La 46ème heure
enzogrimaldi7
Scène de crime. Dans la pénombre, les proches attendent le résultat des investigations. Le médecin légiste dubitatif, indique que l'heure de l'homicide remonte sans doute à la veille au soir. Des traces d'ADN sont retrouvées sous les ongles, et des marques sur le sol suggèrent que la victime a été trainée. Le lieu de trouvaille du corps est différent de celui du drame. Ne serait-ce que de quelques mètres. La police scientifique s'affaire dans tous les coins à la recherche minutieuse d'indices derrière la rubalise.
L'inspecteur se gratte la tête. Il s'est déjà passé trop de temps pour avancer plus vite vers le coupable. Quant à la scène de crime dieu seul sait combien d'âmes l'ont souillée. Entre celui ou celle ayant découvert la tragédie, les pompiers qui ont tenté de ranimer la personne, le médecin de famille, alerté en même temps que les sauveteurs, qui a constaté le décès, quelques secondes avant que les gendarmes puis la PJ, car cela relevait plutôt de leur juridiction, s'en mêlent. Sans compter ceux qui ont précédé tout le monde sans rien signaler comme dans l'affaire du boucher de la Sarthe. Un beau merdier, se dit-il.
Autant de questions, de confusion, d'événements contradictoires, de mensonges, de mystères, qu'il faut détisser. La résolution de certains meurtres relèvent souvent de l'impossible. Il lui arrive aussi d'être entravée par des intérêts supérieurs (confère le cas Boulin). Le métier de policier est complexe. Et souvent, l'enquête, pour aboutir, a besoin d'un coup de pouce du destin. La détermination des détectives est, aussi, primordiale et leur motivation plus ou moins acharnée selon les mœurs en présence, après tout, ce ne sont que des hommes.
Marqués à vie par des affaires d'une incomparable ignominie, des inspecteurs chevronnés et des commissaires aguerris se sont cassé les dents sur des énigmes pour lesquelles, comme on dit, la réponse était dans le dossier. Outre les nuits blanches passées à revisiter l'histoire, les Vidocq, Martine Monteil, Nguyen Van Loc et Broussard furent hantés le restant de leur existence pour l'omission d'un grain de sable.
Toujours désavantagé par cet inexorable temps de retard sur son adversaire avec lequel il doit composer, le flic avance à tâtons dans les méandres d'un canevas sorti tout droit d'un esprit, certes malade, mais doté d'une redoutable organisation. Alors, puisqu'il lui faut coûte que coûte arriver à la vérité, parfois, ça dévisse. Des arrestations trop musclées où des bavures surviennent, à la garde à vue qui tourne mal, il y a bien d'affaires entachées de dérapages.
En garde à vue, les suspects, même innocents, sont amenés à craquer, et ce, souvent, pour ne pas dire toujours, autour de la 46ème heure. L'heure des aveux véridiques, imaginaires ou forcés. S'ensuivent les pièces à conviction qui disparaissent à mauvais escient, les cadavres incinérés trop tôt, les rapports d'expert falsifiés, les procés verbaux antidatés, les faux témoins, autant de charges inventées ou escamotées. L'aveu ne constitue pas une preuve. Nonobstant un nombre considérable de justiciables finissent à l'échafaud par ce biais si l'intime conviction des jurés, et la partie civile, s'en contentent.
Par ailleurs, le nombre de tueurs en série au scénario diabolique, ou de voleurs sans foi ni loi, qui échappèrent à la potence grâce à ce fameux temps d'avance, un peu de chance, un alibi douteux, un vice de forme, ou un avocat brillant, est pléthorique. Mais qu'ils aient échappé à la loi ou non, la presse a tôt fait de créer le mythe jusqu'à élire l'un d'eux, surnommé le Campus Killer, "Homme de l'Année" (Time magazine). On a tous en mémoire les affaires du Dahlia Noir, du Zodiac, de la Tuerie d'Auriol, du Courrier de Lyon, de la Femme sans Tête, du Gang des Souris vertes, du Bar du Téléphone, des Disparues de l'Yonne, du Gang des Postiches, de la tuerie du Sofitel, du Gang de Roubaix, et du Grêlé.
