La DDE - M. Répondeur
Thomas Toledo
Aujourd'hui, mes membranes cellulosiques cytoaminées que j'aime, je vous propose de nous intéresser à la vie d'une journée de M. Répondeur. Poil au beurre.
M. Répondeur est, contrairement à la croyance populaire, qui tend vers l'hypothèse d'une simple machine, un petit bonhomme. Et ce petit bonhomme fait partie de la famille des huclains.
Et non, il n'est pas en mousse. Les huclains, donc, sont ceux grâce à qui tout fonctionne chez nous. Eh oui : quand vous appuyez sur un interrupteur, ce sont les huclains qui courent pour transporter le courant jusqu'à l'ampoule ; ce sont les huclains qui s'y mettent à plusieurs pour faire tourner les lames de votre mixeur. On en trouve de toutes sortes, et les plus connus sont sans doutes les bonhommes WC, sans qui pisser deviendrait un beau bordel. Bref, M. Répondeur est un huclain : malheureusement pour la personne qui l'héberge, il se fait vieux et devient légèrement irascible.
Il arrive donc que, de temps en temps, ce brave huclain pète une durite. C'est ce qui se passa d'ailleurs il y a quelques jours, lors d'une journée particulièrement chargée en appels urgents (tels que la vente par correspondance du service d'eau Véolia®) et d'autres broutilles.
3h15 du matin:”[…] merci de laisser un message après le bip sonore.” -BIP-
Bonjour, pourrais-je parler à monsieur Grouchon s'il vous plaît? C'est au sujet d'une offre concernant l'eau… -BIP BIP-.
3h30 du matin:”[…] laisser un message après le bip sonore.” -BIP-.
Bonjour, c'est Julie. Écoute Patrick, il faut qu'on parle. -BIP BIP-.
3h35 du matin:”[…] Répondeur… Patrick… Message… Bip…” -BIP-.
Bonjour, j'aurais vraiment voulu parler à Mr. Grouchon à propos de cette histoire d'offre. Et je tenais vraiment à le faire à 3h35 du matin. -BIP BIP-.
Jusqu'à 4h00 du matin, M. Répondeur récita inlassablement sa longue tirade, espérant que ces andouilles auraient assez de bon sens pour ne plus chercher à joindre quelqu'un en pleine nuit. Et pour s'assurer que plus personne n'appellerait avant une heure convenable, il brancha l'intonalité. Pour ceux qui se le demandent, voici la définition de l'intonalité:
Intonalité. nf : Bruit caractéristique du silence qu'on entend ou qu'on entend pas la plupart du temps au téléphone.
M. Répondeur donc, avait branché l'intonalité et put se reposer ainsi jusqu'à 8h00. Ce ne fut que lorsque la tonalité revint qu'il en eu vraiment marre.
À 8h00, après que M. Répondeur eut éteint l'intonalité, une espèce de vibration se fit sentir dans l'air, et enfin surgi, sans crier gare -parce que ça aurait été stupide-, la loi des probabilités, qui lui dit:” La probabilité que les appels affluent au même moment que vous désactiviez l'intonalité est vraie.”
On put donc se demander si éventuellement tous ces gens ne se liguaient pas contre ce fameux Patrick. M. Répondeur n'eut malheureusement pas le plaisir d'élucider ce mystère car les appels commencèrent à affluer.
Ainsi M. Répondeur, et on le comprenait, aurait préféré -comme on dit entre poètes- jouer de la balalaïka le cul sur un coussin de ronces plutôt que de supporter encore longtemps les demeurés profonds qui s'acharnaient sur leur combiné.
Au début, ce fut un démarcheur pour une entreprise d'espace qui l'appela.
-Oui allô?
-Oui, bonjour, je représente la société Espaces&Confins, et j'appelle au sujet d'une offre que nous proposons actuellement.
-Hohoho, mais, mon cher monsieur, vous savez quoi?
-Non, mais je suppose que vous allez me le dire!
-Et bien non tien, je vais vous laisser en suspens. Au revoir monsieur!
Trois secondes plus tard, le démarcheur revenait à la charge.
-Bonjours, monsieur Grouchon?
-Lui-même.
-Je représente la société Espaces&Confins. Nous vendons de l'espace et actuellement, vous pouvez bénéficier d'une offre exceptionnelle : trois espaces achetés, deux confins sont offerts.
-Mon très cher monsieur, vos confins, vous pouvez vous les carrer aussi profond que vous le pourrez, si tant est que vous arriviez à vous insérer quelque chose qui n'existe que tant qu'on n'y est pas. Excellente journée.
Quelques minutes après cet échange d'une rare finesse, le téléphone re-sonnait.
-Oui allô?
-…
-Aaaaallô?
-…
-Je vois…
M. Répondeur prit alors une grande inspiration, et c'est désormais en plein combat de silence que nous retrouvons notre brave huclain.
C'est M. Répondeur qui attaque le premier, en ne disant absolument rien. Face à un rien aussi absolu, l'assaillant ne peut que parer par une absence de paroles. Puis il esquive le mutisme de M. Répondeur et lui lance une corde sur la langue. Ce dernier, qui l'a maintenant bien pendue, la coupe juste à temps, ce qui déstabilise son adversaire qui laisse s'échapper un léger soufflement.
Grave erreur; M. Répondeur saisit aussitôt l'occasion pour l'enchaîner avec un silence profond. Étourdi par toute cette absence de bruit, l'assaillant essaye de prendre la frite. En effet, le choc de tout ce silence a crée une friture dans la ligne téléphonique. Mais l'huclain ne se laisse pas faire : il est bien décidé à apprendre à ce trou du cul qu'on n'appelle pas impunément les gens, surtout si c'est pour ne rien leur dire, et encore plus si c'est pour ne rien leur dire un dimanche matin.
Avant que son adversaire ait eu le temps d'atteindre sa sortie de secours, M. Répondeur a colmaté cette dernière. L'assaillant est coincé. Il a beau chercher partout, il ne voit aucune issue. Sa respiration s'accélère, il sent qu'il a perdu le contrôle de la situation. Alors, dans un ultime sursaut d'espoir, il hurle, tout en espérant que ça ne se remarquera pas. M. Répondeur l'achève en raccrochant. Le combat a duré une bonne heure, et l'huclain est à bout de souffle, ruisselant de sueur. Soudain, alors que tout semble calme, il entend un bruit.
M. Répondeur regarde par le petit cadran du voyant rouge des nouveaux messages, et, étant positionné face à la fenêtre, aperçoit deux lignes de tension en train de pendre pitoyablement. Plus intrigué qu'autre chose, M. Répondeur prend alors le chemin desdites lignes…
À suivre au téléphone, et sans pendouiller!
Merci pour tes commentaires ! Tu as raison, je vais les poster de manière plus espacée :)
· Il y a environ 9 ans ·Thomas Toledo
Absurde, surréaliste , génial. Je ne regrette pas d'avoir trainé sur WLW ce soir. Si t'en as d'autres comme ça je suis preneur...mais distillent les à petite dose qu'on ait le temps d'apprécier ton inventivité...
· Il y a environ 9 ans ·arthur-roubignolle
Exactement ce que je pensais ! Je me disais "putain, il est bon ce con, moi qui me crois fin avec mes jeux de mots à la con." Je serais incapable de faire des textes aussi déjantés.
· Il y a environ 9 ans ·petisaintleu