La couleur qui n'existe pas
anton-ar-kamm
Dans mon pays, il est une couleur qui n'existe pas. Pourtant, les gens lui donnent un nom.
Avant d'aller plus loin, il vous faut savoir que mon pays est au bord du monde. Certains disent qu'il est la fin de tout, le bout de la terre. Pendant longtemps, on pensait même que, passé ce bord de bout du monde, l'on tombait je ne sais où pour ne plus jamais revenir. Personnellement, je n'ai jamais vu personne tomber mais j'en ai toujours vu revenir. Car, au contraire, mon pays est le début d'un tout interminable et infini, et, comme tout bord d'infini qui se respecte, il survit entre peur et rêve, dure réalité et tendre poésie, entre une envie de fuite perpétuelle et un fol amour viscéral.
Et cette couleur qui n'existe pas navigue sur cet océan de dualités.
Elle ne s'étale ni sur la palette d'un peintre, aussi talentueux soit-il, ni sur le nuancier d'un décorateur d'intérieur, aussi doué soit-il. Elle n'a jamais deux fois la même note, ne suit aucune partition, elle se joue de vous et de vos yeux, faisant fi de tout ordre naturel et brouillant constamment les pistes.
Elle est le chaos, le mouvement perpétuel, le poisson que tout le monde voit mais que personne ne pêche. Elle est, à l'horizon, le rendez-vous du ciel et de la mer, ce fantasme à portée de main et pourtant inaccessible, où les sirènes dansent avec les anges.
Dire de cette couleur qu'elle peut avoir une teinte claire ou foncée signifie déjà la mettre en cage et donc de se tromper de chemin. Ni vraiment bleu, ni vraiment grise, ni vraiment verte, ou peut-être tout cela à la fois, elle célèbre l'étrange mariage du ciel, du vent, des nuages, des embruns, de la brume et de l'eau. Elle peut vous perdre pour toujours dans de sombres tempêtes comme vous mener aux plus grands trésors, pour peu que vous appreniez à l'écouter et à la comprendre.
Car cette couleur ne se regarde pas, elle se ressent. Elle n'est pas un dû mais une chance. Elle est le reflet de l'instant présent, un instantané de votre âme. Déplacez-vous de quelques pas et elle vous offrira mille autres merveilles.
Et malheur à ceux qui pensent l'apprivoiser parce qu'apprivoiser ce qui n'existe pas conduit irrémédiablement à la folie.
Cette couleur, les anciens l'appellent le glaz.
Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs, si quelqu'un, homme ou femme, vous dit un jour que vous avez de beaux yeux glaz, surtout ne vous moquez pas ou ne vous vexez pas. Cette personne aura su percevoir, en l'espace d'un soupir, la part insaisissable de votre âme. Et vous aurez, alors, peut-être trouvé – je dis bien « peut-être » - celui ou celle qui sera prêt à vous accepter dans tous vos excès, vos ambivalences et votre majesté.
Et cela même s'il se déplace de quelques pas…
J'aime beaucoup...
· Il y a presque 10 ans ·anne-onyme
Merci pour votre coup de coeur !
· Il y a presque 10 ans ·anton-ar-kamm
On entend les vagues contre les falaises, on sent l'iode dans ce texte, ode à la Bretagne si je ne m'abuse. Merveilleuse pépite. Cette région mérite bien la reconnaissance de sa beauté mystique que tu lui apportes là
· Il y a environ 10 ans ·camishka
Infiniment merci
· Il y a environ 10 ans ·anton-ar-kamm
Quel beau texte ! J'adore cet idée d'un couleur qui n'existe pas. Le texte est très poétique.
· Il y a plus de 10 ans ·Cleo Ballatore