Là-haut, sur ma terrasse
marie-jo
Là-haut, sur ma terrasse…
"Hé, là-haut ! La Toinette ! T'es là ? ou y a dégun ?"
"Bien sûr que je suis là ! Où veux-tu que je sois, couillon !" Le Jeannot est bien trop brave pour m'en vouloir, il sait toute l'affection que je lui porte.
"Fais-moi descendre ton panier ! Ginette vient d'apporter les "Brousses du Rove", tu pourras accompagner ton chicoulon de rosé !" Rien que l'idée me fait venir l'eau à la bouche, je vois les chèvres aux longues cornes, élevées dans les collines, broutant les plantes odorantes de la garrigue qui donnent à ce fromage son parfum inimitable.
De ma terrasse au-dessus du Pescadou, le restaurant de Jeannot, mon esprit s'envole au-dessus des toits de tuiles rouges de l'Estaque, à la sortie ouest de Marseille, vers les calanques sauvages, une mer de saphir et les plages de la Côte Bleue… Je suis les rues pentues, étroites, tortueuses parfois en escaliers qui relient les différents quartiers du village et qui me ramènent à la bastide sur la petite falaise que Cézanne a si bien représentée avec le vieux chêne et le petit cabanon. Mes pauvres mots ne traduiront jamais aussi bien que ses couleurs la luminosité du ciel, les pins aux troncs torturés qui poussent sur les collines blanches, les toits rouges, la vue magnifique sur la rade… Même si beaucoup d'Estaquéens ne le connaissent toujours pas et demandent : "Qui c'est Zanne ?" Ben non, ce n'est pas Zidane ! Lui vient de la Castellane mais, c'est vrai, ici le fotbal et l'Ohème sont plus connus que les peintres, fussent-ils de renommée universelle !
Et c'est sans fatigue aucune que j'arrive à la Chapelle de Notre-Dame de la Galine. Quel étrange nom me direz-vous ! Oui, c'est une poule, une galine, qui aurait gratté le sol et découvert une statuette en bois représentant la Vierge Marie assise avec son enfant sur les genoux. Pour parvenir là-bas, il faut prendre l'ancienne route qui serpente entre les collines parfois désertiques, semi-lunaires, parfois verdoyantes. Et c'est avec mon futur mari, un "estrangié" de Valence, qu'un jour de septembre, sacs au dos, paniers aux bras, chantant et riant, j'ai parcouru avec toute la famille et la moitié du village, le chemin poussiéreux pour demander la protection de la Vierge pour mon couple, ma famille, mes amis, l'Estaque, Marseille, et la France.
Mais il n'y a pas que la religion dans la vie et, sitôt les dévotions terminées, quel plaisir de s'égayer sous l'ombre de la pinède proche et de déposer les couvertures sur le sol, avant d'ouvrir les sacs et les paniers. Pendant que certains minots partent chercher de l'eau fraîche à la source toute proche et reviennent crottés jusqu'aux genoux, les hommes rincent leur gosier desséché par la poussière du chemin grâce aux gourdes de vin et les femmes tout en mordant à belles dents dans les victuailles, tchatchent, mais attention, sans médire, juste la vérité… Puis les hommes, pour dissiper la fatigue et les brumes, s'adonnent à une petite sieste réparatrice certains en ronflant "à faire taire les cigales" comme disait mon père ! C'est bien vrai qu'un lit d'aiguilles au pied des pins est accueillant, il faudrait être fada pour ne pas apprécier. Sans oublier bien sûr, malgré le cagnard, une interminable partie de pétanque et, si l'adresse n'est pas toujours au rendez-vous c'est que le terrain est vraiment caillouteux, peuchère ! Fusaient alors les galéjades, les bons mots, même parfois les engueulades car oui, personne ne voulait baiser Fanny ! Pardon ? Mais non, petite explication pour les "estrangiés" amateurs de jeu de boules : Fanny n'est pas la demoiselle de petite vertu que vous pourriez imaginer ! Fanny c'est une petite statuette troussée jusqu'aux hanches dont vous devrez embrasser publiquement les fesses bien rebondies mais culottées si vous avez perdu une partie sans marquer un seul point !
Mais tu t'égares, Toinette, tu t'égares ! reviens sur ta terrasse si tu ne veux pas que le Jeannot ne commence à bisquer… Allez, zoù ! sur la gauche de ma terrasse, tout à côté de mon vieil olivier au corps torturé mais qui malgré les années qui passent, revit, tout comme moi, dès que les beaux jours reviennent, le Jeannot m'a installé toute une mécanique : un gros crochet au bout d'une corde qui coulisse sur une poulie, tout ça se perd sous les chèvrefeuilles odorants qui tapissent le vieux mur en pierres. Serviable, le Jeannot, mais un peu feignasse ce qui le rend malin : c'est là qu'il accroche le panier avec mon repas de midi ou du soir et il ne me reste plus qu'à le remonter grâce à la manivelle !
