LA MATURITE AMOUREUSE
Suzanna Celle
Le parcours amoureux d'un homme d'une quarantaine d'années. Sa vie actuelle, son passé idéalisé et son imagination deborbante s'entremêlent tout du long. Une histoire de chaussettes tout ça
Cette pièce a été jouée en Juin dernier dans le cadre des travaux de fin d’études des Cours Florent . Un montage vidéo de ce spectacle sera très prochainement disponible.
LA MATURITE AMOUREUSE
Ecrit par Suzanna Celle
( -Citations de Ingmar Bergman, Yukio Mishima, Nikolai Gogol.
-Texte de Roland Barthes, Fragments d’un Discours Amoureux)
PERSONNAGES
FABIEN L’âge Adulte
COLLINE L’Amour
MAXIME La Jeunesse
MARIANNE ANTOINE L’Imagination
MILENA Le Présent
LA VOISINE La Folie
DEBORAH Le Désir
L AUTRE La Renaissance
Les divers meubles de la pièce seront fait en boîtes de cartons, en les tournant de côté ou de face opposée, ils deviendront d’autres meubles. Facile à déplacer, l’univers de la scène pourra changer rapidement. En fond de scène, un hamac accroché : le lit de notre protagoniste. Accroché sur le mur du fond, de mini maisons de bois de toutes les couleurs avec un éclairage intérieur, disposées un peu partout.
Un grand fil en hauteur longe toute la scène en largeur. Lors de la scène du restaurant, il suffira de tirer un immense drap faisant la taille du fond de scène. Ce drap sera rempli de visages, de corps, de bouches avalant, engloutissant, etc…
Une porte seule sur le côté gauche de la scène. On peut voir des deux côtés. Elle permet d’entrer ou de sortir de chez Fabien.
ACTE 1
Scène 1
FABIEN
FABIEN
Scène vide. Moanin’ de Charles Mingus qui commence.. Un Homme rentre en scène. Lumière. Une quarantaine d’année. Il pose ses clefs. Ote son manteau. S’assoit afin de retirer ses chaussures. Les rangent. Mets ses chaussons. Il se dirige vers le frigidaire. L’ouvre. Récupère une assiette déjà entamée à l’interieur. La met dans le micro onde. Attends. Ting ! Le plat est prêt. Il s’installe à table. Se lève chercher le journal. Se rassoit. Mange et lit en même temps. Au fur et à mesure de ses actions, la musique diminue de plus en plus. Pour n’être plus qu’un lointain murmure. Presque le silence. Bruit de fond. Nécessaire. Il termine son assiette débarasse le tout. Se déshabille. Enfile un pyjama. Se brosse les dents. il s’apprête à se coucher mais soudain Moanin’ augmente de plus en plus. Il regarde autour de lui. Hésite un instant. Puis se laisse emporter par la musique. Et se met à danser seul. Follement. A l’abri des regards. Sentiment de liberté. En pyjama. La musique s’étouffe peu à peu. Il s’allonge et s’endort.
Scène 2
FABIEN – MARIANNE – ANTOINE
Machine à Bulles.
Fabien toujours endormi au même endroit. Une jeune femme se trouve en avant scène tout à droite. Elle est immobile. Regarde droit devant fixement. Tout à gauche, au même niveau, dans une position similaire, un jeune homme.. Le songe commence.
MARIANNE ANTOINE légèrement décalé.
JE VEUX
I WANT
ICH WILL
J’ai le goût de tout.
J’ai faim constamment.
Je salive, savoure, me délècte, me remplis sans jamais être repu.
J’ai soif de paysages.., de découvertes. Je suis l’être Curieux.
Travailler, je m’en fous.
Je veux voir, apprendre, prendre, donner, rencontrer, quitter dans la beauté, continuer, exister, n’être que liberté !
Je veux regarder, effleurer, toucher, caresser, embrasser, enlacer, désirer, baiser !
Tous ces corps, toutes ces bouches, ces joues, peaux, hanches, dos, jambes, regards, fesses, étoiles, nuques, seins, odeurs m’enivrent continuellement !
Comment me rassasier ?
Amoureux chaque jour !
Un délice !
J’aime ! J’aime ! J’aime !
Un temps.
