LA MAIN DE DIEU (concours de nouvelles)

hectorvugo

Je suis né en hiver. Est-ce pour cela que je semble ailleurs ?  Je n’ai jamais cru en Dieu, en l’astrologie en quoi qui puissent expliquer l’inexplicable. Un brin fataliste le garçon. Demandez à mes amis, ils vous le confirmeront.

On ne sait rien de moi. Je suis transparent et j’ai cherché à l’être. Cela me protège du monde. Mes journées sont réglées comme du papier à musique, je ne laisse aucune place à l’imprévu qu’il soit joyeux ou grave. Je travaille 12 heures par jour dans une agence immobilière sans me soucier le moins du monde de ce que peuvent penser les gens. Je suis là pour vendre c’est tout.

S’il faut ouvrir quelque peu ma sphère privée pour atteindre mes objectifs, j’y suis prêt. Certains compromis de ventes se sont arrachés sur l’oreiller. Ces relations de passage se sont aussi achevées le jour de la signature chez le notaire. Il ne faut pas pousser les bornes du dévouement. J’ai de l’amour cette image opportuniste du plaisir sans attache qui rend la vie facile. En suis-je pour autant plus heureux ? Je ne me suis jamais posé la question. Certains se la posent pour moi. Je n’ai pas à perdre mon temps avec ces bêtises.

Le boulot, les obligations domestiques, le sommeil m’occupent pleinement en semaine. Il me reste le weekend  où je m’accorde quelques distractions comme la consommation intempestive de brocolis, la lecture assidue d’un magazine de décoration, voire même la contemplation de mon bonzaï à l’écoute d’un Gabriel Fauré.

Cela fait bientôt 15 ans que ce manège subsiste et que je n’y sens bien.

J’ai 35 ans aujourd’hui. On s’est peu soucié de mon anniversaire depuis des lustres. La proximité de noël explique cet état de fait. Essayez de souffler des bougies un 24 décembre, tout le monde s’en fout.

J’ai pris mon parti que ce jour là est un jour comme les autres. Même si quelques uns se démènent pour me rendre cette date heureuse. Les messages de sympathies rendent la pilule moins amère.

J’ai déjà reçu ce matin des appels sur mon portable, Marc et Hortense un couple amis, Alain le vieux complice des mes années de jeunesse,  Hervé qui me traîne au cinéma quand j’ose lui dire oui. J’ai eu droit au happy birthday de circonstance et à une invitation Ils m’ont tous exhorté à être présent dans ce pub qui jouxte la zone industriel. C’est ici que l’on se retrouve une fois par mois, histoire de ne pas couper le lien qui nous unit.

Que veulent-ils me faire comme surprise ? Je rumine à l’agence, ratant presque une vente toute faite. Pour une fois je n’ai pas la tête au travail.

J’arrive à 17h30 sur le parking. Ils sont tous là à l’entrée du pub. On se salue chaleureusement. Avec eux je ne triche pas, je donne de la chair au sentiment. J’ai quand même besoin d’exister un peu.

Une heure plus tard je sors de la avec un petit paquet, une boîte, en terme marketing une box dans laquelle se trouve un séjour de 48 heures dans un hôtel de bord de mer.

J’ai accepté ce cadeau avec un sourire forcé. Ce voyage est un coup de canif à mes habitudes.

Deux semaines plus tard je sacrifie mon premier weekend de l’année loin de mes bases. L’hôtel s’appelle « la main de Dieu » et fait bien face à la mer. L’agence de voyage ne m’a pas menti. La vendeuse n’a pas enjolivé la vérité, elle n’a pas joué du dépassement de fonction pour obtenir mon feu vert. Le simple terme « c’est un cadeau » a ouvert les portes du possible.

« Le climat est humide et salée, prenez soin de vous couvrir » la plaquette finit par ce conseil.

En bon élève je m’y suis plié. J’ai vite compris son utilité. Le pays est plat comme disait la chanson de Brel, et le vent vous le rappelle si toutefois vous souffrez d’amnésie.

Certains endroits gagnent à être connus car il faut se donner la peine de les atteindre, d’aller au-delà des prés supposés. La Main de Dieu rentre dans cette catégorie d’établissements.

A l’écart de l’agitation, assez loin de la ville, l’hôtel n’attire pas l’œil quand sur une carte postale les gens du coin me le montrent. Ils en sont fiers. Et ce n’est pas une fierté de façade comme on pourrait le croire. Certes ils travaillent pour l’office de tourisme mais ils ont sur leur visage la marque de l’authenticité. On les croit. Ils font la publicité du lieu, ventant le calme, la disponibilité du vent, la douceur des embruns, la timidité du soleil réchauffant sur la pointe des pieds, la beauté du soir quand le crépuscule tutoie l’horizon.

On me paie le taxi pour m’y rendre prétextant que c’est une coutume. On ne refuse pas ce genre d’offre, on l’accueille avec humilité.

Sur le chemin menant à la Main de Dieu le chauffeur me raconte la légende. Dans les années 1840 un voyageur prit une chambre dans cet hôtel qui s’appelait à l’époque « la marée ». Le patron lui donna la plus belle de toutes, celle de l’étage qui donnait sur la plage. Il passa une nuit agréable et apaisante. Au petit matin un détail l’intrigua. Sur le lit il y avait la présence d’un deuxième oreiller avec quelques cheveux bruns en son centre. L’homme ne s’était pas étalé là, les draps froissés à cet endroit indiquaient le contraire. Il avait dû rêver et prendre ses aises. Pour une fois que sa couche était large.

