LA CANNE A SUCRE

gone

Un jour, un Dieu descendit sur Terre…

Il avait créé les Hommes… il les observait. Mais alors qu'il balayait de son regard le Monde, il vit un être qui tournait en rond et qui rentrait toujours dans les mêmes maisons. Toujours les mêmes portes qu'il ouvrait, puis refermait derrière lui, ouvrait des fenêtres en fermait d'autres. Puis sortait, ouvrait la porte de la maison d'avant, et recommençait, encore et toujours. Il avait remarqué que cet être étrange, regardait du coin de l'œil l'horizon et les autres villes qui se dessinaient au loin. Parfois, il s'arrêtait en chemin, et regardait les champs verdoyants, les plaines fleuries, les forêts denses, les rivières chantantes, les oiseaux virevoltant, et il souriait… mais s'en retournait vers ces mêmes portes, ouvrant la fenêtre, s'y posant, et continuant son rêve…

Le Dieu se dit qu'une vie créée ne devait pas être gâchée, surtout avec tant d'espoir, tant de joie cachée, tant d'amour à donner, tant de vie à vivre…

Il se déguisa en bohémienne, qui seule avec son baluchon, ses breloques clinquantes et brillantes, ses foulards bariolés, ses souliers aussi usés que la canne qu'elle tenait de sa main gauche, faisait le tour du monde, souriante. Elle croisa par hasard le chemin de cet être. Elle tomba devant lui, et alors qu'il courrait à son secours depuis sa porte, personne à côté d'elle ne semblait la voir – ou si les gens la voyaient, elle était peut-être trop… cette bohémienne avait besoin de quelqu'un, elle s'était blessée en tombant et il était là pour lui apporter le réconfort qu'elle méritait. Elle était si âgée, si fragile, si seule… alors, il s'avança, s'agenouilla devant elle, prit dans ses mains les siennes et lui sourit. Il l'aida à se relever, ouvrit la porte d'une maison, l'hiver était glacial, mais la maison, pourtant chauffée était froide, sans âme, sans vie, triste.

Malgré ça, il prit soin de la vieille dame, nettoya sa plaie, lui prépara une soupe, la laissa un temps seule pour lui préparer un lit bien chaud et confortable. Il lui proposa de la laisser prendre une douche bien chaude, que tout était à sa disposition si elle en avait besoin, et que surtout, elle ne s'inquiète de rien, il était là si elle avait besoin de quoi que ce soit.

La vieille dame lui sourit, touchée par tant de gentillesse. Elle prit un long bain, et comme promis, elle avait à sa disposition des serviettes qui sentaient la lavande, des produits que personne n'avait jamais ouvert pour prendre soin de sa peau, de se faire du bien. Après ce moment de détente, elle alla se coucher dans un lit douillet. Les coussins étaient moelleux, les draps sentaient bon le frais, la couverture épaisse était en duvet, et elle s'endormi.

Au matin, lorsqu'elle s'éveilla, elle sentit une odeur de pain grillé et de café. La maison était agréablement chaleureuse et cet instant avait quelque chose de précieux qui faisait briller les yeux de son hôte. Il avait un grand sourire, et après s'être assuré qu'elle avait bien dormi, il lui servit un petit déjeuner copieux. La vieille dame prit la tasse de café, posa ses mains autour et prit le temps de sentir cette odeur qui était d'une douceur sans égal. Une motte de beurre toute ronde et un pot de confiture maison à la fraise n'attendaient que d'être mangés. Elle ouvrit le pot qui fit « poc » car il était neuf. Après avoir bien déjeuné, elle remarqua que son hôte n'avait pas mangé. Elle pensa alors qu'il avait déjeuné avant elle ou qu'il n'avait tout simplement pas faim.

