La conjuration de ma haie - Partie 3

blonde-thinking-on-sundays

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La suite des parties 1 et 2

 

Le lundi j'étais incapable de me lever. Qui plus est, la rumeur d'un taille-haie dehors, dans le voisinage, me porta un coup terrible au cœur. Quelque part, quelqu'un osait entretenir son jardin tandis que moi, privé de matériel, je me retrouvais véritablement handicapé. La frustration se mit à me dévorer. Je ressentais ce besoin irrépressible de tailler dans le vert mais je n'avais plus aucun moyen de le faire. De plus j'avais cogité toute la nuit, développant une colère immense pour ce voisin étrange, responsable de mes déboires.  Je tentais même de trouver le moyen de calculer la croissance moyenne par heure de cette haie, par temps sec comme pluvieux. Même si la haie était composée de plusieurs variétés d'arbustes différents, j'étais parvenu à mettre au point à l'aube une équation imparable. Je m'imaginais déjà devoir défendre cette théorie lors de ma toute première conférence universitaire de mathématiques. Mon éminente réflexion fut cependant détournée à 9h par le bruit indécent d'un taille-haie. La formule de mon équation s'était envolée. Impossible de la rattraper. Fou de rage je sautais de mon lit, quittais ma chambre et sans prendre le temps de m'habiller je sortais dans la rue, simplement vêtu d'un bas de pyjama et d'un vieux t-shirt des Gun's Roses. Je me plantais alors, les pieds nus sur le bitume, espérant saisir l'origine de ce bruit intolérable de taille-haie. C'est alors que je le vis. Un homme, d'une trentaine d'années, perché sur un petit échafaudage, en train de s'adonner à la même passion que moi. Sa haie était dense et haute et ne semblait pas avoir été entretenue depuis très longtemps. L'homme transpirait et semblait exténué, marquant très souvent des pauses tant ses bras ne parvenaient plus à supporter le poids du taille-haie. J'étais planté à quelques mètres de lui, à étudier chacun de ses gestes. C'est alors que je sentis quelque chose me chatouiller le bas de mes jambes. Je baissais le nez et reconnus aussitôt l'affreux petit chien gris que le vieil homme promenait les autres jours. D'aussi près, je constatais combien il pouvait être hideux. Ses poils par endroits manquaient par plaques entières, sa gueule était légèrement de biais, entrouverte sur de petites dents jaunâtres mais pointues, un bout de langue inerte pendait à droite. Une de ses oreilles était à moitié déchirée et il semblait dégager de cet animal une odeur fétide. Je me surpris à me faire une réflexion à moi-même. La seule chose à peu près potable sur cette étrange création  - Qu'avait donc bu Dieu ce jour-là ? - était cette petite queue crépue qui s'agitait contre mon mollet. Sa douceur étonnante m'était presque agréable. J'en oubliais l'homme qui jardinait. Lui cependant me remarqua enfin et me demanda :

« Tout va bien Monsieur ? Je peux vous aider ?

- Oui, oui tout va bien merci, je … je promenais juste mon chien, mentis-je. »

Ses yeux tombèrent sur mes pieds nus et il fronça les sourcils.

« Vous devriez faire appel à une entreprise, vous allez vous tuer à la tâche, osais-je.

- Mais de quoi je me mêle ? s'emporta t-il. Est-ce que je vous demande moi  pourquoi vous vous baladez pied-nus avec un petit chien tout sale à 9h le dimanche matin ? »

