La Croix-Roussienne
divina-bonitas
A Andrée,
La Croix-Roussienne n'est pas née là, au pied de la Montée Saint Sébastien, entre l'église Saint Polycarpe et la Rue Saint Claude, entre une poignée de places lilliputiennes et un réseau géant de traboules. Elle aurait dû avoir la vie aisée d'une aînée de marchand de soieries, vivre en donnant des ordres comme sa mère à une cohorte de domestiques logés au dernier étage de la bâtisse familiale, sise dans un bourg aux pierres dorées, comportant un cabinet de toilette par chambre et un chauffage central.
Mais le destin en a décidé autrement. La guerre est arrivée alors qu'elle venait de se marier. L'appartement de la rue étroite des Pentes de la Croix-Rousse est humide et sombre, difficile à chauffer. Un seul poêle à charbon dans un couloir venté ne sert qu'à tempérer les quelques mètres carrés alentour, pas à assainir les 70m2 essentiellement orientés plein nord. Le peu de chaleur délivré par la bête en fonte noire du hall monte et se colle en haut des plafonds à plus de quatre mètres. Les Hospices civils qui le louent s'en tapent un peu de l'absence d'isolation, des scolopendres qui courent, de l'eau qui ruisselle sur les murs, de la crasse dans les escaliers, de l'air qui s'infiltre sous les ouvrants, de l'insalubrité générale.
Elle fait faire le minimum: installer une douche entre l'évier de la pièce minuscule qui sert de cuisine et le réservoir à charbon qu'il faut remplir en montant les seaux lourds depuis les caves obscures. Il faut quand même pouvoir se laver.
A peine enceinte, son mari est mobilisé. Direction Norvège, Narvik, bataillon de chasseurs alpins. Il en faut bien qui maitrisent la glisse et les armes. Elle accouche, seule. La guerre qui ne devait pas durer longtemps s'éternise. La Résistance s'organise, surtout là à Lyon, comme la Gestapo qui fusille à tour de bras et torture ceux qui lui résistent - ou pas, y compris sur les trottoirs et aux pieds des immeubles. La peur règne sur la fameuse colline lyonnaise. La Croix-Roussienne d'adoption n'est pas juive mais elle sait et voit, suit son instinct et fait ce que son cœur lui commande. Elle est comme ça, entière et généreuse, spontanée et compatissante, humaine et humaniste, toujours prête à aider plus démuni qu'elle, ne se plaignant jamais, réfléchissant en secret dans son lit glacé à ce qu'elle peut faire pour aider. Elle partage bien sûr, le peu qu'elle va chercher le W.E à vélo dans sa campagne natale, un peu de lait, de beurre, de pain, de lapin et d'œufs.
Puis elle apprend, qu'une famille de juifs est menacée, recherchée, une famille avec de jeunes enfants qui n'est pas partie à temps. Alors elle les cache et les nourrit pour leur éviter la déportation, la torture et la mort. Les greniers et les caves de ces immeubles sinistres sont bien adaptés à la situation. Personne ne peut penser que cette femme menue, aux cheveux ternes et à la voix douce, habillée modestement et rasant les murs, est une Juste. Personne n'imaginera non plus sa souffrance ni ne viendra à son secours lorsqu'elle perdra, pour cause de malnutrition, un bébé alors qu'elle est enceinte 7 mois.
Moi si.
Je me souviens de ce jour où, une femme croisée par hasard dans un immeuble, fondit en larmes en nous voyant, ma mère et moi. Je garderais toujours le souvenir de cette dame élégante, qui d'un coup avait eu les larmes aux yeux et s'était mise à trembler. C'était la fillette de la famille que ma grand-mère avait contribué à sauver.
Ma grand-mère disait toujours: "Fais ce que ton cœur te dit", et "ne fais jamais quelque chose qui t'empêcherait de te regarder dans un miroir".
En ce jour glorieux où nous fêtons le débarquement, je pense à elle et aux autres, à tous ceux qui ont œuvré dans l'ombre pour sauver des vies et nous aider à rester libres, sans jamais avoir eu droit à aucune médaille ni aucun honneur.
Pas du devoir, simplement de l'humanité.
· Il y a plus de 10 ans ·nyckie-alause
La noblesse du coeur... Chez beaucoup de gens, discrets, souvent humbles ! Je pense aussi aux paysans cévenols qui sauvèrent de nombreux juifs, sans en tirer, après la guerre, la moindre gloriole...
· Il y a plus de 10 ans ·astrov
Oui, il y en eu partout des gens qui en sauvèrent d'autres, avec pour seules satisfactions celle du devoir accompli et la conscience d'avoir œuvré pour le bien. Bravo à tous dans tous!
· Il y a plus de 10 ans ·divina-bonitas
très bel hommage en ce jour de commémoration!
· Il y a plus de 10 ans ·Sweety
Merci weety...désolée, je te réponds un peu tard, mais fus un peu busy ces derniers jours!
· Il y a plus de 10 ans ·divina-bonitas