Jusqu'à la dernière note

Tous les jours, je prends le train pour aller à la fac. Je passe donc quelques minutes le matin et le soir dans la Gare Saint Charles à Marseille. Oui, vous savez, cette grande gare qui a été réaménagée il n'y a pas si longtemps.

Et un jour, je l'ai entendu. Une mélodie jouée au piano. Le temps d'un instant je me suis retrouvé transporté dans un autre monde. Mon corps était en gare Saint Charles, mais moi j'étais dans mes rêves.
Cette musique me faisait voyager, elle m'inspirait et me donnait les clés d'univers enfouis au plus profond de moi. Je me suis levé, j'ai cherché d'où venait la mélodie. J'ai cherché longtemps, slalomant entre les voyageurs pressés, les enfants qui ne font pas attention et les petits vieux qui ne vont pas assez vite. J'ai failli trébucher sur une énorme valise, me cogner contre un militaire, glisser sur des frites de chez Macdo, rater les escalators. Et je l'ai trouvée.

Pour Marseille 2013, ils avaient installé un piano dans la gare en libre service, quelques gens s'étaient attroupé autour pour écouter. Une fille jouait. Elle avait de longs cheveux noirs, ses doigts caressaient les touches du piano et en regardant bien, on pouvait voir des notes de musique briller au fond de ses yeux sombres. Un sourire se dessinait lentement sur son visage au fil des accords. Elle se tenait assise bien droite sur le tabouret, comme une enfant lors de sa première leçon.
Je me suis accoudé au piano, elle s'est arrêté de jouer, m'a regardé avec des yeux remplis de peur et elle est partie en courant.

Je me suis mis à courir et juste à ce moment là j'ai entendu que mon train partait. Tant pis, j'avais trouvé bien mieux qu'une maison.
Elle ne courait pas très vite mais elle était plus agile et se faufilait sans peine dans la foule, j'avais plus de mal. Quand elle est arrivée aux vieux escaliers en pierre, j'ai crié. Elle s'est retournée. Là, dans le jour déclinant, la ville en toile de fond, elle me faisait penser à une panthère. Une panthère dont le sang sauvage bouillonne dans les veines.
- Pourquoi tu t'enfuis ?
- Parce que c'est toi.
- Hein ??
- Parce que …
- Mais dis moi !
- Non, je ne te connais pas et je ne suis pas d'ici, c'est tout.
- Tu mens mal.
- Tu veux tu savoir ? Très bien, mais tu vas me prendre pour une folle.
- Lance-toi, on sait jamais.
- Bien ... Quand j'ai vu tes yeux, j'ai de suite lu tout ce dont tu était capable dans ton regard. J'ai su que tu es capable du pire et du meilleur, mais surtout du pire. Ma musique était en train de te transformer, j'ai vu que je te fascinais et j'ai eu peur. Peur de toi, de tout ce que tu envisag...
Je ne l'ai pas laissé finir. J'ai pris son visage entre mes mains et je l'ai embrassée. Elle s'est légèrement débattue mais elle a vite renoncé. Ses lèvres avaient un goût indéfinissable, un goût de magie, de goutte de pluie, un goût de lumière. Quand elle s'est détachée de moi, elle m'a chuchoté :
- Tu ne peux pas … Je ne suis pas réelle.
- Mais bien sûr que si ! Qu'est-ce que tu racontes ?

Mais pendant que je prononçais ces mots, ma belle pianiste n'était plus qu'une poussière dorée qui s'en allait vers le soleil couchant, tournoyant dans la brise marine.

Et tandis que je la regardais s'éloigner de moi, la mélodie qu'elle avait joué sur le piano retentissait dans les airs, mourant petit à petit. Et dans la douceur du soir s'éteignit la dernière note.