Ils se racontèrent leurs vies, mais l'hôte passa plus de temps à écouter la sienne si passionnante, qu'il buvait ses paroles. Elles lui faisaient un bien fou, il aimait entendre tant de joie, de beautés, de vie, d'amour quand les gens parlaient. Il était heureux du bonheur des autres et les admirait, les félicitait pour leur courage, leurs vies, leur beauté. Tout le temps où il l'écouta, il posa sur elle le même regard qu'il pose sur le monde avant d'ouvrir une porte… il regardait l'horizon. Et l'horizon était pour lui une promesse qu'il se faisait chaque jour…

La vieille dame qui venait de se resservir un café demanda un sucre. Il lui proposa différents sucres, et parce que le moment était agréable, il se servit un café. « Tu ne sucres pas ? » Non, jamais, j'ai pris cette habitude de ne jamais sucrer, pour apprécier le vrai goût du café ! » La vieille dame le regarda, et lui sourit émue. « Haaaa ! Alors, tu vas me faire plaisir, s'il te plait. Tu vas prendre du sucre, et tu me diras ce que tu en penses. Commence par en mettre la moitié d'un, c'est déjà beaucoup quand on n'a pas l'habitude ! » Il hésita un  instant puis commença à lui expliquer que c'était sans sucre que c'est meilleur, que ça file des caries, que le café change de goût, que… il trouva toutes les excuses possibles et inimaginables, mais la vieille dame qui connaissait la vie, insista un peu puis beaucoup. Elle insista tant et si bien qu'il finit par céder. « Tu es un entêté tu sais ! » Son hôte lui sourit car il savait qu'elle n'avait pas tort, mais il était en colère, car elle avait raison, par-dessus tout.

Il prit un morceau de sucre en bougonnant, le cassa en deux avec force pour lui montrer qu'il l'écoutait, le jeta dans son café et remua nerveusement avec sa cuillère. Lorsqu'il porta la tasse à sa bouche, son regard changea. Ses sourcils froncés s'arrondirent comme un soleil d'été, illuminant son regard, mais comme il était hypocrite, il fit mine de rien. « Oui, ça change le goût mais ce n'est pas extraordinaire non plus ! » La vieille dame qui l'avait vu changer comprit qu'il ne reconnaîtrait pas aisément qu'elle avait raison. Elle comprit que son hôte était atteint d'une maladie terrible : la peur. Elle fit mine de rien, elle non plus, et commença à lui raconter une histoire sur le sucre.

« Tu sais, pour avoir du sucre, il faut traverser les mers. Le sucre vient d'une plante que l'on appelle la canne à sucre. Et les gens qui travaillent dans ces champs, la ramassent sous un soleil de plomb. Les hommes, les femmes, les enfants portent des ballots de cannes sur leurs dos courbés pour qu'après on broie tout ça et qu'en soit extrait le sucre. Ils ont des dents blanches, immaculées et pourtant ont toujours un bout de canne dans la bouche car c'est bon, même à peine cueilli ! Et alors, ils travaillent inlassablement. Et quand tu passes à côté de ces champs tu ne les vois pas. Ils sont si proche de la terre tant le poids de ces ballots leur pèse. Pourtant, le vent qui souffle au travers des champs te renvoie des chants plein d'amour et d'espoir… et de joie ! Et tu sais, ces gens souffrent, car le travail est dur, mais ils sont tellement heureux. Le soir quand ils rentrent chez eux, ils préparent à manger, et les enfants jouent le temps que la marmite cuise, puis se réunissent autour de cette table où juste une assiette et une cuillère sont posées, au milieu, un énorme pain dont on coupe des tranches épaisses pour après le couper en petit morceaux et tremper dans la soupe chaude… ça sent si bon. Et ça rit, et les gens sont heureux ; parfois ça crie, parfois ça râle, mais les gens vivent et ils sont heureux. Les odeurs qui montent de ces cases ressemblent à des petits bouquets fleuris qui s'éparpillent dans le ciel, et les parfums sont divins. A chaque fois que je les sens, j'en ai l'eau à la bouche. Que j'aimerais pouvoir travailler dans un champ… mais je suis si vieille ! » Elle regarda par la fenêtre, et vit le soleil qui commençait à pénétrer dans la cuisine. Elle se leva. « Ho que le temps file ! Je n'avais pas remarqué qu'il était si tard ! Je dois y aller… »