Don't let yourself get attached to anything you are not willing to walk out on in 30 seconds flat if you feel the heat around the corner. Michael Mann. Heat.
Dans d'autres cas, c'est le nom du ou des tueurs qui sert à désigner l'affaire : Dominici, Mesrine, Sagawa, Guy Georges, Simone Weber, Fourniret, Romand, Dupont de Ligonnès. Dans cette liste, les histoires dans leur contenu ou dans leur épilogue sont hallucinantes : une famille est complice de meurtre, un autre est cannibale reconnu coupable puis libéré, cet autre se distingue par la sauvagerie de ses actes, celui-là par le nombre improbable de ses victimes et pour les deux derniers, des coups de folie entraînant la destruction de la totalité des membres de leur famille, l'un est déjà libre l'autre est introuvable.
Certains patronymes évoquent, semble-t-il, des injustices : Monique Case, Patrick Dills, Le docteur Muller, Roland Agret, Jacques Viguier, Omar Radad, André Kaas, Loic Seicher. Ici, bien souvent, ce fut la personnalité équivoque de ces présumés innocents qui leur porta tort: un jeune paumé, un millionnaire flambeur, un médecin légiste, un prof de droit spécialiste en criminologie, un ouvrier au français approximatif ou un ancien délinquant, tous condamnés avant d'avoir été jugés.
Par chance, ceux-là connurent un heureux dénouement ce qui ne fut pas le cas d'autres blancs comme neige (Ranucci?) exécutés. Et si leur destin s'est éclairci après la tempête, ils le doivent à des avocats brillants de la trempe des Badinter, Collard, Dupont Moretti, Halimi, Isorni, Lombard, Leclerc, Metzner, Szpiner, Trémolet de Villers, Varaut, Vergès, ténors des prétoires, maîtres des plaidoiries, stars du barreau, pourfendeurs d'accusations erronées.
Et puis, hélas, il y a les histoires que l'on connaît par le nom des victimes. Ici, il s'agit de questionner l'humanité sur sa monstruosité au travers d'actes incompréhensibles. L'explication réside, dit-on, dans la part d'animalité chez l'homme. Plus quelques ingrédients d'ordre psychopathes saupoudrés parfois de psychotropes. En fait tout se joue dans notre gestion du complexe d'œdipe à l'adolescence. En cas de traumatisme lors de cette période, des déviances apparaissent amenant ces victimes à en faire d'autres : celles qu'elles tuent quand la porte du psychisme cède pour permettre le passage à l'acte.
Quelle est cette part du destin qui mit sur la route d'Elodie Kulik, Stéphane Dietrich, Christelle Blétry, les époux Roussel ou Maria-Judith Araujo des individus au profil décrit plus haut entraînant fatalement leur disparition dans des conditions épouvantables? Il y a pire : le meurtre d'enfants. Par décence nous n'évoquerons que leurs prénoms. Ils ne perdront jamais leur innocence à nos yeux malgré l'horreur qui les a touchés: Cathy, Philippe, Karine, Cyril, Priscilla, Caroline...
Les affaires ci-dessus furent toutes résolues. Il faut donc rendre grâce aux policiers, juges et magistrats et autre personnel de cours d'assises pour leur efficacité. Citons ici les juges Falcone, Ruth Bader Ginsburg, Michel, Borrel, Van Ruymbeke. Mais la justice fut quelques fois impuissante. Souvent malgré elle car l'ennemi était trop vil. Il existe un nombre hallucinant de crimes non élucidés pour lesquels des familles se battent depuis des décennies, trouvant des subterfuges pour repousser la prescription, règle absurde qui prononce la fin des enquêtes, donc des poursuites, après un certain nombre d'années.
Eric Calers, Magali Part, Sylvain Aloard, Gaelle Fosset, Ghislaine Leclerc autant de patronymes objets d'iniquités innommables et liés à une justice non rendue. Pour d'autres les corps ne furent même pas retrouvés, et leurs assassins courent encore. Pis, ils se délectent de l'arrestation voire de la condamnation d'irréprochables à leur place et des balbutiements d'une enquête qui s'égare.