Il se leva, ouvrit les volets, profita de la vue malgré le ciel bas. Trop absorbé sans doute par le paysage peu commun, il ne remarqua pas la présence d’un billet sur le secrétaire.

Ce mot disait :

Rejoins-moi avant que la marée ne m’emporte

Sous les vagues d’un regret que ta vie portera

Aux radeaux des amours les flots nous transportent

Sur des terres fertiles où nous poserons nos pas

Il le lit à la lumière du jour devant la fenêtre, le relit à nouveau pour enfin lever la tête en direction de l’océan bien trop calme au regard de la tempête qui le traversa

Cette inconnue avait dormi à ses côtés et était brune. C’est tout ce qu’il savait d’elle. Aucun parfum, aucun bijoux oublié ne vinrent argumenter l’idée d’une nuit d’amour dont il n’avait aucun souvenir.

Il s’assit un instant au pied du secrétaire pour parcourir encore ces vers qui lui étaient destinés.

Il fit sa toilette, s’habilla comme un automate. Il ouvrit la fenêtre, se posa sur le balcon, prenant posture face à l’horizon toujours aussi bouché par la grisaille.

Au loin il vit une silhouette de femme longeant la mer. L’homme quitta à la hâte sa chambre.

On ne le revit jamais vivant. Quand les autorités interrogèrent le propriétaire de l’hôtel sur cette disparition, un brin fataliste il leur dit : «  c’est la main de dieu qui l’a voulu »

Le véhicule s’immobilise, nous sommes arrivés.

La première chose qui me surprend à la main de Dieu c’est l’étroitesse de sa porte d’entrée. Un homme seul avec bagage passe, pas deux. Etrange conception de l’hospitalité, d’autant que le concierge, bien avant de me souhaiter la bienvenue,  balance tout de go : « je vous préviens mon bon Monsieur, ici il n’y a pas de chambre pour deux ».

Heureux hasard pour le solitaire d’avoir un toi à sa mesure. Divine surprise l’établissement dispose d’un groom et il est plus aimable que le concierge. J’hérite d’une des chambres de l’étage, celle qui dispose de la plus belle vue.

Rien n’a bougé depuis  les années 1840 excepté l’électricité et l’eau. Le lit est toujours aussi large, il a deux oreillers, le secrétaire trône à la droite de la fenêtre. Je mets sous silence  le papier peint presque d’époque (chacun ses goûts). Ici le bonheur est ailleurs, dans ce panorama que j’admire du balcon. L’endroit est bien trop romantique pour y vivre seul.

Je descends dans le hall, demande au concierge l’heure du dîner pour les résidants. J’ai trois heures devant moi, c’est bien assez pour découvrir la plage.

Marcher dans le sable pieds nus vous confère un sentiment de liberté que je n’ai jamais connu jusqu’alors. C’est dire le pauvre citadin que je suis. Désolé je n’ai de l’océan qu’une vision cinématographique limitée. A part les dents de la mer, alerte à Malibu, et james bond contre docteur no ma culture reste minime.

Pour autant je ne suis pas si naïf, je ne m’attends pas à voir Ursula Andress débouler face à moi. La lumière et le climat ne s’y prêtent pas.

Ceux qui s’exposent ici vont au-delà des apparences. Le ciel est tellement bas qu’on les devine plus qu’on ne les voit. Un festival d’ombres et de courbes. Peu de couples en sont, mais les rares, que je croise, affichent les sentiments qui les animent et les unissent.

Le temps s’écoule trop vite, son échelle de mesure change de la ville. Il est sournois, il avance contre toute attente. Je n’ai senti ni la nuit arriver, ni la fraîcheur s’installer

La salle à manger de l’hôtel est tristement vide, trois couverts ce soir, trois hommes seuls. Je ne les regarde pas, je refuse de sombrer dans le cafard. Peut être ont-ils comme moi ce visage  mou sans ressort apparent, ce faciès où  peu de choses filtrent. Je me concentre uniquement sur mon potage de légumes, mon fromage blanc et le litre d’eau minérale que je bois à une vitesse folle.

22 heures, je m’emmitoufle sous la couette, une dernière vérification avant extinction des feux : le portable est sur la table de nuit. Je suis serein, j’entends la mélodie du sac et du ressac. Je m’endors paisiblement.

Au petit matin je ne me souviens de rien. La nuit a été bonne. Je me suis étalé, le lit est froissé de partout. Le deuxième oreiller est bien trop plat pour être honnête, des cheveux longs bruns s’y collent. Je m’en amuse. Et si j’avais reçu une visite la nuit dernière ? Les volets sont durs à ouvrir, eux aussi sont d’époque. Je profite de la vue malgré le jour si avare. Le sable est vierge de pas.

Je reviens vers le lit, prends mon portable sur la table de nuit, un message, un texto long et poétique reçu aux aurores :

Rejoins-moi avant que la marée ne m’emporte

Sous les vagues d’un regret que ta vie portera

Aux radeaux des amours les flots nous transportent

Sur des terres fertiles où nous poserons nos pas

Je coure vers la fenêtre, aperçois une silhouette par delà la brume qui se lève. Vous n’entendrez plus parler de moi, je vais la rejoindre. C’est la main de Dieu qui l’a voulu.

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