L'hôte tourna la tête et s'étonna de voir que le soleil se levait à peine, c'étaient juste les premiers rayons qui commençaient à pointer leur nez. « Tard ? Mais le jour ne fait que se lever ! » lui répondit l'hôte. Elle lui sourit affectueusement… « Tu sais, il n'est jamais trop tard pour prendre la route ! Et je suis si vieille, qu'il faut que j'y aille, le temps m'est compté à moi ! Je ne suis pas si jeune que toi ! Je dois aller vers l'ouest, à ce qu'il parait, il y a un restaurant qui ne cuisine que des produits de saison ! Et comme on dit que les gens sont toujours choyés, que la carte n'est jamais la même, je veux y aller ! » L'hôte interpellé s'inquiéta pour la bohémienne. « Mais tu ne sais pas ce que tu vas manger !! Tu n'as pas envie de savoir ce qui t'attend ? Ce restaurant n'a pas de carte ? Moi je ne trouve pas ça très sérieux ! » La vieille dame qui avait eu le temps de rassembler ses affaires lui demanda de l'aider à aller jusqu'à la porte. L'hôte se leva et lui prit le bras, et lui ouvrit la porte. « Attention à la marche ! » Elle le remercia, puis lui dit. « Tu sais ce restaurant a quelque chose de bien, c'est que la patronne a un grand cœur et demande aux gens de prendre leur temps. Elle fait la cuisine et le service. Elle fait tout, toute seule. Et ses clients sont toujours satisfaits... Certes, ils ne savent pas toujours où ils vont, mais ils se laissent embarquer les yeux fermés. Leurs papilles partent à l'aventure ! Elle fait des desserts avec du vrai sucre de canne, et c'est délicieux les gens disent. Ils sortent, ils sont heureux d'avoir pris le temps de prendre le temps de manger un bon dessert, à chaque fois ! Si les gens le disent, c'est que ce doit être vrai ! Alors, je m'en vais vérifier ! Je suis tellement gourmande !... qui sait, peut-être que je prendrai un peu de temps pour repasser te voir et te dire ce que j'ai mangé ! Si j'ai le temps ! » La vieille dame descendit la marche et se retourna pour le saluer. « Je voulais que tu saches que je suis très heureuse d'avoir pu dormir dans un lit si douillet. Ton cœur est aussi grand que celui de cette cuisinière. » L'hôte ému, resta étonné car jamais il n'entendait de choses aussi gentilles, ou s'il les entendait, il ne les croyait pas… pas pour lui, en tout cas. « Merci ! » Il la regarda s'éloigner, le cœur serré. Puis entra dans sa maison, regardant un peu le soleil qui brillait, souriant. Il s'assit à sa table et se servit un café sans sucre. Après en avoir bu une gorgée, il le trouva amer. Du coin de l'œil il regardait le sucre posé sur la table… se retournant vers la porte, il se leva vite, couru vers elle et l'ouvrit, cherchant du regard la vieille dame qui avait disparu. Il entra, les larmes aux yeux, puis s'assit de nouveau. Bu une autre gorgée de son café, mais l'amertume était encore plus évidente qu'alors. Il souffla un grand coup, tendit le bras qui n'arrivait pas au sucre, il s'étira sur la table et attrapa du bout des doigts un petit morceau. Il regarda son café et hésita un moment, puis le posa à la surface et le lâcha, le laissant couler. Il chercha sa cuillère mais elle était trop loin, alors prit celle de la vieille dame, dans laquelle une trace de café se dessinait. Il sourit, puis commença à remuer le café délicatement… au bout d'un long moment, alors qu'il avait fait tourner le café encore et encore dans sa tasse jusqu'à ce qu'un courant, comme dans un siphon, se dessine, il porta à sa bouche la tasse, souffla dessus par reflexe et bu. Il ferma les yeux. Lorsqu'il posa sa tasse, il sourit tendrement, appréciant la délicatesse de ce sucre mélangé au café.

