La conjuration de ma haie - Partie 1
blonde-thinking-on-sundays
Il n'est qu'une chose dans ma vie qui me pose pleinement problème. Et quel problème ! En achetant cette maison, je n'avais à vrai dire, pas envisagé la question. Trop excité à l'idée d'en détenir un jour les clés, de profiter de ces grandes pièces lumineuses, d'ouvrir les volets pour la première fois sur le reste de ma vie, il ne m'était pas venu une seule seconde à l'esprit que j'avais un jardin et qu'il faudrait s'en occuper. Pourtant, très vite, la question se posa, même si j'emménageais en automne. Heureux de pouvoir recevoir mes amis dans mon nouvel univers – univers décoré d'ailleurs avec le plus grand soin – tous se précipitaient systématiquement dans les allées du jardin, même sous la pluie, pour y faire l'inventaire des espèces qui le peuplaient. Ils s'émerveillaient devant la beauté des lieux avant de planter leurs yeux dans les miens, un air compatissant dans leur visage qu'ils inclinaient légèrement vers la droite.
« Ca va te demander du boulot mon pauvre vieux… Tout ce terrain à entretenir… »
Ils me laissaient là, les bras ballants, abasourdi par cette réflexion récurrente. Puis ils repartaient, sans un mot particulier pour mon investissement immobilier, mais en prenant bien soin de me rappeler combien ils seraient enchantés que je les convie aux beaux jours, à déjeuner dans mon si magnifique jardin. J'achetais donc avec précipitation tous les outils nécessaires, découvris ébahi leurs usages et grattais pour la première fois de ma vie la terre, les genoux dans mes parterres. Je partageais alors mes week-ends entre le ménage de la maison et le jardinage. J'arrivais au travail le lundi épuisé et les lombaires coincées. C'est ainsi que commencèrent mon combat perpétuel contre la prolifération des mauvaises herbes et mon obsession pour la taille parfaite et régulière. L'hiver passa et j'étais ravi de recevoir très fréquemment mes amis admiratifs et impatients de contempler ma prochaine acquisition : une cuisine d'extérieur.
Au printemps l'horreur se révéla à moi brutalement. La haie qui entourait mon si joli jardin s'était épanouie sans que je m'en rende compte. En 6 mois, elle avait pris une hauteur déconcertante. Les noisetiers et les aubépines qui la composaient crachaient dorénavant leurs branches vers le ciel et de manière si désordonnée qu'elle raviva cette maniaquerie maladive que je parvenais à étouffer jusque-là. Non seulement ces 50 mètres de long de verdure proliféraient verticalement mais l'épaisseur était désormais telle que je ne parviendrais pas à dompter la bête en ne m'attelant à la tâche que d'un seul côté. Force était de constater que mes bras étaient bien trop courts pour raser la cime de cette haie devenue monstrueuse. Il me fallait absolument agir : je ne pourrais décemment pas recevoir mes amis dans de telles conditions. Ni une, ni deux je partis acheter un taille-haie de compétition et je m'attaquais de suite à la face intérieure du monstre. Nous étions samedi et je passais l'après-midi entière à couper ce pan de mur végétal. Le soir mes mollets baignaient dans une épaisse couche de branchages. Je décidais de les ramasser plus tard et me couchais vidé de toute énergie. Le lendemain j'entrepris de tailler le versant nord de la bête et fit vrombir mon taille-haie côté rue dès 9h le matin. Un homme, un voisin, passa alors, tenant un chien triste et gris en laisse. Il s'arrêta et m'observa un long moment. Je savais qu'il espérait échanger quelques mots avec moi mais je ne pouvais décemment pas interrompre ma tâche pour bavasser avec un vieil homme curieux. Il prit les devants et profita d'une gorgée d'eau que je m'empressais de boire, pour me lancer :
« Et comment qu'vous allez ramasser tout ça mon pauvre vieux ? Z'avez une remorque j'espère ? »
J'avalais de travers.
Evidemment je n'avais pas pensé à ce détail. Je ne répondis pas et pourtant il poursuivit.
« Non parce que moi j'ai une remorque et j'peux vous dire que quand j'fais ma haie, j'en fais des allers-retours à la déchèterie !
- Non je n'ai pas de remorque monsieur.
- Pas de remorque ? Mais ça va être bin compliqué alors… Et puis vous avez pas mis d'bâche par terre… Des fois les gens ils réfléchissent pas avant d'entreprendre des trucs et des machins…
- Merci pour vos conseils, je vais essayer de m'en sortir quand même, au-revoir monsieur, bonne journée. »
Il poursuivit son chemin. Je terminais la taille côté rue en début d'après-midi et me retrouvais ainsi avec un tapis de branches et de thuya, jonchant les deux côtés de ce qui était devenu mon pire cauchemar. Je passais le reste de mon dimanche à remplir d'énormes sacs poubelles. Bourrant autant que possible ronces, branches, feuilles, je me griffais les bras, m'enfonçais des épines d'aubépines sous la peau, saignais et déchirais les sacs poubelles. L'homme repassa dans l'autre sens sans mot dire. Il me regarda pourtant. Quel affront ! S'il avait pipié mot, je lui aurais certainement sauté à la gorge. Je terminais ainsi mon week-end, éreinté, la peau déchirée, embarrassé de sacs poubelles gigantesques qu'il me faudrait emmener à la déchèterie au compte goutte, à bord de ma 206. Qui plus est, je n'avais absolument pas pu faire le ménage dans ma maison et la haie n'était pas encore finie d'être taillée. Maintenant qu'elle était désépaissie, il me faudrait le week-end d'après la rabattre… Or après avoir passé une semaine difficile, dans une maison bordélique et sale, le dos en vrac, passant chaque soirée à trimballer un ou deux sacs à la déchèterie, et bien oui, après ce calvaire sans nom, le week-end arriva, et il se mit à pleuvoir des trombes d'eau incessantes.
La suite peut-être dimanche..
Je prend enfin le temps de lire cette histoire de haie, et comme j'ai vu qu'la fin était mise, je lis les 3 parties d'une traite. Tout ça me rappelle mon jardin, en sale état aussi... On va mettre des claustras :)
· Il y a plus de 10 ans ·dreamcatcher
Ouh la la que j'aime quand ça commence comme ça !
· Il y a plus de 10 ans ·Ça sent la dépression à plein nez c't'affaire !
Dans une maison avec jardin, Taille-haie, tondeuse ou débroussailleuse deviennent rapidement tes meilleurs ennemis.
En tout cas, le coup de la bâche oubliée, en effet, tu ne le fais qu'une seule fois.
Hâte de lire la suite.
wen
chère Blonde ... j'aime bcp ton texte car ta vision est tellement juste ! j'ai fait cette experience pendant de longues années ...
· Il y a plus de 10 ans ·mère nature est prolifique et de plus les gens ont des scrupules à couper leurs petits massifs qui sont pourtant devenus gigantesques et dévorent votre espace et votre lumière ...
woody