L' Ecole des Femmelettes

Robert Arnaud Gauvain

                        L' école des femmelettes

 

Bon cette fois c' est sûr, l' année scolaire est vraiment lancée. Après plus d'un demi-trimestre d'intenses sollicitations cognitives au service de l' intelligence spontanée et intuitivement naturelle de ces chères têtes blondasses, entrecoupées de séances plénières de concertations stériles, il me paraît avoir fait le tour de la question. A mon -bon- goût, on pourrait tout de suite passer aux grandes vacances, ce qui nous empêcherait, moi comme ceux qui me supportent, élèves comme collègues, de socialiser plus avant, afin d' éviter de prendre mon pied au cul, élèves comme collègues.

            Une petite session réduite à quelques semaines est bien suffisante pour posséder une vue d'ensemble de ce cloaque: concernant les institutrices, le(s) gros(ses) de la troupe est triste et ennuyeux. Notre directeur ne relève pas ce constat, aimable cuistre, procédurier, obséquieux et timoré. Au moins n’ est-il pas méchant... Mais j'ajouterais qu'il n'est pas méchant parce qu'il n'en n'a pas les capacités intellectuelles, car la vraie méchanceté, c'est un travail à plein temps qui requiert une vivacité d'esprit dont cet homme-là est simplement dépourvu. On pourra me rétorquer que l'expression "bête et méchant" est consacrée, mais c'est un idiotisme inventé par les gentils pour se consoler des avanies que les méchants leur ont fait subir. Les victimes se rassérènent en supposant leur tortionnaire stupide, mais scientifiquement, cela ne tient pas la route, pas même le chemin vicinal.

            Quant à la STO, à force de préparations nocturnes et de corrections dominicales, elle a pris dix ans en dix semaines, se désespère devant l' insolente nullité et l’ indolent désintérêt dont font preuve ses chérubins face à sa méthode pédagogique révolutionnaire et moderniste, pourtant agréée par les plus honorables penseurs en sciences de l’ éducation qui eux justement ne se privent pas de la ramener, leur science. Quelque puisse être leur bord ou leur école de pensée, ces hautes sommités, relayées par tous les rampants à leurs bottes, restent inattaquables: en effet, difficile de mettre en doute leur certitudes, car elles détiennent forcément la seule et unique bonne parole éducative, basée sur une expérience incomparable de l’ école puisqu' elles n'ont pas eu en charge de classe primaire à l' année depuis vingt ans minimum…

            L' Education Nationale, c'est beau comme du 14-18: les enseignants-petits-lieutenants, et leur élèves-poilus (surtout ceux qui ont trois ans de retard en CM 2 ) s' enterrent au front. Chaque jour, au coup de sifflet du dirlo, ils sortent de leur tranchée pour monter à l' assaut sous la mitraille de l' illettrisme et le déluge de l' obscurantisme, alors que le bilan des pertes humaines et philosophiques s' alourdit. Mais pendant ce temps-là, des officiers supérieurs, abrité des bombardement dans leur PC à l' arrière, dictent des stratégies ridicules et meurtrières dans l'espoir d' une promotion, des palmes académiques, ou reconnaissance suprême, d'un passage à la télé. Cette gloriole acquise au prix d’ un gâchis humain demeure profondément injuste et imméritée car n'ayant pour résultat sur le terrain qu'un échec scolaire de plus. Pourtant, comme à l' époque de la Grande Guerre, la censure et la désinformation officiant avec zèle, on continuera à cacher au bon peuple les massacres inutiles de la dernière offensive. La propagande se chargera de diffuser ses communiqués hypocrites de victoires qui n'en sont vraiment pas, pas même à la Pyrrhus... "Je les grignote" , toujours.

            Charge aux profs et à leur ouailles de souffrir mille morts de l' esprit pour appliquer ou contourner ces commandements erratiques et irraisonnés.

            Ces admonestations sont d'autant plus inacceptables qu'elles sont jetées en l'air avec une prétention et une arrogance répugnantes, du plus haut jusqu'au plus bas larbin de l'état-major, alors que tous, oui tous, recteurs, inspecteurs, conseillers pédagogiques et autres parasites, usant de leur veste et de leur pantalon comme dans la chanson, ont tous, oui tous, un honteux point commun: ils ont lâché. Quoiqu'ils puissent répliquer, ils se sont éloignés du fracas des armes pour se protéger, ils ne se battent pas au corps à corps chaque matin, dans la fureur et dans le sang, et cependant osent encore ordonner et conseiller au lieu de faire profil bas. A cette insupportable fatuité boursouflée, un seul remède: la peine maximale, la détention à perpétuité dans une vraie classe à grand renfort de podopostéropédagogie. Et sans remise de peine.

