La fille de la gare
lanad76
Un jour comme les autres, le réveil qui sonne trop tôt, la radio qui fonctionne seule en bruit de fond une dizaine de minutes supplémentaires après la sonnerie censée déclencher l'envie de sortir du lit, enchainant musique nostalgique, météo cataclysmique, horoscope décevant et publicité martelante.
C'est seulement lorsque le silence devient pesant que Lili prend conscience qu'il est temps pour elle d'allumer la lumière et de se lever. Les yeux encore lourds de sommeil, elle baille longuement et s'étire avant de rejeter sa couette rageusement et de poser un pied au sol. Un fois assise sur le bord du lit, elle jette un coup d'oeil fatigué sur l'écran lumineux du réveil et sursaute violemment en constatant qu'il ne lui reste environ qu'une vingtaine de minutes pour se préparer.
Quelle idée d'avoir accepté de boire un café hier soir, juste par convention à la fin de son diner d'affaires, Lili sait pourtant bien que la caféine l'empêche de dormir, et en effet elle n'a eu de cesse de chercher le sommeil, en tournant et se retournant sans répit jusque trois heures du matin, heure à laquelle elle tomba enfin dans les bras de Morphée.
Maintenant il est plus de sept heures, et Lili doit être à la gare à 08h01 pour accueillir ce nouveau client très important pour l'agence, Lili s'ordonne intérieurement de ne pas oublier de vérifier le nom de cette personne dans son agenda avant de partir, il faudra faire bonne impression dès le début, son directeur compte sur elle, il le lui a encore fait remarquer hier soir en lui serrant la main avec un regard entendu. Si elle ne veut pas arriver en retard il va falloir faire des choix, ça sera donc une douche rapide et tant pis pour le brushing, un petit coup de brosse suffira pour dompter sa crinière flamboyante. Le maquillage se bornera à un peu de rimmel et de gloss, heureusement qu'elle a encore son teint halé grâce aux séances d'UV réalisées chez l’esthéticienne faute de pouvoir prendre des vacances au soleil. Quant au petit déjeuner, adieu tartines beurrées avec la bonne confiture de framboises du jardin et thé bien chaud sucré au miel parfumé, un bol de céréales arrosées de lait avalé en toute hâte debout dans la cuisine devra faire l'affaire.
Fin prête, Lili enfile le blouson pendu à la patère de l'entrée, prend son sac posé sur le guéridon non loin et par mégarde fait tomber la pile de courriers non traités qui s'y trouvaient sans s'en soucier outre mesure. Elle n'a pas le temps de les ramasser, elle veut se rendre au plus vite à sa voiture garée dans l'allée bordée d'hortensias défraichis, il faut vraiment qu'elle engage un jardinier.
Lorsqu'elle ouvre la porte de sa petite maison campagnarde, c'est le déluge, une pluie cinglante vient battre ses joues, elle ne peut pas sortir vêtue juste de son petit blouson de toile en lin qui est maintenant trempé. Elle referme précipitamment la porte et courre jusqu'à son dressing pour s'emparer de son trench-coat Burberry, plus adapté à la saison, et attrape au vol un parapluie assorti, elle n'arrive décidément pas à s'habituer à cette météo, cela fait pourtant dix ans maintenant qu'elle habite en Normandie mais le soleil de sa Provence natale lui manque toujours autant voire de plus en plus.
Elle arrive finalement à son automobile, bien arrosée malgré le parapluie, luttant contre les éléments et constate dépitée qu'elle n'a pas ses clés de voiture dans le fond de sa poche comme à l'accoutumée. Elle fulmine et peste contre sa négligence, les clés sont restées dans la poche du blouson mouillé qui gît maintenant par terre dans sa chambre laissant une auréole foncée sur sa jolie moquette moka... Enervée, elle retourne chercher le trousseau en courant, manquant de peu de s'étaler de tout son long dans l'entrée en glissant sur les enveloppes éparpillées au sol, elle a perdu presque dix minutes et elle risque maintenant d'arriver en retard à la gare.
