La conjuration de ma haie - Partie 2
blonde-thinking-on-sundays
Il m'était impossible de travailler dehors. Fou de rage, j'observais la pluie tomber inlassablement, avec cette sensation désagréable que cette satanée haie, abreuvée par tant d'eau, se remettait déjà à pousser, sous mes yeux. Je décidais de passer mes nerfs dans le nettoyage de ma maison ce qui me permettait de rattraper le retard ménager de la semaine dernière. Il plut pendant 10 jours, sans cesse. 10 jours pendant lesquels l'angoisse se mit à m'envahir. L'impatience aussi. L'impatience de me remettre enfin à la tâche et d'en finir avec tout ça. Malheureusement lorsqu'enfin la météo se montra plus clémente, nous n'étions que lundi, et j'étais condamné à occuper ma chaise de bureau plutôt que mon escabeau. Il m'était impossible de me concentrer sur mon travail. Aussi je débauchais le soir le premier, même cinq minutes avant l'heure, bien trop pressé de rentrer chez moi pour constater l'ampleur des dégâts. Bien évidemment, le bénéfice de la première taille n'était plus visible. J'enrageais. Mon chef de service commençait à me faire des remarques sur mon manque flagrant d'implication au travail et mes amis se plaignaient de ne plus me voir. Je m'en moquais bien. Je ne pensais plus qu'à une chose : tailler cette fichue haie. J'y pensais nuit et jour et quand enfin, je parvenais à trouver le sommeil quelques heures le soir, je rêvais que le végétal, après avoir envahi tout mon jardin, pénétrait l'intérieur de ma maison, détruisant tout, grimpant jusqu'à ma chambre. Je pouvais alors sentir sur mon cou glisser la tige d'un lierre grimpant qui enserrait ma chair tel un serpent meurtrier.
Enfin, samedi s'annonça. Lorsque je me mis à couper pour la seconde fois, les deux pans de la haie, côté jardin puis côté rue, immanquablement le vieil homme et son chien passèrent et s'arrêtèrent à deux pas de moi.
"Ah mais vous remettez ça ? C'est que vous êtes du genre perfectionniste vous ! Par contre, toujours pas d'bâche...
- Non toujours pas, toujours pas de remorque non plus ! Lui répondis-je de manière enjouée - je dois vous préciser que me remettre au jardinage après cette longue attente, avait fait naître en moi une excitation exacerbée qui me rendait étrangement sociable.
- Savez j'en ai une de remorque moi, ajouta-t-il. J'pourrais bin' vous la prêter...
- Oui ? Oh ce serait...
- Mais bon on s'connaît pas assez..."
Avait-il fait exprès de me faire miroiter l'engin salvateur qu'il m'avait été si facile d'imaginer harnaché à ma boule d'attelage ? En tout cas la désillusion me fit l'effet d'une vraie douche glacée et ma bonne humeur fut subitement aspirée dans le syphon de la bienséance.
" Oui en effet vous avez raison, on ne se connaît pas assez et je n'ai pas le temps de faire connaissance comme vous pouvez le voir. Au revoir monsieur, enfin à tout à l'heure... Car vous allez remonter la rue quand je me serai bien pété le dos toute l'après-midi et vous me balancerez un petit regard moqueur... Alors peut-être, si je suis encore en état, nous pourrions papoter, parler de nos vies ? Qu'en pensez-vous ? Je vous parlerai de mes déboires botaniques et vous de votre passion pour les chiens tristes et laids ? On fait comme ça ?"
Il poursuivit son chemin sans mot dire. Quand il repassa deux heures plus tard, perché sur mon escabeau, je commençais à m'attaquer au sommet de la haie. Je décidais de la rabattre d'un bon mètre et demi, histoire d'être tranquille. A peine avais-je creusé plus d'un mètre cube de verdure, que le voisin se planta en bas de mon escabeau, m'adressa un rictus étrange et tourna les talons sur les derniers râles de mon taille-haie. La machine semblait avoir rendu l'âme. Impossible de la faire redémarrer. Je me retins de la balancer le plus loin possible - qui sait avec un peu de chance, j'aurais atteint la tronche du voisin. Rongeant mon frein je plantais tout sur-le-champ et ramenais le taille-haie là où je l'avais acheté pour le faire réparer. Le technicien me regarda d'un drôle d'air, de cet air que prennent les spécialistes qui estiment que leur objet de prédilection est endommagé parce que vous vous en êtes forcément servis comme un manche. Il osa me lâcher un "Faut respecter le matériel hein Monsieur !". Mon regard noir et passablement irrité eut raison de son sermon d'homme manuel. Il me promit pouvoir réparer le taille-haie d'ici une semaine. Je rentrais chez moi déprimé. La haie. Encore raté cette fois. Pourquoi diable avais-je acheté cette maison avec ce foutu jardin à entretenir ? Cette haie maudite m'empêchait de profiter sereinement de mon acquisition. Pire encore mon voisin était démoniaque et semblait avoir jeté un sortilège sur mon entreprise de taille. Je n'en pouvais plus. Effondré, je ne pris même pas soin de ramasser les déchets verts et passais le reste du week-end, avachi dans mon canapé, le regard perdu dans le mètre cube évidé au beau milieu de cette immonde haie touffue.
ah les cauchemars et touuut!
· Il y a environ 10 ans ·Puis le voisin.. j'l'imagine bien avec le taille-haies dans la gorge lui :p
dreamcatcher
c'est vrai qu'à ce rythme là ça sent le pavé cette oeuvre là, avant que tous les voisins et les chiens du quartier soient zigouillés ils va s'en entasser des m3 de déchets verts !
· Il y a environ 10 ans ·mais à part ça j'aime beaucoup ...
woody
"Mais bon on s'connaît pas assez..."
· Il y a environ 10 ans ·Raclure !!!!
Et après on se demande pourquoi il y a des meurtres dans les banlieues pavillonnaires...
Très bien vu !
La suite, la suite !!!
wen