Quelques temps plus tard, la bohémienne était de nouveau de passage dans le coin, et elle croisa par le plus grand des hasards son hôte, qui, ravi de la revoir, l'invita à prendre un bon café. La vieille dame fut accueillie aussi chaleureusement, elle remarqua qu'un très petit quelque chose avait changé dans la maison… elle était étonnée. Elle s'attendait à tellement plus. Alors que l'eau avait bouilli, l'hôte passa le café, et cette délicate odeur d'un café bien frais embaumait la cuisine… l'odeur doit monter jusqu'à l'étage pensa-t-elle, songeant aux volets qu'elle avait remarqués clos. Le café servi, l'hôte s'assit à côté d'elle et il lui tendit du sucre. Elle en prit 3 morceaux comme à son habitude, l'hôte un-demi. Elle comprit alors d'où venait ce trop petit quelque chose. « Tu ne mets qu'un demi-sucre ? » L'hôte tout fier de lui acquiesça, alors qu'il avait commencé à boire. « Tu sais, ce n'est pas parce que tu risques d'avoir une carie qu'il faut de contenter d'un demi sucre. Il y a d'excellents dentifrices et sinon, il existe des dentistes. » L'hôte éclata de rire. « Tu es vraiment gentille tu sais. Ça me touche beaucoup. » Elle le regarda un peu déconcertée pensant que son hôte était vraiment un trop grand peureux. Aussi grand qu'est petit le changement. Elle commença à boire, savourant son café, puis décida de lui raconter son aventure. « Tu te souviens, je t'avais parlé d'un restaurant ! J'y suis allée ! Comme j'ai été bien accueillie ! Il s'appelle A la belle saison ! Moi qui crains un peu l'hiver, je t'assure que lorsque je suis sortie, j'ai compris qu'il était aussi beau et important que le printemps… Quand je suis arrivée, la dame servait du monde et il n'y avait plus de places. Alors que j'allais partir, elle me prit par la main, et me dit d'attendre. Elle débarrassa une petite table, à côté d'un miroir, sur laquelle elle posait les assiettes propres, les couverts, les serviettes blanches et une plante verte fleurie. Tu sais, c'est bien la première fois que dans un restaurant le chef prend le temps de s'occuper de son hôte comme ça. Elle dressa ma table, posant un joli napperon rouge, un verre à pied pour le vin, un verre à eau et des couverts enroulés dans une serviette d'un blanc immaculé. Elle prit ma veste et mon sac et le posa sur le porte manteau avant de me tirer la chaise et m'aider à m'asseoir en me prenant par le bras. Elle s'assura que j'étais bien assise et me dit de patienter un instant. Elle revint avec du pain frais que le boulanger avait fait à la main. Il sentait aussi bon que ton pain, celui de tes tartines. J'ai de suite pensé à toi. Avant de poser le pot à eau elle me servit mon verre, en me disant qu'elle viendrait me présenter sa carte dans un instant. Puis elle repartit en cuisine. Pendant ce temps, moi j'étais assise là, les gens autour étaient bien, ils discutaient tous mais il n'y avait pas ce brouhaha qu'on peut entendre en général. Les gens étaient posés, souriants et heureux. Elle passa à plusieurs reprises, servant, débarrassant. Puis elle vint me voir. Comme promis, elle me parla de sa carte. Elle n'avait que trois entrées, trois plats et trois desserts. Je t'avoue que ça m'a surpris sur le moment, mais en même temps rassuré car elle en aurait eu plus, elle n'aurait jamais pu tout faire toute seule. Ce que l'on disait était donc vrai… Elle avait comme entrée le Délice du Berger. Elle commença à me raconter comment et avec quoi c'était préparé… écoute bien : l'entrée est faite à base d'une feuille filo, laquelle est bien plus fine que les feuilles de brick. Elle prépare une fondue d'oignons des Cévennes, qu'elle fait roussir légèrement, puis l'agrémente d'un mélange de tomates confites et de tapenade. Le tout est relevé d'un peu de piment pour trancher, car la douceur de l'oignon avec le sucré de la tomate seraient trop dominants et atténueraient la saveur du plat. Donc, elle fait griller des amandes effilées qu'elle pose délicatement entre ces mets et le chèvre qui vient d'une bergerie à Moissac. C'est une spécialité. Le chèvre n'est pas crémeux, , mais tout en étant fondant et savoureux, il garde son aspect : c'est la cuisson de l'entrée qui est faite en aumônière lui permet d'opérer ce petit miracle pour les papilles. Il ne sèche pas. Chaque produit, en accord avec les autres, ressort délicatement. Aucun n'est dominant, et tous s'apprécient. Elle m'a servi ce plat dans une assiette, et l'on aurait dit une bougie. La feuille était croustillante, et sur le dessus, elle avait eu la délicatesse de poser l'étiquette de son fromage avec le nom de la bergerie d'écrit dessus… selon le sens, ou tu voyais une tête de chèvre ou tu voyais un pingouin. Elle et moi avons ri, car par inadvertance, elle a mis l'étiquette à l'envers… Et bien ça, c'était mon entrée !! Elle s'assura que j'avais apprécié, et me débarrassa. Lorsqu'elle m'apporta mon plat, je vis une grande assiette en terre cuite, dedans un bol aux reflets orangés.  Elle m'apportait une soupe de potimarron parfumée à la muscade… et comme dessert, un Marronnier. Elle s'était inspirée de la recette du Fraisier. Le biscuit était sucré, sans trop, mais croustillant et fondant à la fois, un petit miracle culinaire dont elle est la seule à connaître la recette… elle l'avait nappé d'une crème chantilly accordée à une crème de marrons dans lequel elle avait ajouté des morceaux de marrons glacés. Et sur le dessus, trônait un magnifique marron glacé et autour, comme une chapelure étaient parsemés des morceaux finement brisés du même biscuit, la couleur dorée était appétissante, c'était si délicat. Ce n'était ni trop ni trop peu, c'était un juste équilibre de saveurs et de couleurs. Et pour accompagner avec elle m'offrit un verre d'un Scotch de 35 ans d'âge, qui avait ce parfum de tourbe fumée… J'ai cru voir un instant les plaines d'Ecosse, lorsque le vent souffle sur les herbes verdoyantes et que viennent s'imposer ces stèles de pierres noires ; derrière cette brume enivrante et l'or qui jaillit de je ne sais où, comme un miracle… Elle m'apporta enfin mon café dont les grains venaient d'être broyés. Je le sais, je l'ai entendu. Je l'ai bu sans sucre, c'était si agréable. J'ai pensé à toi alors… tu sais, ce n'était pas bon ni délicieux. C'était riche de vie et d'amour. Je ne pourrais pas te dire. J'ai pris le temps de prendre le temps, elle a pris le sien… l'horloge avait tourné pourtant, mais je ne m'en étais pas rendu compte, elle souriait tout le temps, moi aussi. Alors… » LA vieille dame se mit à sourire en pensant à ce moment. Son hôte l'écoutait si attentivement qu'il ne voulait pas que ça finisse… « Voilà, mon histoire est finie ! Il faudra que tu y ailles ! Je t'assure ! » L'hôte qui avait fini son café, lui en proposa un avant de se servir de nouveau.