Enfin installée au volant de son coupé sport flambant neuf, elle prend une grande inspiration, geste habituel chez elle pour retrouver son calme, avant de démarrer son bolide. Elle sillonne les routes de campagne à vive allure mais toujours prudemment, il ne faudrait pas qu'en plus elle ait un accident. La journée a déjà assez mal commencé. Elle soupire en voyant les minutes défiler sur l'horloge du cadrant du tableau de bord. Elle décide de mettre un CD dans l'auto-radio pour s'apaiser. Un peu de musique classique et le tour est joué. Le reste du trajet se passe sans encombre et Lili choisit les bons axes routiers afin d'éviter les embouteillages pour enfin stationner sa voiture dans le parking de la gare juste avant l'arrivée du train parisien.
En se précipitant dans le hall des arrivées, Lili réalise un peu tard qu'elle ignore le nom du visiteur , avec toutes les péripéties de la matinée, elle en a oublié de consulter son agenda et elle se traite mentalement d'idiote d'avoir laissé son dossier sur le siège arrière de sa Mercedes, plus le temps d'y retourner, les passagers du train commencent à remonter des quais, certains en famille chargés de nombreux bagages lourds, d'autres seuls ou en couple, nettement moins encombrés.
Lily essaye alors de faire appel à sa mémoire, elle a entendu une conversation téléphonique de son patron hier , quel nom employait-il déjà ? Sam? Non... Pam ? Pas cela non plus, mais il y a bien un A dans le diminutif « allez, réfléchis vite » s'intime t-elle, puis un sourire radieux éclaire son joli visage, c'est Val, elle s'en souvient bien maintenant, elle s'était même demandé si ça correspondait à l'abréviation de Valérie ou de Valentine et si elle détestait son prénom tout comme elle. Quelle idée ses parents avaient-ils eus de l'affubler de cet horrible prénom qu'est Liliane, elle ne supportait pas qu'on l'appelle comme cela, peut être ont-ils ce point là en commun ? Perdue dans ses pensées, elle aperçut furtivement son reflet dans la vitrine du buffet de la gare et se félicita de son choix vestimentaire, son ravissant chemisier en soie n'est pas visible sous son imperméable mais le pantalon gris perle et les bottines à hauts talons assorties ont beaucoup d'allure. C'est alors que retentit un cri amplifié dans l'espace gigantesque du hall de gare et ce n'est qu 'en constatant les regards fixés sur elle que Lili prit conscience que ce son émergeait de sa bouche, en réaction à la douleur fulgurante ressentie dans son épaule droite qu'un élégant jeune homme venait de bousculer violemment. Il se tenait devant elle, droit comme un I, les deux bras ballants, embarrassé de son attaché case d'une main et de son portable de l'autre, penaud et bredouillant d'incompréhensibles excuses. Il devait y avoir encore un interlocuteur au bout du fil car il reporta le combiné à son oreille pour clore la conversation, puis il rangea son téléphone dans la poche de son manteau en cachemire superbement coupé. Sa main libre attrapa son menton marquant son embarras en même temps qu'il esquissa un :
- Ca va Mademoiselle ? Faut-il appeler des secours ?
Lili frottait énergiquement son épaule endolorie de sa main gauche, la mâchoire crispée, elle essaya d'effectuer une légère rotation pour s'assurer qu'il n'y avait rien de grave, si elle y parvint ce ne fut pas sans grimacer de douleur, elle aurait surement des contusions pendant quelques jours et son épaule qu'elle imaginait rouge à l'heure actuelle ne manquerait surement pas de jouer les arc en ciel en passant au bleu, violet, vert, jaune. Son rapide diagnostic lui permis de répondre d'un ton sec et ironique :
- Vous ne pouvez pas regarder devant vous quand vous marchez ? C'est pourtant pas compliqué, en général il suffit de mettre un pied devant l'autre en essayant d'éviter les obstacles. Je n'ai rien de grave je pense, mais je peux vous assurer que mon entrainement au trapèze volant va devoir attendre un peu !
Monsieur maladroit enchaina :
-Je suis vraiment confus, je ne sais pas comment cela a pu se produire... une seconde d'inattention... voulez-vous vous assoir ? Je vous offre un café? Je n'ai pas beaucoup de temps mais...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase, Lili à la fois agacée et touchée de tant de sollicitude coupa net en rétorquant :
-Ne perdez pas votre temps monsieur, j'ai moi même un planning très chargé.
Et puis elle ajouta d'une voix plus douce :
-Je vais bien, soyez sans crainte, merci et au revoir.