            Ce qui me désole, c'est qu' à l' inverse des soldats de 1917, et à l’ instar de la population, on sera bien en peine de déceler la moindre amorce de mutinerie dans l' armée enseignante... on se désole et on courbe encore l' échine, certains, à force de plier, sont même sur les rotules. D' autres, plus souples et plus serviles, s' agenouillent petit à petit et n'ont plus qu' à ouvrir la bouche pour devenir les récipiendaires du nectar scolastique. Jusqu’à la dernière goutte. Et la foison de pétitions grabouilleuses, la pléiade de grèves inaperçues ou le quarteron de manifs solitaires ne changeront pas la donne.

Mais de toute façon keskonpeufairenousautres ? Rien, bien sûr, on est si peu nombreux, seulement un petit million de rien du tout. Alors laissons tranquillement et sans réagir les grosses et grasses huiles nous massacrer sciemment notre école de notre république, en geignant comme braient les moutons qui se pressent les uns sur les autres dans la file de l’ abattoir, mais sont assez stupides pour se bousculer pour passer devant. Pour les enseignants résister ce n’est que pleurnicher, pas étonnant qu’il ne leur reste plus que les yeux pour pleurer.

            La guerre totale contre nous est déclarée, les offensives s' enchaînent, venant de tous côtés. Les généraux ennemis en faveur auprès de leur haut-commandement, non contents de nous assaillir, sont eux-mêmes menacés par les attaques de leurs prédécesseurs tombés en disgrâce. On ne sait plus où donner de l'indignation impuissante. Mais la troupe reste l’ arme au pied, la larme à l’ oeil. Ce qui doit sans nul doute terrifier nos dirigeants, n’en doutons pas, ils ont si peur de nous qu’ils en pleurent, mais de rire, eux.

            Quand j’ai commencé, il y a vingt ans, en plus de nous qualifier de paresseux -et je le revendique- on nous traitait déjà à l’ époque en sus de privilégiés, comme si notre statut jugé avantageux et notre métier estimé facile par tous les minables aigris qui nous jalousaient, venaient de la naissance ou de l’ octroi d’une charge et non d’un concours public ouvert à tous ( note pour les politiciens, éditorialistes, journalistes, présentateurs tévé, analystes économiques, philosophes du canon de rouge de dix heures qui accusent les fonctionnaires de privilèges : Ami, ouvre un dictionnaire encyclopédique, tu verras, il y a plein de pages écrites en tout petit certes, mais on peut y apprendre la définition des mots compliqués que tu ne maîtrises pas, bien que tu les bêles mécaniquement pour être accepté parmi le monde médiatique et plaire aux beaufs qui te lisent, te regardent ou t’ écoutent, te donnant l’ impression que tu es un penseur. Allez, va, ne me remercie pas, j’aime rendre service à mon ignare de prochain imbécile ).   C’est bien connu, chaque fonctionnaire, épargné miraculeusement par la nuit du 4 Août, s’ enorgueillit de ses quartiers de fonction publique, surtout lorsqu’ils remontent aux croisades.

            Heureusement depuis quelques temps, nos conditions de travail et de vie s’étant un rien détériorées, j’espère que tous ces juges et parties nous considèreront avec un peu plus de clémence… Surtout, ils pourraient admettre qu’on a réussi avec un courage exemplaire à ne pas lever le petit doigt – encore moins  le majeur- devant l’ adversité. Nous autres professeurs, avons renoncé à nous battre pour nos idées et notre statut, ce qui fit fondre nos « privilèges » comme neige au soleil et, réaction chimique en chaîne, ce coup de chaleur accentua la liquéfaction du système éducatif public sous couvert de le réformer. Devant notre inexistence politique, nos fossoyeurs et leur miteux séides qui nous tiennent lieu de « conseillers » ou de supérieurs hiérarchiques ont les coudées franches, et ce grâce à nous.

