.

Il devait creuser un trou, y mettre ce dont il devait se débarrasser, et reboucher. Le tout, avant que le jour se lève ; sans compter le merdier à nettoyer dedans comme dehors : c'est que l'hémoglobine sur la neige, ça fait tâche.

Aussi, quelle idée de con, ces fêtes de Noël ! A peine avait-il aperçu l'espèce de sac à vin à demi obèse déguisé en militant communiste inuit, qu'il n'avait écouté que son courage. La déflagration avait résonné dans tout le voisinage. Mais les pétards de noël et autres fusées d'artifices tiré par les gosses du quartier, avaient totalement camouflé le coup de feu. La moitié du ventre du gros coco avait été arraché par le plomb du fusil, mouchetant la cheminée de chaire et de sang.

Juste à temps ! Un peu plus et ce sale terroriste aurait pu glisser sa bombe dans le conduit de la cheminée. Un de ces engins explosifs artisanaux qui envoyait des clous partout et repeignait les murs des honnêtes gens façon crucifixion au pistolet lance clous.

Celui là, c'était un petit vicelard. Il avait caché sa bombe dans un paquet cadeau rouge serti d'un ruban blanc. Pour un peu on aurait pu le prendre pour le père noël avec sa longue barbe blanche, ses joue rondes rougie par le froid et son grand manteau rouge. Mais on ne la lui faisait pas, il savait reconnaître un terroriste d'ultragauche d'un bon samaritain.

C'est en découvrant le traineau et les six rennes qui flottant dans les airs, à côté de son toit, que l'homme avait commencé à avoir de sérieux doutes. Des doutes qui s'étaient confirmé lorsqu'il avait trouvé dans la main du vieux barbu, la liste de cadeau que son fils avait envoyé au père noël. Et dire que depuis qu'il avait cessé de croire au père noël, l'homme était persuadé que ces lettres au père noël étaient récoltées par les employés des services postaux.

Finalement, au bout de 47 ans, non seulement l'homme avait découvert l'existence du père noël, mais en plus il y avait mis fin. Quelle idée aussi de glisser des paquets par la cheminée des gens. Si ça n'avait pas été lui, quelqu'un d'autre aurait forcément fini par dessouder le vieux barbu. Peut-être même qu'il aurait finit à Guantanamo, à porter des chemise orange fluo pour le restant de ses jours.

Le mal avait été fait, alors il avait fallu faire preuve d'initiative. Il avait mis le costume du vioc' dans la cheminée, et l'avait transporté jusqu'à la cave. Là, il l'avait découpé en petit bout. Facile, du gras et des os poreux ; très salissant en revanche, il avait retapissé son sous sol de graisse père noël. Heureusement, il avait eu la présence d'esprit de mettre un masque de plongée pour protéger ses yeux des projections. Cent quatre vingt kilos de bidoche à mettre en pièce, c'est tout de même pas rien. Il avait réussit à la faire, mais à quel prix. La lame du couteau électrique avait lâché quand il avait attaqué la quatrième côte. Résultat, il avait été obligé de finir le boulot à la hache.

A présent, les sacs en plastique remplis de chaires déchiquetées et d'os pilés sont empilés au fond du trou. L'homme commence à jeter de la terre pour reboucher le trou. La tâche est pénible et douloureuse. Il lève les yeux au ciel pour observer la lune en buvant une autre rasade de whisky.

La porte de la maison s'ouvre. La silhouette de sa femme se profile dans l'encadrement de la porte.

« Mais qu'est-ce' tu fous 'spèce de feignasse ? Y a les rennes qui commencent à trépigner. »

L'homme se hâte de reboucher le trou, puis se dirige vers la maison. Là, il charge son fusil puis monte sur le toit coller une balle dans le crâne de chaque renne. Les bêtes s'effondrent lourdement en bramant à mort.

Pour le petit couple bancal, la crise économique qui faisait couler tant d'encre, n'avait plus aucune signification. Ils auraient de quoi manger jusqu'à noël prochain. C'est pas très tendre, mais ça nourrit le rennes. Et puis ils pourraient toujours garder le nez rouge pour amuser le gosse.

  • Mince, je croyais au Père Noël avant de te lire ;)
    Au fait, CDC = coup de coeur, ça te colle d'office sur la page d'accueil dans la catégorie "Vos textes coups de coeur du jour".

    · Il y a environ 12 ans ·
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    Alice Neixen

  • Le père noël est une ordure , alors?
    Assez cru et cruel pour que l'auteur n'ai que fantasmé ce récit...du moins j'espère !
    Quand à la fin des rennes, mieux vaut nourrir les zindigents que paitre bêtement. J'ai dit !

    · Il y a environ 12 ans ·
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    lyselotte

  • Ah les embûches de Noël !

    Bravo, très bon moment de lecture !

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    Mathieu Jaegert

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