Juste une migraine

Caïn Bates

        C'était il y a quelques années, je sortais d'un magasin dans une galerie lilloise et, à la sortie de celui-ci, il y avait ce mec. Des gars comme lui, il y en a des tas un peu partout mais, ce jour là, il était sur mon chemin. Le problème, c'est que c'était le genre peu avenant et assez allumé capable de s'emporter pour un rien. Et, bien que ce soit lui qui m'est rentré dedans, il a commencé à en faire un scandale. Je l'ai bien sûr ignoré mais il s'est mis en te d'obtenir réparation et m'a asséné un coup à la tête plutôt violent. J'ai mis de longues minutes à m'en remettre, le mec m'avait sonné. La sécurité est intervenue et l'a mis à la porte de la galerie, une de ses amies est venue s'excuser et a répondu aux questions de la Police une fois sur place. 

         Au début, je pensais avoir flashé sur elle à cause du violent coup à la tête mais nous nous sommes rapproché au fil des semaines et, deux ans plus tard, nous avons eu notre premier enfant. On a donc décider de s'installer ensemble, jusqu'ici tout allait bien. Après plusieurs mois, nous avions fini de meubler notre appartement et notre chambre était tout ce qui a de plus classique. Du moins, classique hormis la lampe installée sur sa lampe de chevet qui me donnait des migraines si intenses que les murs semblaient bouger autour de moi. 
         Une batterie de tests nous ont mené à la conclusion que cela était dû au traumatisme de l'agression mêlé au stress de la paternité à venir (j'avais vécu des crises beaucoup moins fortes et bien plus espacées ces derniers temps). De plus, cette lampe était déjà dans son studio quand je venais chez elle. Les années ont passées, les migraines se sont légèrement intensifiées au point que je ne pouvait plus toléré cette lampe dans mon champ de vision. L'objet étant précieux pour ma bien aimée (léguée par sa grand-mère) et bien trop fragile pour survivre à notre fils qui marchait alors depuis déjà depuis des lustres. Elle a donc entreprit de la ranger dans un carton au dessus de notre penderie. Bien entendu, les crises ne se sont pas arrêtées pour autant mais elles s'estompaient tout de même.

           Lors de l'entrée en primaire de mon fils, il arrivait que mes parents le gardait le temps que ma femme (car nous nous sommes mariés entre temps) ou moi-même ne rentrions du travail. Mais, un jour, éprise d'un moment de nostalgie, ma mère voulu revoir les photos de notre mariage et de la naissance de ce petit bonhomme. Les albums étaient rangés dans ce carton, celui en haut de la penderie et, rien que de lever la tête suffisait à me donner des vertiges. Je suis tout de même parvenu à prendre le carton lorsque mes jambes se sont dérobées sous mon poids à cause de la douleur. Ma mère à couru à toutes jambes pour s'assurer que tout allait bien et je lui ai répondu avec mon sourire le plus faux que je puisse faire. Je lui ai tendu les classeurs et suis resté un petit moment à fixer la lampe bleue qui demeurait dans la boîte. Elle semblait... irréelle.  C'est comme si, c'est presque comme si elle n'existait que dans un monde parallèle, un instant je pouvais la toucher et quelques secondes plus tard, ma main la traversait. Machinalement, je l'ai déposée sur la commande en face de notre lit (je ne sais toujours pas pourquoi) et suis parti rejoindre ma famille dans le salon. Après de longues minutes, la migraine commençait à s'estomper. Au retour de ma femme, je lui ai tout raconté et ne m'a répondu que par un sourire inquiet mais tout de même tendre en affirmant que je devais prendre rapidement rendez-vous avec le médecin pour refaire de nouveaux tests. Je n'y suis pas aller. Non pas parce que je ne voulais pas, je n'ai juste pas eu le temps.

       Durant la nuit, je n'ai pas su fermer l'œil, insomniaque depuis tout petit, "l'incident" d'il y a quelques années n'avait pas eu raison de mon manque de sommeil et la fatigue s'accompagnait depuis de violentes douleurs et cette nuit là, la lampe s'est mise à briller d'une lumière vive. Elle s'est mise à luire toujours plus, grandissant, rapetissant, changeant parfois de place. J'ai eu l'impression de devenir fou. J'ai essayé d'enfuir mon visage contre le matelas en recouvrant ma tête de tout les oreillers et couette disponibles mais rien y faisait, la lumière se faisait plus forte puis... plus rien.

         En ouvrant les yeux, j'étais à nouveau assis sur le sol de la galerie marchande, un infirmier avait plongé la lueur de sa torche dans mes yeux. J'étais resté inconscient dix bonnes minutes. Quelques minutes qui m'ont suffit à vivre sept ans. Sept ans pendant lesquels j'ai aimé une femme d'un amour inconditionnel, cinq ans à voir mon fils grandir, autant d'années à savoir que ma famille était fière de ce que j'étais devenu. Et, dix ans après ce drame, je commence à peine à réaliser ça. Il m'arrive encore d'attendre devant l'école en espérant voir mon enfant me sauter dans les bras, de rentrer chez moi après une journée de boulot en espérant revoir les yeux de ma femme. Et, tout ce que j'ai aujourd'hui de tout ça, c'est cette lampe bleue que j'ai trouvé sur Ebay et ces foutues migraines. 

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