MARIANNE ANTOINE en même temps
Ah oui ! J’oubliais, je ne suis pas réel !
Tout deux sont surpris. Chacun était dans son monde. Et ne comprend pas d’ou vient le son inconnu : la voix de l’autre. Regards furtifs. Puis découverte. Gourmandise visuelle. Rencontre. Joie. Nouveauté. Ils vont avancer pas à pas jusqu'à se retrouver. Pas de questions. Uniquement des réponses. Les mêmes. Oh ! Comme ils se ressemblent ! Plus les mots sortent, puis le désir, l’envie de toucher l’autre grandit.
MARIANNE
Bonjour
ANTOINE
Bonjour
Un temps.
MARIANNE ANTOINE
Rouge !
MARIANNE ANTOINE
Beluga !
MARIANNE ANTOINE
Malaisie !
MARIANNE ANTOINE
Gratin Dauphinois !
MARIANNE ANTOINE
Eclairs au Chocolat !
MARIANNE ANTOINE
Ping Pong !
MARIANNE ANTOINE
Brahms !
MARIANNE ANTOINE
En même temps
MARIANNE
Woody Allen !
ANTOINE
Gus Van Sant !
Ils étaient déjà arrivés l’un contre l’autre, à deux doigts de se toucher. A la limite du Baiser. La dernière réponse, différente, les interrompt. Elle, est surprise, déçue, choquée !
MARIANNE menaçante, gravement, dans la colère retenue et la douleur
Gus Van Sant ??
ANTOINE la regarde avec tendresse et lui murmure comme des mots doux, pour l’apaiser, jusqu’à ce qu’il l’embrasse.
Woody Allen…Woody Allen...Woody Allen...Woody Allen…Woody Allen…
Pendant qu’ils s’embrassent, s’enlacent, on entend Fabien se réveiller. Soupirs Baîllements. Elle et Lui s’écartent.. Urgence du dernier regard. Ils sortent de scène chacun d’un côté au moment ou Fabien s’éveille. Baîllement.
Scène 3
FABIEN – COLLINE – MAXIME
Fabien se réveille. Fabien s’habille. Se prépare. Mets ses chaussures. Encore un peu endormi. Une jeune femme arrive sur scène, Colline. Elle dévisage Fabien puis explose.
COLLINE hors d’elle, comme une furie
Je te déteste !
Elle sort. On entend des bruits sourds et quelqu’un crier dans une langue étrangère. Fabien saisit un balai et donne des coups avec le manche sur le sol très nerveusement. Un temps. Se calme.
FABIEN au public
Excusez moi.
Ma voisine me rend dingue.
Il range le balai. Se rassoit.
Pour ce qui est de la délicieuse personne que vous avez pu entre apercevoir il y a quelques instants…(Colline entre, boudeuse) Ah ! Très bien !
Je vous présente Colline.
COLLINE ne prêtant pas vraiment attention.
Bonjour….
FABIEN
C’est.. c’était l’Amour de ma vie. J’avais vingt ans.
Sur, vous la rencontrez pas dans les meilleures conditions.
On ne contrôle pas ses souvenirs.
Pourtant je vous jure, c’est la plus belle personne que j’ai rencontré de ma vie.
Comment dire ?
Elle illumine. Elle pétille. Un cœur bienveillant. Un caractère lunaire, changeant, surprenant.
Et puis vous devez vous demander ce qu’une petite jeunette pleine de fraicheur vient foutre avec un vieux con de 40 ans comme moi. ( Il rit)
A l’époque, j’en avais 20 moi aussi. Moins choquant .
Et la gueulante qu’elle vient de pousser, c’est rien.
Enfin si c’est important.
Pour elle.
C’est une histoire de chaussettes tout ca.
Bon, le mieux c’est que je vous laisse voir vous même.
Entre Maxime.
Lui, c’est moi.
L’observe, et se regarde aussi. Un temps.
Oui j’étais comme ça avant.
Enfin, pas tout à fait.
J’arrange un peu.
J’ai le droit. .
C’est mon imaginaire.
Mes souvenirs.
Si j’avais voulu être un mec comme ça, j’aurai pu !
J’étais « cool » à ma manière…
De toute façon, je fais ce que je veux !
Ca me plait de me réinventer, de transformer un peu le passé.
