La belle-mère N°2

La belle-mère découvre son futur gendre. Elle attend de voir enfin l'homme choisi par sa fille, campe devant la fenêtre, poings sur les hanches, tablier lacé. C'est le jour des présentations. La séance d'observation commence. "Regarde sa voiture!" s'exclame-t-elle en s'adressant sans se retourner à son mari, lequel peaufine la mise en carafe du Bourgogne. "Eh ben! Pas dû la payer cher! Pour le prix, doit pas y avoir d'équipements de sécurité! Tu te rends compte que notre fille va être assise à la place du mort?" Variante: "Vu ce qu'il a du s'endetter pour acheter cette bagnole, j'espère qu'il lui restera trois francs six sous pour la bague de fiançailles!" Ou encore: "Viens voir! C'est pas possible! C'est quoi cette voiture? Je rêve ou bien? Il y a des néons bleus sous la voiture...et les gentes! Tu as vus les gentes? Mon Dieu! Le roi du tunning. Manquait plus que ça!...Mais elle l'a trouvé où? Ce doit être une erreur. Ma fille que J'ai élevée n'aurait jamais choisi un garçon roulant dans un pareil engin!...Tu ne dis rien?!" 

S'il arrive en vélo: "Encore un qui doit pas être bien latéralisé! Ou un écolo? Bonjour le look! Y a pas à dire, le casque, c'est pas très seyant. Et puis ça fait les cheveux gras. "

Le pire reste la moto: "C'est pas possible...notre fille sur un engin de la mort...ça me rappelle la fille des Durand...maintenant il y a une bougie sur leur cheminée...les pauvres...ils ne s'en sont jamais remis...je préfère ne pas regarder", ajoute la belle-mère d'une voix étranglée avant de retourner en cuisine tout en ordonnant impérieusement à son époux: "Je compte sur toi pour lui parler! Et vite! Tu imagines la suite! Et pourquoi pas nos petits-enfants dans un side-car pendant qu'il y est?! " 

Quoique l'examen du bolide ait pu annoncer, la belle-mère enlève son tablier, se plante devant le miroir de l'entrée et commente: "Je n'aurais jamais dû mettre cette robe. Je suis énorme dedans. Avec cette chaleur dans la cuisine, j'ai le visage qui brille. Quelle horreur! Je ne peux pas le recevoir comme ça. Je suis certaine que sa mère doit être mince, parfaite...Chéri! Ouvre leur! Je vais me changer!" 

Le futur promis arrive, les bras chargés de fleurs. Le bouquet subit sur le paillasson le même examen minutieux que le véhicule. "Hum...des roses jaunes", couleur de l'infidélité pense-t-elle, ça commence bien. "Oh, un bouquet champêtre! ! Quelle bonne idée!" avant de courir marmonner à la cuisine en cherchant un vase: " encore un qui ne connait pas le manuel du savoir-vivre. Qui offre des fleurs des champs à une femme qui a un jardin comme le mien?" Des tulipes: "Il s'est pas foulé celui-là! Quand je pense à ce que je lui ai préparé comme cuisine..."

Arrive l'apéritif. La belle-mère note et conclut en silence. Boit-il? Quoi? Du whisky avec des glaçons? Pas de palais ni n'éducation! Pas d'alcool fort? Pas bien viril. Du vin blanc? Mauvais pour la circulation. Un cocktail? A cette heure? Il se croit où? Faut pas confondre belle-mère et barmaid! Simultanément et tout en alimentant la conversation, la belle-mère poursuit ses investigations: chaussures (cuir, taille, genre...), pantalon (jean, laine 100%, coupe, marque, longueur...), chemise (repassée, élimée, col, poignets, boutons), veste (coupe, tissu, tenue...). S'éloignant sous prétexte d'arranger les fleurs dans le vase, elle prend du recul, celui qu'il faut pour une approche globale et noter mentalement ce qu'elle dira ensuite à sa fille quand IL sera parti: largeur de la carrure, voussure putative (scoliose? cyphose?), nature de cheveux (gras, secs, mous, fins, frisés, avec ou sans pellicules...) et coupe (longue, courte, bol, excentrique, couleur=malheur!), vérifie d'éventuelles débuts de calvitie, observe la forme et la taille du nez, des mâchoires, approfondit son examen: lèvres (trop minces= radin), dents (jaunes = il doit fumer), front (trop bas = borné), yeux (trop globuleux...hum! trop enfoncés = faut se méfier), mains (paumes, doigts, ongles= propreté).

Belle-mère amène l'entrée. Deux jours qu'elle est en cuisine. Elle sert une part de terrine au futur gendre en annonçant fière: "terrine maison aux foies de volaille". Il a intérêt le garçon à aimer la terrine et à le dire clairement. Dans le cas contraire et tout en lui proposant des cornichons, la belle-mère va commencer à mettre les choses au point: "Vous aimez les foies de volaille bien sûr? Vous n'êtes pas végétarien au moins?" S'en suivent quelques beignets de fleurs de courgette, histoire de tester l'originalité et la culture culinaire du garçon, ainsi que celle de sa mère: "votre mère ne fait pas de beignets de fleurs de courgette? Elle ne connait pas peut-être?  Elle n'a peut-être pas le temps de cuisiner et préfère les surgelés?" Le plat chaud arrive, dûment servi dans de l'argenterie: "Je vous ai mijoté des andouillettes à la crème et un gratin dauphinois. Des spécialités locales! Vous aimez j'espère?" ..."Ah? Chez vous on ne mange pas de tripes? Dommage!" Elle pense: "les gens bien élevés mangent de tout". Puis poursuit: "Vous n'êtes pas allergique au lactose? Sinon, je peux vous proposer des épinards? Il doit m'en rester d'hier. Je les avais préparé pour mon père. Depuis qu'il a son dentier..." 

Puis viennent les choses sérieuses, formulées directement ou indirectement pour le même résultat: "Vous voulez des enfants? Combien? Vous êtes plutôt chien ou chat? Une maison? Vous avez obtenu un Bac série...? Vous travaillez où? Depuis combien de temps? Et ça rapporte? Et votre père, il fait quoi? Vous repassez vos chemises? Votre mère vous a appris à faire la cuisine? La vaisselle? Le ménage? Que pensez-vous du mariage? De la légalisation du cannabis? Appartenez-vous à un parti politique ou une organisation syndicale? Pratiquez-vous une religion? Quelle est la dernière exposition que vous avez vue? Etes-vous déjà parti faire du trekking...du canyoning? Quel sport pratiquez-vous? Vous savez nager? Votre famille est en bonne santé? A quand remonte votre test VIH? "