Dès lors que personne ne le mouche, voire ne le torche quand il dépasse les bornes, un ministre de l’ éducation nationale d’ un président de sa république, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.

            Heureusement, heureusement… sur le terrain, au milieu et même au sein de cette désolation, la Belle illumine parfois mon morne quotidien de sa pétulance et d'un embryon de complicité souriante. Au moins, elle me donnerait un but pour me rendre au travail, on a la motivation qu’ on peut, voire qu‘on mérite.

Ah, La Belle et nos quelques conversations oiseuses sur le pas de notre porte de classe, pendant que nos élèves s’escriment sur de longs chapelets d’ opérations mathématiques ou grattent d’ interminables rédactions, que par respect à la fois pour la théorie industrielle et pour le commencement de l’ Histoire, je n’oserais appeler productions écrites...

            Étant un peu isolés au sein de notre école, elle de par sa beauté, son intelligence, sa classe naturelle, sa culture et son beau cul, moi du fait de ma mentalité de merde, nous avons appris à nous connaître un peu mieux, mais en tout bien tout honneur, je vous rassure. Comment ça vous n’ étiez pas inquiets ? Elle me parle de sa vie -que j’ ignore, de ses filles -que je dédaigne, et de son mari -que je jalouse. Comme je me plais à me composer un personnage de loup solitaire cyniquement ironique pour me donner une banale originalité à ses yeux, on rigole pas mal entre nous. On ne peut pas s’ empêcher de méchamment se moquer de nous-mêmes parfois, des élèves souvent, des collègues toujours. Chacun d’entre nous conserve une part de mystère, elle parce qu’elle semble malgré tout assez réservée, moi pour me donner une contenance à moindre coût. Ca faisait longtemps que je n’avais pas eu plaisir à la compagnie d’ autrui dans ce cadre tout administratif, même si cette camaraderie amicale est en ce qui me concerne hypocrite, car entre être amis pour la vie et amants pour une nuit ( voire même rien qu’ une heure ) mon cœur balance mais mon corps, lui, a tranché depuis longtemps.

            En plus elle est de bon conseil : une après-midi, alors que je baillais d’ennui en remontant en classe avec mes conscrits, elle a suggéré, devant ma grise mine de gratte-papier courtelinesque, que je voie un docteur car j’avais « l’air crevé ». Quelle riche idée, ni une ni deux, j’ ai remercié la Belle et l’ai prise –au mot ( je sais c’est sale, nul, deux), pour ce soir me retrouver dans la salle d’attente de mon médecin préféré…

            Tout en feuilletant un publi-reportage glamour de dix pages sur une star-clinquante, membre d’ un gouvernement-paillette, dans un magazine courageux et indépendant qui fait l’ opinion, je réfléchis au fait que si j’obtiens gain de cause, au moins une semaine de répit, la Belle pourrait me manquer. Mais pas au point de me faire renoncer à mon projet d’arrêt maladie dûment mérité à la sueur de ma fainéantise que je me fais fort d’ arracher au corps médical..

            Quand vient mon tour, j’ attaque le bestiau dès la poignée de mains que je m’efforce d’amollir maladivement et me compose une triste et longue figure fatiguée, préambule à la reprise des négociations sur le trou de la Sécu, que je me contrefous, mais alors à un point, de creuser. Moi je crois aux vertus de la société mercantile: je cotise, par conséquent je paye donc j’ achète !

            Vous autres, les obscurs besogneux aux moues réprobatrices, les braves serfs laborieux aux grincements de dents haineux, vous tous, braves gens qui médisent de moi et me montrent au doigt, soyez sport, souhaitez-moi bonne chance !

  • Bonne chance ;-)
    Oui Sabine, un côté diabolo! On est maso?

    · Il y a presque 14 ans ·
    Arbre orig

    pointedenis

  • Un constat d'échec disséqué et argumenté. Le parallèle 14/18 semble très bien approprié, et j'ai adoré l'explication de texte de ce qu'est un méchant !!! Superbe Robert, comme à ton habitude !!! A plus tard !!!

    · Il y a presque 14 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Quel drôle de paradoxe ! Adorer lire quelqu'un écrivant de façon divine des propos sortis tout droit d'une cervelle diabolique. Je vais de ce pas entamer une analyse. Littéraire sans doute.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Extraterrestre noir et blanc orig

    bibine-poivron

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