La malédiction des sables
matt-anasazi
Lorsque la porte de pierre s’écarta, livrant, pour la première fois depuis trente-cinq siècles, passage aux rayons du jour, une bouffée d’air brûlant s’échappa de l’ouverture sombre, comme de la gueule d’une fournaise. Les poumons embrasés de la montagne parurent pousser un soupir de satisfaction par cette bouche si longtemps fermée.
En tenue orientale, une silhouette se tenait debout plongé dans une contemplation exaltée devant l’entrée. Il portait une coiffe écrue et rouge masquant mal sa peau blanche et ses favoris. Immense était sa concentration, intense sa fièvre de savoir. Ses yeux étincelaient, scrutant avec effervescence les symboles à l’entour de la porte. Ils observaient, palpaient, disséquaient les signes divins laissés par les anciens, ses devanciers. Ses mains de bibliothécaire allaient et venaient dans la poussière, ses lèvres érudites psalmodiaient une langue oubliée. L’aventurier venu de loin s’apprêtait à pénétrer les secrets enfouis dans les profondeurs du temps et de l’abîme.
Il déchiffra une série de signes sur le linteau de la porte ; ils se détachaient, ombres rouges sur le granit noir. L’aventurier reconnut le symbole royal puis deux dieux entourant un troisième, un être rouge au regard sombre et lourd de muets anathèmes. « Voici les Dieux chargés de veiller sur ta tombe, grand Roi ! » Ses doigts se posèrent sur une amulette qu’il avait achetée au marché deux jours plus tôt. Il quémanda silencieusement la protection et la bénédiction des Dieux. Puis il attrapa une torche, l’alluma et jeta un dernier regard à la lumière du jour. Son cœur tourné vers la volée de marches où l’attendait son destin, il entama sa descente, la main ferme, l’œil aux aguets, l’esprit affuté.
L’escalier s’étirait dans le noir descendant toujours plus avant, comme si elle amenait aux enfers. L’homme vit sur les murs les dieux anciens brandissant des sceptres irradiant de lumière ; ils l’observaient, le jaugeaient et agrippaient leurs sceptres dans de longs défilés de déités, toutes plus fantasmagoriques. Un avertissement d’outre monde pour le téméraire mortel s’aventurant plus avant, lui sembla-t-il. Le bruit de ses pas résonnait dans le silence spectral ; la lueur chancelante de sa torche perçait à peine la nuit éternelle. Il avançait dans le néant, les rocs lisses et les divinités anciennes l’avalant à chaque marche aussi surement que la baleine le fit de Jonas.
Le long des marches se dévoilait le mystère de l’origine des hommes et du désert. Le soleil rougeoyant dardant ses rayons sur la terre vierge et nue, les animaux mythiques en ordre de bataille présidant à la naissance du monde, la terre d’abord hostile et sauvage puis domestiquée par les hommes. Dans un embrasement solaire, l’émergence de la vie et enfin, la première cité de pierre le long du fleuve sacré. Les images divines se déployaient de plus en plus majestueuses mais toujours plus de menaces s’exsudaient de la pierre, des marches, de l’air lui-même.
L’érudit finit par aboutir à une salle circulaire. Elle était de granit noir poli où saillaient des veines blanchâtres ; vaste et profonde comme une arène, elle était percée de trois portes régulièrement et symétriquement placées tout à l’entour de la pièce. Se détachait en son centre, un socle de marbre blanc qu’illuminait une lumière tombant du plafond en une cascade aveuglante. Stupéfait par la magnificence du lieu, l’étranger à peau blanche resta sans voix, statue vivante face à la beauté d’un endroit inviolé. Il entra à pas lents et mesurés, aux aguets et prêt à toute manifestation physique ou autre de la malédiction inscrite sur le linteau. À mi- chemin du socle, une forme se dessina devant la porte située à sa gauche ; c’était comme une fumée sortant du sol, se condensant et se solidifiant progressivement. Une tête de canidé rouge se matérialisa surmontant un corps humain musclé et de haute stature ; un pagne de lin et deux mains apparurent enfin. L’ombre éleva son bras droit armé d’un glaive et lança un anathème : « Misérable profanateur ! Tes pieds ont osé souiller ce sanctuaire millénaire. Tu paieras de ta vie ton sacrilège ! »
Pétrifié de terreur, l’aventurier sentit toute vigueur quitter ses membres : il s’effondra sur les dalles comme une poupée désarticulée. La forme s’avança à pas lents. Sa démarche majestueuse et mesurée autant que le khépesh, le glaive égyptien dont la lame scintillait, paralysaient l’aventurier. Ses yeux voyaient s’approcher le tranchant recourbé et attendaient l’instant où le fil de la lame trancherait celui de sa vie. Il ferma les yeux, attendant la fin, quand une seconde ombre s’interposa entre l’homme et le Dieu. Le dieu providentiel arborait une tête de faucon sur un corps d’homme. Il bloqua le glaive de la première forme et une lutte âpre se déclencha entre les deux entités.