Elle lui tourna alors le dos pour mettre un terme à cette mésaventure, tout en pensant que si elle n'avait pas ce rendez-vous si important, elle aurait sans doute été moins agressive et aurait accepté de passer un peu de temps avec cet homme plein de charme. Il va falloir qu'elle révise ses priorités, sa carrière lui prend tellement de temps que sa vie privée est pitoyable. Sortant de ses rêveries, elle s'aperçut brusquement qu'ils étaient dorénavant seuls dans la gare, le flot de passants s'était dispersé et les rares curieux qui s'étaient arrêtés quelques minutes plus tôt avaient disparus. Monsieur maladroit la contourna et se planta devant elle en lui tendant un petit carton :
-S'il vous plait prenez ma carte il y a mon numéro, promettez moi de m'appeler pour me donner de vos nouvelles.
Elle prit machinalement la carte sans même la consulter, elle regardait par dessus son épaule pour vérifier si son client ne faisait pas les cents pas en l'attendant et répondit un vague oui en hochant la tête, pour se débarrasser de lui.
-Promis?
Insista t-il,
-Oui oui...
Rétorqua t-elle sèchement en faisant de nouveau volte face pour définitivement couper court à ce dialogue qui l'agaçait et laisser cet olibrius vaquer à ses occupations quelles qu'elles soient. Elle glissa la carte de visite dans son sac sans même y prêter attention, une fois parti, son regard scruta la gare mais elle réalisa qu'elle était vraiment la dernière dans cet immense hall maintenant désert, hormis le personnel d'entretien s'affairant à vider les poubelles débordantes de détritus divers, un nouveau rapide coup d'oeil aux quatre coins, force était de constater qu'elle avait échoué à une simple mission, son patron serait furieux.
Alors furieux pour furieux, elle arriverait en retard, mais elle avait besoin de s'assoir et de boire un café. Elle aurait du accepter l'invitation de Monsieur maladroit... Dépitée elle s'affala sur la première chaise venue, elle héla le serveur de son bras valide pour passer sa commande, comment est-il possible d'accumuler autant de déconvenues en moins d'une heure ? Elle sortit son blackberry de son sac, il était éteint, elle avait voulu être tranquille pour diner hier soir mais avait oublié de le rallumer ensuite. Allez une tuile de plus, à peine réactivé plusieurs messages s'affichèrent, « Tiens mon patron m'a appelé à minuit dix alors que nous quittions juste le restaurant », un appui long sur la touche 1 et elle entendit la voix de son supérieur hiérarchique lui annoncer : « j'ai oublié de vous dire, pas la peine d'aller à la gare , Val va venir directement à l'agence on s'y retrouve pour 8h30, dormez bien et au fait, merci pour ce soir vous avez été parfaite comme d'habitude ».
Lili regarda sa montre pour constater qu'il était 8h15, si elle n'avait pas eue l'épaule en vrac, elle aurait bien lever les bras au ciel pour crier victoire. Elle paya hâtivement et bu son café d'un trait sous le regard abasourdi du serveur puis fonça à sa voiture. Un sourire radieux embellissait son visage et les hommes se retournaient sur son passage. Elle jubilait, elle n'avait rien à se reprocher et elle serait à l'heure au bureau.... Son patron ne saurait jamais rien de cette matinée digne d'un film catastrophe et elle ferait tout pour ne plus y penser, l'important maintenant était de continuer à être parfaite et en mettre plein la vue à Val pour la signature du contrat à six chiffres. Tout en démarrant en trombe elle remit un peu de gloss sur ses lèvres pulpeuses.
Lili arriva comme une furie au bureau, sa secrétaire l'informa discrètement que le précieux interlocuteur était déjà arrivé et qu'on l'attendait dans le bureau du boss. Elle lissa ses cheveux, et comme à l'accoutumée prit une grande inspiration avant d'actionner la poignée. A peine sur le seuil de la porte béante, son patron ne lui laissa pas le temps de parler :
-Ah Lili, bonjour, permettez moi de vous présenter Valérian Dupré.
L'homme qui lui tournait le dos fit volte face et afficha un grand sourire en lui tendant la main pour la saluer :
-Enchanté Lili, appelez moi Val, vous ne pourrez pas me refuser une seconde fois de vous offrir un café. Et notre étroite collaboration me permettra de suivre le rétablissement de votre épaule.
Merci, contente que mon texte vous ait divertie le temps de sa lecture
· Il y a environ 13 ans ·lanad76