La lettre retrouvée
bartleby
J'ai fait du tri dans mes affaires, hier. Et je suis tombée sur une pleine boite d'archives, légèrement abîmée…
Je me demandai d'abord de quoi il pouvait s'agir, puis, sur la tranche cartonnée, j'ai lu « Correspondance ». Il y avait votre nom écrit juste en dessous, au marker.
Je me souviens bien de Vous. Il y a longtemps, très longtemps maintenant que nous avions échangé. Tout avait commencé par une lettre de présentation. Moi, d'abord, puis Vous. Qui vous étiez, où vous viviez et ce que vous faisiez dans la vie.
A l'époque, j'étais encore mariée et vous, jouiez au globe-trotter. Vous m'aviez écrit des cartes postales de chaque ville ou capitale où vous faisiez escale. Un ami, une amie vous attendait dans tous les pays du monde. Pour moi, vous étiez un mystère, sans l'être vraiment. Tout ce dont je me souviens parfaitement était votre sens de l'épicurisme, votre goût pour le raffinement, l'art, l'histoire, la lecture et l'écriture. Je savais que vous aimiez les femmes, plus que de raison, que votre raison d'être était de séduire, sans pour autant conclure à une aventure. La beauté résidait dans l'approche, le plaisir dans l'envie que vous pouviez susciter chez une pucelle, comme une femme d'âge mûr. Toutes les femmes étaient à honorer de mots et de plaisirs : petits cadeaux envoyés à l'improviste, lettres enflammées, en prenant bien soin de ne point mépriser l'époux ou le concubin. « Cet homme a la chance de voir éclore une fleur sous ses yeux chaque jour, laissez-moi vous montrer comment il devrait se comporter avec vous, vous chérir, s'embaumer de votre parfum… ».
Nous nous tutoyions dans les premiers temps, puis vous m'aviez invité à une autre époque, ce temps où les femmes se faisaient courtiser par des chevaliers ardents. Vous étiez romantique, mais ne cachiez jamais que vous faisiez également le baisemain à d'autres, "toutes aussi désirables" que moi. Vous vous improvisiez Dom Juan, plus que Casanova, c'est ce que j'aimais en vous.
Alors vous m'écriviez, je répondais. Ainsi, plus d'une centaine de lettres me sont apparues, hier. J'en ai ouvert quelques unes et souris à revoir simplement votre écriture à l'encre bleue sur papier Velin jaune clair.
Et parmi toutes les enveloppes, il en est une que je retrouvai et qui m'intrigua. C'était mon écriture, qui était bien ronde et sur votre adresse, un autocollant de La Poste. Case cochée : « Boîte absente ou inaccessible ». Aux vues de la date, je suppose qu'il s'agissait là de ma dernière lettre à votre destination.
Vous êtes parti de ma vie, comme vous étiez arrivé. Je vous en ai à peine voulu, sachant que vous deviez déjà caresser d'autres âmes féminines, leur faisant une cour des plus sensuelles.
Aujourd'hui, je parle de vous avec un certain pincement au cœur. Il existe si peu d'hommes tels que vous. Je me souviens de votre visage et de votre silhouette, croisés furtivement dans une des allées principales de cette grande Université…
Pour revenir à cette lettre, avec un peu d'appréhension, je l'ai donc ouverte. C'était une longue carte postale, paysage d'une mer agitée.
Je ne résiste pas à vous la faire partager.
« Dimanche 02/07
Mon Cher X..
Le hasard du calendrier a voulu que votre présent m'arrivât le lendemain de mon anniversaire. Aussi, je vous remercie beaucoup.
Maintenant, targuez-vous bien, vantez-vous ! Vous m'aurez fait passer deux belles nuits tourmentées d'insomnies. Loin de me figurer que nous pourrions être les Sand & De Musset d'aujourd'hui, j'ai grand peine à définir notre relation que j'ai toujours voulue un peu plus particulière que simplement épistolaire.
Être amis ? Je ne le souhaite pas, dans le sens où je ne crois plus à l'amitié entre les deux sexes. C'est un sentiment fait de « faute de mieux » ou de « je ne peux vous en donner davantage ». Donc cela reste frustrant et hypocrite.
Être amants ? Si tant est que nous nous plairions, je suis, 1000 fois hélas, déjà prise. Je vous ferai grâce de l'adultère et de mon inclination à l'amour exclusif. Vous savoir loin me rendrait inconsolable, vous savoir convoité par d'autres, terriblement mauvaise. Je mourrais d'être évincée.
Que puis-je être pour vous, alors, moi qui ai envie de compter, de vivre pour vous au-delà de mon trait de crayon ?
Évitez-moi d'autres mauvaises nuits.
Votre B…
Merci encore pour ce beau livre »
Je me dis, oui, qu'il vaut mieux que cette lettre m'ait été retournée, plutôt qu'il ne l'ait reçue, puis lue.
Je me sens un peu ridicule, mais que voulez-vous, j'étais jeune et mon esprit s'enflamme si vite à la douceur des mots !
Superbe ! un rien nostalgique, émouvant et si bien écrit !
· Il y a plus de 7 ans ·Patrick Gonzalez
Une bien belle plume à découvrir ce soir... Votre écrit est le premier que je lis puisque je viens d'arriver, et je dois dire que je m'y plais déjà :-)
· Il y a plus de 7 ans ·belokiu
Très émouvant. Vus avez de beaux souvenirs
· Il y a plus de 7 ans ·menestrel75
Je me rends compte que vous devez peut-être être ce genre d'homme aussi, Ménestrel. Non ?
· Il y a plus de 7 ans ·bartleby
Quel compte-rendu vous amène à cette opinion? !!!
· Il y a plus de 7 ans ·menestrel75
A lire certains textes ici, je me dis que d'autres encore pourraient être ce genre d'homme :-)
· Il y a plus de 7 ans ·campaspe
Il m'arrive parfois de vous lire. Vos mots se ressemblent. L'aspect érotique en moins. Mais tout était suggéré chez lui. Il ne parlait pratiquement jamais du corps. Cela laissait place à l'imagination. Entièrement. Ce qu'il voulait, c'était que toutes ces femmes y pensent sans qu'il n'ait besoin de dire quoi que ce soit.
· Il y a plus de 7 ans ·bartleby
Sans aucun doute, Campaspe! Tout comme il y a ici, comme dans la vie, des Messaline, Héloïse, Dalila et autres Diane chasseresse.
· Il y a plus de 7 ans ·menestrel75
Eh bien, alors, merci pour vos lectures épisodiques!
· Il y a plus de 7 ans ·menestrel75
Elles ne sont plus si "épisodiques"...
· Il y a plus de 7 ans ·bartleby
puissent-elles alors vous inspirer sourires et désirs
· Il y a plus de 7 ans ·menestrel75