Dans la forme, comme on dit.
Le fond je vous le laisse tel que.
Je suis déjà suffisamment gentil. C’est très personnel ce que vous allez voir. Peu de gens le feraient. Certes, vous ne m’avez rien demandé. C’est vrai, mais…
MAXIME
Bon…
FABIEN
Quoi « bon » ? Quoi ? !
Je me tais. C’est bon ! Bon ! Bon ! Bon ! Bon !
Scène 4-
MAXIME COLLINE ANTOINE MARIANNE FABIEN MILENA
A chaque changement de lieu, changement d’éclairage.
Dans cette scène les dialogues doivent être vifs et rapides.
(Dans le métro. Personnages s’installent .Fabien se prépare et sort de scène. Marianne chante Sacha des Rita Mitsouko accompagnée d’un accordéon fictif. Antoine joue au contrôleur. Maxime se pose sur un siège. Son pantalon remonte légèrement laissant entrevoir de ridicules chaussettes. Colline bouquine, remarque les chaussettes. Rit de plus en plus en se cachant derrière son livre. Incompréhension et curiosité de Maxime. Le rire devient contagieux. Il rit sans savoir pourquoi. Ils se regardent. Et éclatent de rire ensemble.)
MAXIME
C’est votre livre qui vous fait rire ?
COLLINE
Non... non …C’est toi !!
MAXIME reprenant immédiatement son sérieux
Pardon ? J’ai quelque chose sur le visage ?
COLLINE
Non ! Tes chaussettes ! (Elle sourit.)
C’est les plus belles chaussettes que j’ai jamais vu !
MAXIME
Tu te fous de moi là !
Elle fait signe de la tête que non.
Je n’ai pas fait attention ce matin, j’ai pris ce que j’avais sous la main, je ne pouvais pas prévoir que quelqu’un aller remarquer ce détail, je crois d’ailleurs que je fais rarement attention au type de chaussettes que j’enfile, je ne pensais vraiment pas aborder ce sujet, aujourd’hui, comme ça, avec une inconnue, et je me retrouve à me justifier de…
COLLINE l’interrompant
Tu fais quoi dans la vie ?
MAXIME
Euh… Je fais des études de droit. Et toi ?
COLLINE
Ca t’intéresses ?
MAXIME
Oui.
COLLINE
Pas ce que je fais.
Cette conversation : ça t’intéresses ?
MAXIME
… Oui.
COLLINE
Moi ça m’ennuie terriblement !
MAXIME
Ok.
Un temps.
COLLINE
Tu viens ? On va prendre un café !
MAXIME
Ah bon ?
Maintenant ? Mais je croyais que…
COLLINE
En route !
Changement de Lumière
Fabien fait un passage un fond de scène en jogging, on entend son souffle régulier. Maxime et Colline se figent jusqu’à sa totale disparition. Fabien sort, ils reprennent vie.
Plus tard. Bowling. Discussion en jouant.
(Marianne et Antoine sont sortis auparavant laissant les deux dans leur rencontre. Après « en route », Colline et Maxime en position de départ dos à la scène. Marianne et Antoine réapparaissent chacun d’un coté opposé dans une tenue uniforme de couleur vive en faisant des roulades jusqu’à arrivé a genoux à la gauche et droite de Colline et Maxime. Les deux sont des boules de bowling et miment le strike ou autre…Maxime et Colline pendant leur conversation lanceront les boules de bowling. Mouvement de bras uniquement pendant que Marianne et Antoine roulent en avant puis reviennent à leur place de départ.)
MAXIME
Et donc tu considères que de parler ma passion…disons…par exemple, pour les requins te permettra de mieux me connaître plutôt que si je te décris mon parcours ?
COLLINE
Oui ! Oui !
MAXIME
Y’ a bien un moment où il faut se définir. Oui !!!!!! STRIIIKKKKE !
Se raconter un peu.
COLLINE
Tu te définis dans ton travail ? Triste. On peut avoir cette discussion : Maxime tu es avocat. (Elle l’applaudit en se moquant)Bravo ! Bravo ! (elle crie) Cet homme fait du droit ! Cet homme est le Droit ! (Antoine et Marianne cesse de jouer le jeu des quilles et applaudissent à leur tour comme à un meeting. Colline donne une tape sur la tête d’Antoine pour leur signifier de reprendre leurs rôles. ) Monsieur veut être avocat ! Monsieur veut devenir un légume !