« Tu sais, je crois que tu as raison… je sais que tu as raison. Je mets trop peu de sucre dans mon café, je vais d'ailleurs en rajouter la moitié d'un de suite. Je devrais en manger un peu plus. Faire attention à ne pas m'en rendre malade, mais surtout ne plus oublier de sucrer mon café. Et puis, peut-être que je vais goûter ma confiture aussi, et me faire de bonnes tartines, avec du bon pain et du beurre. Du vrai beurre. Dès demain, en allant faire mes courses, j'irai m'acheter du vrai sucre… celui-ci n'est pas vrai, il est juste moins cher, mais n'a pas de saveur. » La vieille dame posa sa main sur sa joue, et lui essuya de son pouce la larme qui coulait. « Tiens ! C'est pour toi ! C'est du vrai sucre des champs de canne à sucre ! Je sais que tu connais, tu l'utilises pour faire de la confiture de fraises que tu offres à tes hôtes, je l'ai senti de suite. J'avais tellement chaud au cœur quand j'ai croqué dans cette tartine. Alors, fais-moi plaisir, manges-en toi aussi, le vrai sucre est tellement meilleur… et tu le sais en plus ! » Son hôte regardait le sac en tissus brodé que la vieille dame venait de sortir de son balluchon, il commença par défaire le nœud et l'ouvrit, et lorsqu'il regarda le sucre, il eût chaud au cœur. Le sucre doré reflétait la lumière du soleil, comme de petits cristaux ; son parfum lui caressait les narines comme une odeur surgie d'un souvenir d'enfance. « Merci du fond du cœur pour ce cadeau, je penserai à toi à chaque fois que je sucrerai. Je le garde comme un trésor, mais je te promets de le manger… j'irai quand même m'en acheter du vrai ! Le tien… c'est pas pareil. » La vieille dame ne s'attendait pas à tant de reconnaissance, alors elle lui confia que ce sucre pouvait être gardé, car il était magique. L'hôte interpellé la regarda étrangement. « Tu sais, je suis une vielle bohémienne, et j'en ai croisé des gens dans ma vie. Mais souvent, on ferme la porte au nez des gens qui, comme moi, ne sont pas comme les autres… les gens ont si souvent peur sans raison… bref. Ce que je veux te dire, c'est que ce sucre est magique, car plus tu en manges, plus tu en as ! C'est parce qu'il a été ramassé avec Amour. Alors, sois heureux, souris, n'ai pas peur de ne plus en avoir, ce n'est pas possible… Il faut vraiment que j'y aille ! C'est l'heure ! » Son hôte amusé lui prit la main pour l'aider à se relever, lui donna son balluchon et sa canne, puis l'accompagna à la porte qu'il ouvrit avant le l'aider à sortir. « Je sais la marche !! » Ils se regardèrent amicalement. Alors qu'elle passa le pas de la porte l'hôte la remercia de nouveau et l'embrassa tendrement sur la joue. « Dis-moi, c'est où cette table où tu es allée manger ? » La vieille dame s'arrêta aussitôt. « Haaaa ! Enfin tu me demandes ! J'ai bien cru que jamais tu ne le ferais. Alors, c'est au bout du chemin, tu as une petite ville et c'est à la Rue de l'Etoile. Quel joli nom de rue n'est-ce pas ? La dame m'a dit qu'ici, dans cette rue, juste au-dessus de son restaurant était né son premier petit fils… Quelle belle coïncidence ! Il n'y a jamais de hasard dans la vie ! Dieu ne se lève pas pour rien… N'oublie jamais. » La vieille dame le salua puis parti. L'hôte la regarda s'éloigner sur la route qu'elle devait prendre et lui cria « Au revoir ! » Sans se retourner elle leva sa canne et continua…