Je n'eus même pas le temps de réagir. L'échafaudage vacilla alors sans aucune raison apparente et l'homme tomba à la renverse, son taille-haie à bout de bras. Un morceau de lame se planta dans sa carotide et un sang rouge vif jaillit aussitôt de la plaie apparente. Je voulus me précipiter sur lui, faire un point de compression sur son cou mais quelque chose m'en empêcha. C'était comme si mon corps ne m'obéissait plus. Je me revois hausser les épaules, ramasser le taille-haie et remonter tranquillement chez moi, accompagné du petit chien. Je le nourris alors et lui installais un petit coin afin qu'il puisse s'il en avait envie, se reposer. Une heure plus tard, la sirène des pompiers retentit dans la rue. Puis des gendarmes se présentèrent à ma porte. Ils interrogèrent le voisinage. J'expliquais brièvement que je venais de me réveiller. J'étais toujours en pyjama. Ils n'insistèrent pas. Le reste de la journée, je parvenais enfin à finir tranquillement la taille de ma propre haie, grâce à l'engin qui fut fatal à cet homme quelques maisons plus loin, et que j'avais volé. Il ne me restait plus qu'à me débarrasser de tous ces déchets verts qui jonchaient mon jardin et la rue. Observant le chien ronfler dans le panier que je lui avais installé - allez savoir pourquoi - au pied de mon lit, ma réflexion fut interrompue par un coup de téléphone de mon employeur. Avec tout ça non seulement j'avais oublié d'aller travailler ce lundi matin, mais en plus j'avais omis de prévenir qui que ce soit de mon absence et de la justifier. Le RH n'écouta pas mes semblants d'explications. Il coupa court à tout échange et m'informa que la direction avait décidé, compte tenu de mon manque flagrant d'intérêt pour mon poste, de me coller un avertissement. L'information glissa sur moi sans aucun effet et raccrochant, mon regard tomba de nouveau sur le cabot endormi. C'est alors que me vint L'IDEE. Je pris la bestiole sous le bras et partis à la recherche de son propriétaire, avec la ferme intention de le faire chanter. Son chien, contre sa remorque. Je sonnais à mon tour à toutes les portes du voisinage, expliquant que je venais de trouver ce pauvre chien et que j'espérais le rendre à son maître qui devait être mort d'inquiétude. Enfin on m'indiqua la bonne maison et lorsque je m'avançais sur le perron de cette maisonnette pimpante, au jardin particulièrement bien entretenu, tout mon être ce figea soudain face à la terrifiante image qu'il m'était donné de voir. Là, à quelques pas de moi, le vieil homme immobile, était agenouillé au milieu de ses rosiers, ses mains gantées dans la terre et le visage entièrement grignoté par de grouillantes et grosses chenilles rayées d'orange et de noir. Horrifié, je lâchais le chien, prenant mes jambes à mon cou, rejoignant ma maison et verrouillant la porte. De toute évidence, l'homme était mort, mais aucunement mort d'inquiétude pour son clebs. Je me mis à vomir le contenu de mon estomac sur mes pieds avant d'apercevoir le chien, assis face à moi, la langue tombante, le regard insistant. Comment était-il rentré ? Aucune idée. Ce qui était certain, c'est qu'il semblait sourire, avec sa gueule en biais et ses dents immondes. Et c'est ainsi que je compris. Je compris soudain que ce chien, ce pauvre chien insignifiant et repoussant serait désormais le problème de toute ma vie...


END

  • Salut, je viens de lire les 3 à la suite...C'est très drôle !..Le début est sucré et la fin plutôt acidulé comme un drôle de bonbon qui fondrait doucement sur la langue...(Si ça se fume c'est de la bonne)

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Photo14 1

    pierre-m

  • Désolée de répondre ici aux messages mais je n'peux pas y répondre (abonnée/abonnement). Alors Oui, j'utilise des photos de François Dourlen because j'ai lu ton article (allez on s'tutoie) et j'utilise des photos d'Almodovar because sur la page de Dourlen, il y a une photo d'Almodovar, de clic en clic... on s'culture un peu. &Non, on ne se connaît pas, je suis plus jeune, du Nord-Nord, et je ne connais pas personnellement les deux artistes. Voilà voilà. :)

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

  • Faut arrêter de regarder Esprits Criminels ou Happy Tree Friends hein :p
    La personne qui a demandé de caser "chenille" doit être ravie! Miam. :)

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

  • Punaise, je ne sais pas ce que tu as fumé pour cette dernière partie mais elle était forte...

    Bonne idée le chien envoûteur !

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

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