La lumière
pianitza
Au commencement, tout était gris. On accusait en pensée la nature et sa désinvolture. Le printemps leur murmurait, honteux, qu’il resterait calfeutré sous ses robes de fleurs et qu’il laisserait au ciel ses humeurs désenchantées. Sous pareil égoïsme la marche avait naturellement commencé à reculons, les mines refroidies des racines sans couleur. Mais d’un sentier, d’une parole à l’autre, les sourires s'étaient dessinés doucement, les pensées s'étaient dévoilées, envolées, déposées en écharpe sur les épaules des arbres. On s’amusait de tout et de rien, indifférent de l'obscurité et des mots qui demandent contrôle. La nature laissait champ libre au bonheur. En ce jour de silence où le ciel était comme une palissade aux couleurs d’argent, Damien et Céline marchaient les bras accordés ensemble. Les oiseaux chantaient, berçaient leur esprit d’une mélodie tranquille. Il y avait l’horizon au loin, leur ville natale qui se recroquevillait sous des vallons qu’ils ne rattraperaient pas. Pas aujourd'hui.
— Je ne vois rien qui puisse gâcher cette journée, dit Céline enjouée.
Damien demeurait silencieux. La culpabilité lui grimait le paysage, il n’avait pas été suffisamment présent ces derniers temps pour son amie.
Damien avait rencontré le succès, les applaudissements et la clameur du public. Une année durant, il avait descendu les marches des grandes enseignes, prôné des sourires de photo, enlacé la célébrité entre ses dix doigts. Toujours avec ce brin d’absence qui définissait si bien les artistes, cet éclat dans le regard qui hait mais qui aime. L’obscurité l’avait emporté, amputé entre les pages des journaux, les froides lignes populaires. Le commun aspirait le temps et la merveille d’une marche sous le plomb. Réelle. Elle. C’était tout ce qui lui avait manqué, qu’aujourd’hui il retrouvait au côté de son amie de toujours, Céline.
— Je suis heureuse de laisser notre ville tout là-bas, au fond. C’est une molécule de la nature, regarde… Elle est si petite.
Damien regardait sa ville, ce bouton de chemise où il avait renversé des miettes de son arrogance, étendues encore contre la posture des autres. Pour les autres.
Et quand la main de Céline serra doucement son bras à l’abandon, il y eut comme un message éternel qui s’insinua en lui. Le printemps en fit resurgir quelques pouces, son sourire s’attendrit d’avantage. Il regardait en biais les rides aimantes de son amie, son crâne couché, doucement relaxé contre son épaule. L’obscurité demeurait encore, branlante, tout autour d’eux. En apparence. Car dans la tête de Damien la paix resurgissait d’entre deux longs arbres effilés, deux traits parallèles. La lumière.
Il savait que, comme chaque jour passé au côté de son amie, le passé, quel qu’il soit, s’effacerait derrière l’instant. Le seul qui importe. Deux âmes connues, seules dans le vert. Un portrait.