L'hôte rentra dans sa maison. Le lendemain alla acheter des marrons qu'il prépara avec le sucre de la vieille dame. Il commença à sucrer un peu tous ses desserts, ses cafés, ses thés. Parfois en mettait trop, parfois pas assez. Souvent avait encore peur de ne plus en avoir pour après… mais repensait, en se régalant, à ce que la bohémienne lui avait dit… que ce sucre était magique !

  • Le vieux Monsieur de Céline
    https://youtu.be/c1XwBYl5qC0

    · Il y a presque 5 ans ·
    Chainon manquant

    dechainons-nous

  • En attendant que les oiseaux se posent sur l'abricotier du jardin et que les rayons du soleil levant maturent* les fruits , je suis venue prendre un café,digne d'un Chef je vais mettre 5 coeurs comme on mettrait ***** etoiles - Merveilleuse journée

    · Il y a presque 5 ans ·
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    rosedulas

    • J'apprécie beaucoup!
      Pour les abricots ce seront des Rougets de Sernhac... une vieille variété qui au soleil faissait apparaitre sur la partie exposée et charnue une couleur rouge... en y regardant de plus près ça ressemblait à des tâches de rousseur! Une très belle journée à vous aussi!

      · Il y a presque 5 ans ·
      00

      gone

  • Ah, j'oubliais...je fais suivre...

    · Il y a presque 5 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

  • Superbe... Mon premier café de la journée est TOUJOURS sucré... (le premier...) et je vais le déguster en regardant le lever du soleil... Merci Gone !

    · Il y a presque 5 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • Merci beaucoup ! Bon café à vous aussi! PS: je le buvais JAMAIS sucré!

      · Il y a presque 5 ans ·
      00

      gone

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