La grande dépression

Pierre Bitoun

On the beach Neil Young 1974

The world is turning, I hope it don't turn away...


Je viens d'avoir 16 ans. J'entends pour la première fois ces paroles. Je ne les comprends pas, mais elles me parlent en secret.

Veste jaune trop grande, Neil est littéralement à côté de ses pompes. De dos, il regarde l'océan non loin d'une Cadillac Eldorado enfouie dans le sable... Archeology in America .

Neil est un drôle de type, tout le monde vous le dira. Carrie, la femme dont il se sépare durant la genèse de ce disque, vous le dira. Et les gens de chez Reprise, sa maison de disque, aussi.

I'm a vampire, baby, suckin' blood from the earth.

Juste après l'immense succès de Harvest, le dernier rêve hippie, Neil range sa guitare folk et ressort sa Gretsch demi-caisse. Électrique, flippé, noir et pourtant éblouissant : tel sera son nouvel album. On the beach est un suicide commercial, un doigt tendu à l'industrie du disque qui vient de lui refuser la sortie de Tonight's the night jugé trop sombre. Pour leur répondre le canadien compose un album encore plus désespéré, aux guitares déchirantes. Ses textes évoquent Charles Manson, des marins ayant le mal de mer, le kidnapping de Patricia Hearst, Nixon et la solitude . Aux antipodes de ce que tout le monde attend de lui, le "loner" entre dans la deuxième période de sa carrière, la plus passionnante. Celle qui le mènera à Rust never sleeps, un autre sommet du rock 70's. Après le live Time fades away, c'est le second volet de la "ditch trilogy" (trilogie de la déprime), Tonight's the night sortant finalement l'année suivante.

I need a crowd of people but I can't face them day to day

A chaque fois que j'ai été malheureux, le spleen post-punk d'On the beach est venu me consoler, la voix si ténue de ce géant pataud a chuchoté à mon oreille.

J'ai 16 ans et je retourne encore et encore le vinyle sur ma platine : je viens de rencontrer un ami pour la vie, mais je ne le sais pas encore...

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