Quand la clé file un mauvais coton

Mathieu Jaegert

De la clé au code

L'avenir de la clé passe par le smartphone. Rien d'étonnant sous le soleil dardant de la téléphonie et de ses rayons ardents et détonants. Ce petit monde n'est pas à un mobile près pour faire main basse sur les objets du quotidien. Combien ont-ils déjà basculé sous sa coupe et sa couverture ? Le téléphone, non satisfait de s'ouvrir des portes, souhaite aussi les refermer à sa guise. La clé, bout de métal sans relief, a vécu, vive le code plein de caractères ! Celui qui permettra de fermer, claquemurer, obturer à distance, et à l'inverse, d'ouvrir, déverrouiller, ou débloquer. De loin et d'un doigt, il sera possible de jeter un œil, de contrôler, de vérifier. Une porte, un portail, un coffre. Le tout sur son écran de smartphone, ce joujou si attachant, l'exact contraire de ces morceaux de ferraille dépourvus de sentiments. Lui au moins sonne, alerte, vibre. Il vit et accompagne nos propres existences. Si une clé est négligée, souvent mise de côté, déconsidérée, lui non, surtout depuis qu'il se veut « smart ». Difficile d'égarer son téléphone comme on perd son vulgaire trousseau de clés.

On fermera donc une porte à téléphone, une seule fois ou à double appel. Finies les clés, place aux codes. Les accrocher quelque part n'aura plus de sens, le cloud supplantant le clou,  alors que le cliquetis s'effacera au profit du clic.  Au départ, l'injonction « mets le contact ! » sèmera le trouble dans l'esprit du conducteur novice qui palpera son mobile à la recherche du contact idoine, naviguant nerveusement de son répertoire à sa liste d'accès avant de tomber sur ses codes et de les allumer.

Evidemment, ça n'augure rien de bon pour l'artisan serrurier de père en fils qui, s'il ne veut pas mettre la clé sous la porte, devra se reconvertir illico sur les portails des sites Internet. Ou léguer son entreprise non plus clé, mais portable en main à qui voudra la reprendre. Que dire des cambrioleurs ? Eux aussi devront s'adapter, à commencer par les cleptomanes, ces voleurs de clés, ainsi que – il n'y a pas de raison – leurs collègues les mélomanes, spécialistes du braquage de clés de sol et de fa contraints de revoir leurs ut et coutumes.

On voit bien également cette façon de redessiner le paysage d'une ou deux expressions usuelles. Impensable ainsi de mettre un smartphone sous la porte ou sous le paillasson comme un simple jeu de clés. En revanche, il sera toujours envisageable de renâcler – ou run-à-clé – autrement dit trainer des pieds à petite foulée pour fermer une porte, même à distance respectable de ladite porte. Quant à prendre la clé des champs, rien ne s'opposera à son emploi à tort et à travers, d'autant plus que cela ne veut strictement rien dire. Tout le monde sait qu'un champ digne de ce nom est ouvert aux quatre vents, sans l'ombre d'un système de fermeture.

Bref, cette histoire a de quoi donner un sérieux mal de tête à des bandits aguerris et un coup de calgon à d'honnêtes serruriers. A défaut de cale-gonds. Et on imagine non sans peine ce futur sans pêne.

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