La formidable pesanteur de l'être

Certain rêvent d’envol, d’ascension crétine qui finit par faire fondre la cire de leurs plumes factices. On mystifie, on théorise, on mécanise. Moi, je rêve de chute. J’aurais préféré tomber du nid. Ne pas avoir été un de ces oisillons criards au bec insatiable. J’aurais préféré me casser la gueule par terre. Un jour de mauvais temps, un soir de mauvais vent. Ressentir le choc brutal du goudron, et m’en briser les deux ailes.

Mon père m’avait dit « Fils, ne t’approche pas trop près de la terre ». Alors, je me suis arraché les plumes. A l’unité et par poignées. Puis, j’ai défait mon nid, emportant mes bagages brindilles.
Œuf éclot, éclats de coquille.
Amande amère sous sa dent dure.
Zébrure éclair dans sa lune pupille.

Lourd est devenu mon corps, aussi pesant qu’une montagne. De tout, je me suis dénudé. Comme s’érode la pierre, comme fond le glacier. Et une formidable pesanteur de l’être en émergeait. Lorsque je les voyais au dessus de moi, ivre d’altitude, je riais.

Séduit par cette valse volatile, un groupe d’hommes s’étaient attardés. Tentant de les rejoindre, beaucoup prenaient de l’élan et sautaient. Mais leurs bonds n’avaient rien de lunaire. Quelques uns ne se nourrissaient plus, pour se sentir plus léger. D’autres, se collaient des plumes sur le corps ou se gonflaient les poumons d’hélium. Au bout de deux jours, la démence les avaient tous gagné.

De cette danse éthérée, moi, je ne voyais plus que la frénésie de leur battement d’aile.
Haut. Haut, haut, toujours plus haut, les oiseaux s’élevaient.
S’évanouissant dans la démesure.
Libre dans cet espace sans toiture.

Puis, le vent s’est levé.
Balayant les nuages.
Renversant les forêts.
Aplanissant toute verticalité.

Il ne restait plus de branche sur laquelle se reposer.
Je me suis endormi. A mon réveil, de plumes le sol était jonché.