Le sommeil

Pierre Scanzano

La chair ne s'oublie pas avec le sommeil
Madame, dites, je voulais vous accompagner avec les moyens de bord. Comme chaque lundi de la  semaine, à l'hôtel de la gare. Mais vous avez préféré partir à pieds, le long des trottoirs mouillés, parmi la foule des naufragés parisiens. Nous nous sommes rencontrés par hasard, ou le destin. J'ai bu ma bière jusqu'à la lie du désir, qui me dévorait. Vous étiez dans le sourire des murs, l'éclat de la lumière des vitrines. Nous nous sommes parlés en onomatopées ridicules. J'avais la gorge nouée. Il faisait chaud mais, j'avais les mains froides. Vous m'avez serré les doigts, pris par la taille, le soleil suivait. Nous sommes arrivés à l'hôtel, déjà, mon corps vacillait. Au sixième étage sans ascenseur, devant la porte close, comment vous dire-, je voulais m'enfuir. Derrière la porte, le basset roux haletait comme une otarie effrayée. Nous sommes entrés dans le vif du sujet. Dans cette chambre grise à la chair payante. Vous avez ouvert la seule blessure disponible. Un soupirail de poussière et lumière, donnant sur le monticule blanc du Sacré Coeur. Nous nous sommes assis sur un petit lit limoneux. Malmené, fatigué. Dont auparavant, vous aviez étendu avec délicatesse et métier, une couverture de laine bleue. Repoussé instinctivement les coussins rouge-sang, contre l'océan calme d'un mur s'éloignant dans le vide. Vous vous êtes mise nue, sans gène. Votre nudité m'a repoussé à ma naissance. Vous avez fait de vos longs cheveux noirs, un chignon érotique. J'ai oublié l'état de votre peau. Je sais que je l'ai parcourue, pore après pore. J 'aurais voulu l'user jusqu'à l'os. Comment oser, si je n'ose jamais? Mais, je vous ai photographié, pour m'en souvenir davantage. Madame, vous dormiez comme un ange despote. En corollaire de mon enfer, de mon angoisse de rater quelque chose d'inoubliable. Le bras gauche replié, étouffait votre délicat sein de soie transparente. La main sur la carotide s'appuyait sur le menton lourd, pour vous étouffer. Je vous aimais pour votre posture d'enfant. La lumière y dégoulinait dessus un miel d'ombres chaudes. Qui sait, si à cet instant, vous étiez morte. Morte chaque lundi. Morte pour la vie. Personne ne le saura jamais. La masse de votre corps recroquevillée, se délestait de la chair. Emportant avec elle, la ruche de ma mémoire. Entre temps, je lisais : Illuminations de Rimbaud. J'ai l'ai oublié devant vous, ce livret, cognant l'axe de votre léger sommeil. Madame, que je vous dise,  j'ai ouvert la porte le plus lentement possible. La gâche souffrait le martyr. Le chien m'a suivi remuant la queue, ses yeux de merlan frit m'ont attristé. Vous vous êtes relevée par réflexe, dans un marécage de songes. Vous m'avez mis en joue de vos yeux de feu. Aussitôt lasse, vous êtes retombée à la renverse, encore enflammée de mes caresses. Je vous ai aimé madame. Sachez que, malgré tout, la chair ne s'oublie pas avec le sommeil. Nous nous reverrons lundi prochain, entre midi et treize heures. Je serais accoudé à vos yeux, comme d'habitude. Votre bouche, vos lèvres me câlineront ces mots irrésistibles : viens, suis-moi bébé, viens...
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