Au fond que craignent-ils? Entre l'abolition de la peine de mort et les remises de peines, quelques uns, bien qu'interpellés, pourraient s'en sortir à bon compte, malgré de multiples meurtres d'adultes et d'enfants assortis de viols et de tortures, sous couvert du principe de la réhabilitation. Peut-on vraiment réhabiliter quelqu'un qui a assassiné son père, sa mère, sa femme, ses enfants et ses chiens? En prison, on leur donne même la possibilité de se marier avec des groupies qui accourent des quatre coins du pays précédées d'une multitude de lettres de vénération: ultime preuve d'une justice en perdition. Il y a un détail qui cloche.
2020
Illustration: couverture du Dahlia Noir de James Ellroy
Musique: Bach suite n°3 dans Se7en
https://www.youtube.com/watch?v=FL9bylhDkcc
Un texte pour lequel vous vous êtes donné à fond on dirait. Tous ces noms qui défilent comme une macabre procession... Une réflexion très bien menée.
· Il y a plus d'un an ·aile68
Effectivement j'avais remarqué certaines recurrences dans les affaires les plus médiatiques à tel point qu'il m'est apparu incontournable d'en faire une synthèse. Dans ce que j'ai rassemblé ici il y a de quoi écrire plusieurs bouquin mais voilà mes limites: Je préfère la concentration d'idées chocs sur un texte cours quitte à bâcler un peu plutôt que de me perdre dans des développements sinueux. Merci pour votre passage.
· Il y a plus d'un an ·enzogrimaldi7
Tant de sujets abordés
· Il y a presque 2 ans ·La transparence
L'intégrité
De la justice
Ses déviances
Pour les objectifs
Ses dérapages
Fatigue ou trop plein
D'injustices
Ceux qui prennent pour leurs actes
Ceux qui passent à la trappe
Mais aussi ceux qui ont tout compris
Se faisant passer
Pour des fauteurs lavés
De leur criminalité
Pour aussitôt recommencer
Fterò Asterioù
Tiens, vous êtes venue voir celui là , aussi. Merci.
· Il y a plus d'un an ·enzogrimaldi7
Très intéressant à lire ! Et tous ses noms pour rappel d'horreur montre un autre visage de la société.
· Il y a environ 3 ans ·Ode
Exact. Un visage pas beau à voir. Avec un côté absurde et un autre impitoyable. Au milieu de tout cela, il reste quelques êtres pour préserver la part humaine de ce visage défiguré. Ce sont ceux là que nous saluons.
· Il y a environ 3 ans ·enzogrimaldi7
Vous avez raison !
· Il y a environ 3 ans ·Ode
A l'inverse, un quidam qui se ferait justice lui même est, semble t il, jugé beaucoup plus vite puisque les procédures sont moins longues, forcément ! Espérons pour cette justice de merde et de tarlouzes, que des victimes lassées ne fassent pas justice elles mêmes dans un avenir qui parait proche car cela pourrait se terminer genre gilets jaunes et ça, le pouvoir n'aime pas.
· Il y a plus de 4 ans ·daniel-m
Cet inventaire fait froid dans le dos et rappelle que l'homme n'est pas infaillible. A moins que certains suspects servent une cause... inavouable.
· Il y a plus de 4 ans ·Sy Lou
Effectivement, cette question se pose.Je m'intéresse depuis longtemps à ce sujet car pour chacune de ces affaires la tournure des évènements a généré des comportements surréalistes que ce soit du côté des criminels ou de la justice à tel point que s'est créée dans mon esprit comme une compilation que j'ai essayé de restituer ici.
· Il y a plus de 4 ans ·enzogrimaldi7
La justice de chez nous ! :o) Il parait que l'on y voit plus clair dans l'affaire Balladur après 25 ans de dossiers.
· Il y a plus de 4 ans ·daniel-m
Exact. je me suis rendu compte, au travers de la tournure hallucinante des histoires évoquées dans ce texte, que la machine judiciaire, de par ses errances, est presque aussi destructrice que les méfaits des criminels, sans compter l'univers carcéral et ses dérives.
· Il y a plus de 4 ans ·enzogrimaldi7
La France a ce défaut louable de toujours vouloir arrondir les angles, mais cela la perdra. Le peuple languit d'un bon coup de poing sur la table mais en vain !
· Il y a plus de 4 ans ·daniel-m