L’homme, partagé entre le soulagement d’être sauf et la peur insondable qui l’étreignait encore, hésitait entre se retourner et s’enfuir sans retour possible et continuer malgré la certitude de son funeste destin. Un cri animal le tira de son indécision : un volatile spectral traversa le mur de droite, plongeant l’homme dans une terreur toujours plus grande. Le grand oiseau bleu se posa sur ses longues pattes, considérant l’être humain avec une fixité où se mêlaient intérêt et désir de jauger cette créature. Enfin, après des secondes longues et calmes, l’ibis se tourna vers le tumulte du combat divin et s’envola vers la colonne de lumière. Dès que la forme ailée entra dans les rayons solaires, un miracle se produisit : l’ibis sembla fondre comme rongé par les rayons lumineux. Avant de se désagréger, il regarda l’érudit en une invite muette.
Ce fut l’ultime élément emportant la décision de l’homme ; il se releva et s’approcha en deux bonds des rais tombant du ciel. Ses yeux perçurent dans l’implacable blancheur des rouleaux à même le socle. « Que les Dieux guident mon âme. » Il s’enfonça d’un pas résolu dans la cascade blanche. Sa première impression fut l’agression de tout son corps par les rayons lumineux. À travers ses yeux mi- clos, il discerna des symboles dorés illuminant le socle blanc. Il approcha les mains des rouleaux et les effleura. Au contact des feuilles parcheminées, il sentit une onde de chaleur le traverser, l’envahir et le transformer. Chaque parcelle de son être parut plus vivante, plus en éveil que jamais. Ses yeux s’ouvrirent sur les symboles mystérieux et son esprit vibra à l’unisson de chaque signe sacré illuminant les parchemins. Un sifflement strident lui vrilla les oreilles.
Soudain, la lumière disparut, plongeant la scène dans la pénombre. Seuls des torches réparties le long des murs projetaient des lueurs dansantes. Il se retrouva sur le sol de la salle, l’ibis perché sur son épaule. Les deux entités se figèrent dans leur combat. Le monstre à tête de chien hurla et se désintéressa de son divin adversaire. Aussitôt, une mélopée assourdie s’échappa de ses lèvres, la mélopée devint mantra, le mantra chant lourd et menaçant. L’aventurier vit que ses chevilles étaient ensevelies : le sable envahissait la salle. Il comprit la malédiction du dieu à tête de chien quand son rire méphitique résonna.
Il rassembla toutes ses forces pour atteindre la porte. Sa course vers le salut devenait à chaque pas une épreuve de plus en plus dure, tant le niveau de sable montait avec rapidité. Les quelques mètres le séparant de la porte s’étiraient interminablement à mesure que le sable atteignait ses genoux. Puis sa taille se trouva ensablée... sa poitrine entravée… Il arriva aux prix d’incommensurables efforts à la porte, tenta de s’agripper aux montants quand cette dernière s’abattit lourdement. Aucune échappatoire. Le sable s’élevait, bourreau lent, brulant, inflexible. L’aventurier sentit ses épaules prisonnières, puis son menton. Sa bouche s’ouvrit en un hurlement de terreur indicible…
Les domestiques s’éveillèrent dès les premières notes du cri nocturne. Pendant qu’ils gravissaient l’escalier les menant aux hurlements frénétiques, le majordome et la gouvernante échangeaient les mêmes remarques qu’ils échangeaient à chaque remontée d’escalier nocturne :
« Encore un cauchemar ! Tout cela à cause de ce vieux fou d’abbé !
- Hélas, oui ! Il serait temps de retirer ces inepties d’Égypte de la tête de M. Champollion ! »
Merci beaucoup, Rafi ! Avouez toutes les trois que ce serait un comble si un prof qui demande à ses élèves de pasticher des textes de pas y arriver lui-même !
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
Aaaah je l'avais pas vu venir, la chute ! :) Je suis complètement de l'avis d'Octobell et Christine, je sais pas comment tu fais pour te prêter à tous les styles et en faire toujours quelque chose qui te ressemble !
· Il y a plus de 11 ans ·rafistoleuse
Merci, Octobell !
· Il y a plus de 11 ans ·matt-anasazi
ah ouais d'accord ! Mais c'est dingue comme t'arrives à te fondre dans n'importe quel style ! J'en suis toujours admirative !
· Il y a plus de 11 ans ·octobell
@ Octobell : cool, mon but, enquiquiner le monde ! Blague à part, je devais continuer un texte style XIXème siècle, du coup, j'ai fait travailler le dico !
· Il y a plus de 11 ans ·@ Christinej : merci beaucoup !
matt-anasazi
j'aime ce genre d'histoire et tu fais ca tres bien, vraiment bravo
· Il y a plus de 11 ans ·christinej
Ahahah la chute... Ok, j'comprends mieux pourquoi le héros n'avait pas d'identité. Je l'ai trouvé un peu effacé. Aaah ton style, ton style, Matt ! Y'a rien à dire ! Si ce n'est que j'ai regardé deux fois dans mon dico, là... c'pas terrible ça non ? :/
· Il y a plus de 11 ans ·octobell