LA CONTREBASSE

Christophe Paris

Chronique théâtrale. Avec Clovis Cornillac, mise en scène par Daniel Benoin.


20h50, je suis à peine à 100 mètres de mon but et pourtant je flippe de ne jamais l'atteindre. Là devant moi lovée dans une couverture noire velours, éclairée par des lampadaires au jaune fatigué, l'église de la trinité comme je ne l'ai jamais vue. Elle me fout les jetons on dirait une résidence pour vampires, à se demander si Marilyn Manson traîne pas dans le coin. Je prends mon courage à deux mains et me mets à siffloter comme quand on a la trouille de descendre à la cave. J'ai pas d'ail sur moi pourtant je passe la rue sans problème, ouf.

THEATRE DE PARIS : Scène privée parisienne par excellence. Du garance, du bois et des agents d'accueil tellement guindés que je me demande s'ils ne boivent pas du Botox en cachette.

« Bonchour… Je viens retirer une invitation au nom de Christophe Paris ».Le canon derrière la vitre me fait un signe du doigt sans un sourire, dommage elle était choute. Nature, mais me sentant un peu con de ne pas avoir vu l'énorme panneau « Invitations » j'arrive au comptoir d'accueil. Mince j'ai rétrécit ou quoi ? Le guichet culmine à plus d'un mètre soixante. J'ai l'impression d'être dans le procès d'Orson Wells mais en plus kafkaïen. L'agent en place a une tête de juge à peine de mort tout droit sorti de la famille Adams. Blanc chaux, la mine blême, taillé comme un crayon vêtu de noir et blanc. Bon, il est sympa finalement et me fait un grand sourire, lui ! Le coquin… je demande mon chemin mais là je n'ai même plus droit au doigt, juste un sourire gêné qui dit à lui tout seul « Eh espèce d'andouille c'est marqué en gros là ».

Je me tape les marches et la file d'attente les panards sur du velours, c'est mou, c'est le pied. Ça trace pour les places, l'ouvreur te choppe la pièce et le ticket d'un même geste et me jette le bout de son doigt vers une direction imprécise. Heureusement le « A côté du gros Monsieur là… » M'a bien aidé.

Annonce pour les téléphones et l'interdiction de filmer et le spectacle commence par quelques mesures d'un vinyle.

 Clovis Cornillac s'est approprié le rôle, le texte, le ressenti avec une maestria éblouissante. C'est un as de la rupture. Il oscille du fragile au solide, du subtil au truculent, du normal au plus normal du tout, avec une rapidité déconcertante. D'entrée il installe sa présence et harangue le public. Même le vide est plein avec ce comédien surdoué. Dans le décor minimaliste d'un appartement qui fuit en perspective et dont les murs sont des placards d'où surgissent et s'escamotent les éléments de décors, l'acteur est comme un poisson dans l'eau. Le texte est magnifique et passe en revue tout ce que l'on peut dire d'une contrebasse et de la vie du musicien qui va avec. On passe de l'origine de l'instrument, à ses usages, aux affres qu'il fait subir à ses disciples jusqu'à les mutiler de corne au bout des doigts. La psychologie du concertiste est-elle aussi mise à nue, ses frustrations, privations, déceptions et passions sont rendues avec beaucoup de vérité et de fragilité dans le jeu comme dans le texte. Rien n'est sur joué, Cornillac est habité par le personnage. Le comédien a parfaitement capté l'énergie du flux de pensées qui s'entrechoquent, à la manière d'Ariane dans Belle du seigneur. La présence de l'acteur est hors pair, sans faiblesse.

Perpétuellement à l'écoute de sa salle, il utilise chaque chuchotement chaque toussotement pour placer regards et silences qui lui permettent de tenir son public et d'asseoir encore un peu plus son texte. On a le droit à quelques extraits musicaux qui font tituber d'un sens à un autre un musicien alcoolique perdu sacrifiant amour, désir et fierté dans une solitude que seule la contrebasse accompagne. Il fait chaud dans la salle, tout le monde sue suinte mais c'est Cornillac qui mouille sa chemise. Totalement pénétré par son personnage le visage même de l'acteur en vient à se transformer changeant ses traits. Quasi métamorphose propre aux grands acteurs qui s'éteint sur un sublime éclairage de fin de spectacle baignant de lumière le couple homme instrument. Quatre rappels plus que mérités et vous quittez la scène léger, un peu plus cultivé qu'en y entrant et éblouis par la prestation d'un Clovis qui jamais n'a rendu les armes.

 

Christophe Paris.

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