Juste Après

antoine19

Juste Après

Il y avait le raclement du ventilateur décentré, et l’air épais, presque jaune, l’odeur de détergent acide pour dissimuler toutes les autres, celles du monde qui n’en finirait jamais de pourrir.

Il y avait la nuit impossible, tant les lumières artificielles la perforaient de toutes parts. Il y avait ce flot ininterrompu de voitures lentes, de silhouettes furtives, de jambes couvertes d’ulcérations, ce flot de mort qui se prend pour la vie.

Il y avait ton corps raidi.

Ils avaient dit cela – wait – attendre – wait – please mister – wait. Leurs visages n’avaient pas de sens.

J’avais ramené le drap sur ton corps pour te faire un cocon. Je ne voyais plus que l’ovale de ton visage et tes cheveux d’ambre qui formaient une couronne de toutes leurs boucles. Je ne voyais plus que le sol et les insectes grouillants.

Je me souvenais de la promenade sur l’eau, l’eau brune souvent crevée par le surgissement de végétaux mort-nés, de racines comme des doigts de douleur, de déchets dévorés de civilisation plastique.

Je me souvenais de la tombée de la nuit et de l’or de tes cheveux, de la musique des arbres dans le vent, de leurs bras qui venaient pendre dans le fleuve.

Je me souvenais de l’esplanade de Beach Road, des ruelles, des échoppes, de l’air embaumé et vibrant, de la marchande de fleurs flottantes et du serment des haleurs.

Je me souvenais du frôlement des corps, des rires contenus édentés, des peaux fardées, pailletées, offertes, des échancrures impossibles et de leur maigreur d’infamie.

Je n’avais rien vu de la lame, de la course fluide, des éclats de verre, des visages qui se détournent – seulement ton poids sur mon bras et tes cheveux sur le goudron pelé – j’avais vu.

Je me souvenais de la précipitation des ombres longues, de toutes ces bouches qui tenaient le même cri, des sirènes comme des voix d’avant les continents, et du silence.

Je me souvenais de la succession des marches dans l’escalier de l’hôtel, des lambris suintants de gras et d’humide, des portes claquées ou aveugles, et de ton corps si léger dans mes bras.

Il y avait la radio qui vrillait le silence. La voix disait l’histoire de ce voyage de noce et du jeune homme deux fois mordu par le requin. Nos solitudes se touchaient si fort, tendant leurs index gelés par-dessus l’océan.

Je me pris à rire doucement, je n’avais plus de larmes.

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