Pendant qu'au rez-de-chaussée les clients dégustent leur pastaga avec les olives vertes et noires macérées juste ce qu'il faut dans une huile d'olive parfumée d'herbes aromatiques, des cacahuètes et noix de cajou, des œufs durs qu'il faut écailler, des petits croûtons passés à l'ail, je découvre au fond du panier un rouget grillé agrémenté d'un filet de citron, de petites pommes de terre persillées et une ratatouille multicolore, mais aussi une carafe de rosé si frais qu'elle est toute embuée. Une grappe de raisin accompagne les deux petits fromages du Rove ! Une demi-baguette croustillante se cache sous la serviette blanche mais la mie est tendre et presque tiède. Le long du muret qui surplombe la terrasse du restaurant, toute une armada de pots de toute taille et toute couleur, tels des personnages bigarrés et hétéroclites, m'offrent à foison thym, serpolet, romarin, aneth, sauge, coriandre, persil, ciboulette, sans oublier celle que je préfère, le basilic ! Et je vous prie de croire que je ne me prive pas d'en rajouter ça et là, n'en déplaise à Jeannot…
À droite de ma petite table ronde en fer forgé entourée de deux chaises avec leurs coussins au tissu provençal, une énorme glycine et quelques lauriers roses me protègent du soleil de l'après-midi tout en parfumant la partie ombragée de ma terrasse. Mon grand hamac blanc n'attend plus que moi...
Aujourd'hui, le mistral nous a oubliés et un tout petit vent marin me ramène les effluves de la mer toute proche. Alors, quand les voiles blanches des tartanes se détachent sur le bleu du ciel, je m'imagine sur les ailes d'une mouette survolant les calanques, dont les arêtes rocheuses semblent s'élancer vers le ciel, semblables à des cathédrales à la rencontre d'un faucon pèlerin, dans les odeurs de myrte, de genêt et de pin d'Alep.
Mais même les oiseaux ont besoin de se rafraîchir et mes souvenirs me ramènent sur ma terrasse : c'est avec délectation que j'ouvre le vieux robinet de cuivre à côté de la porte de ma cuisine. La fraîcheur de l'eau qui s'écoule me fait penser au petit ruisseau du Marinier… après des heures de marche sous un cagnard de plomb, l'arrivée sur une grande étendue d'herbe rase, retenue par un vieux muret de pierres sèches, entourée de ronces, de chênes-verts et d'amandiers, petit paradis de fleurs sauvages, farigoulette, sauge et romarin. Vive les pignes et les amandes en guise de dessert et tant pis pour les égratignures qu'on lavera le soir avec le savon de Marseille.
"Bonsoir, Toinette ! Ça va ? Je t'apporte une soupe au pistou de la part de Jeannot ! Mais avant, si on passait à la toilette et aux soins ? Tu seras mieux en pyjama pour le repas et ensuite tu pourras te coucher quand tu voudras ! Demain, je reviendrai pour 8h et à 10h Mariette te fera le ménage."
C'est vrai : il se fait tard, le soleil commence à baisser, la fraîcheur s'installe... Je ne marche plus, ou si peu… mes mains sont déformées et n'ont plus de forces… mais mon esprit est vif et rien ne peut l'empêcher de vagabonder, de voyager…
Ma terrasse ? c'est mon aéroport, mon port d'attache, ma fenêtre sur le monde, mon espace de rêve, mon espace de rencontre, mon espace de VIE !
Merci beaucoup pour votre commentaire ! Rien ne peut me faire plus plaisir que de savoir que vous avez vraiment retrouvé un air de Provence dans mon texte car je ne suis pas du tout du Sud. Je suis Alsacienne et ce ne sont que des souvenirs de vacances à Marseille et dans la région qui sont remontés à la surface, y compris ces quelques expressions imagées qui font la truculence du parler régional. J'espère que beaucoup de personnes continueront de cultiver les particularités régionales qui font la richesse de notre pays. Merci encore et sincères salutations.
· Il y a plus de 11 ans ·marie-jo
Il sent bon la garrigue, le maquis, la Provence, les plantes odorantes votre texte. J'ai lu et accroché tout de suite à cause de degun! Je suis du midi, mais plutôt du côté de Carcassonne et je parle l'occitan... il y a quelques différences avec le provençal, le catalan et d'autres, question de régions, c'est un peu comme les accents, mais on se comprend! J'ai bien aimé et me suis sentie chez moi....
· Il y a plus de 11 ans ·yoda