MAXIME
C’est à toi.
Joue.
Tu m’énerves.
Non, je mens.
COLLINE
Je ne comprends pas pourquoi on serait obligé de suivre ce schéma type de conversation habituel, connu de tous, lorsqu’on rencontre quelqu’un. C’est routinier, c’est chiant, c’est banal, ça m’ennuie, ça m’fait vomir, j’en perds mes dents, ça me donne envie de me rouler par terre, de crier de toute….
MAXIME
J’ai saisi l’idée.
COLLINE
C’est pour ça que je ne bois plus de café.
MAXIME
Tu digresses, digresses, et impossible de t’arrêter ?
Sans doute une bonne idée !
COLLINE
Pas du tout. Je ne prends plus de café parce que les gens sont des égoïstes qui ne pensent qu’à eux.
MAXIME
Le principe de l’égoïsme. La caféine. ?? Tu peux être plus claire ?
COLLINE
Disons que l’idée de prendre un verre en terrasse me paraît de plus en plus futile.
MAXIME la coupant
Si c’est sans intérêt pour quelle raison étrange m’en as tu proposé un tout à l’heure ?
COLLINE
On est au bowling.
MAXIME
Tu marques un point.
COLLINE
Je ne sais plus pourquoi…
MAXIME
On va prendre des cafés ?
COLLINE
J’arrête. C’est chiant là.
MAXIME
Quoi ??!
COLLINE
Tu ne me laisses pas développer le fil de ma pensée. Tu me coupes la parole toutes les deux secondes.
MAXIME
T’exagères.
Deuxième passage de Fabien en fond de scène en jogging suivi de près par Milena en jogging également. La scène continue simultanément.
Un temps.
Vas y, je suis tout ouïe !
COLLINE
L’autre jour je prenais un verre avec une amie, et chacune de nous racontait ses histoires. On partage des anecdotes, on s’appuie dessus pour faire semblant de comprendre l’autre. Sauf qu’on a pas le même vécu, la même expérience. Comme si on se balançait nos vies pour se sentir plus légères et qu’on ne s’écoutait pas vraiment en fin de compte. … J’ai envie qu’on m’écoute sincèrement. Et d’écouter vraiment aussi. Qu’on arrête d’essayer de donner notre avis sur tout, de déballer notre « pseudo science » . Qu’on se taise pour une fois, et qu’on apaise un peu l ’autre simplement par notre présence. Ca a un sens pour toi ?
MAXIME façon beau gosse, Humphrey Bogart.
Pardon tu disais ?
COLLINE souriant.
Crapule. Fripon ! Coquelet ! Frometon !
MAXIME
C’est pas une insulte !
Je te promets de t’ écouter . Pleinement. Généreusement.
COLLINE
Ah non ! Pas de promesses !
MAXIME
Ca t’arrive de ne pas contredire les gens ?
COLLINE
Oui.
(Un temps)
MAXIME
Ok.
(Il prend de l’élan. Et au moment de lancer sa quille Colline crie quelque chose qui lui fait rater son tir.)
COLLINE
Je t’aime !!
MAXIME perturbé
Comment ?!
COLLINE en lançant sa quille et faisant un strike.
OUI !!!
Je croyais que tu avais l’esprit de compétition. Je suis déçue.
MAXIME
Tu as dit que…
COLLINE
Remets toi petit. C’était juste pour te déconcentrer. J’ai gagné.
MAXIME
T’as surtout menti.
COLLINE
Non.
MAXIME flippé
Tu m’aimes ?! On se connaît à peine. C’est gentil je veux dire. Je t’apprécie aussi. Beaucoup. Cependant, les mots sont…
COLLINE
T’es vraiment un homme. Cliché ! T’es un monstrueux, t’es un énorme, un gigantesque cliché !
MAXIME
Oui je suis un homme.
Moque toi. Peu m’importe.
Je te dis juste la vérité.
COLLINE
Moi aussi. On attache trop d’importance aux mots. Tu entends deux malheureux petits mots l’un à coté de l’autre et tu te mets à paniquer, à te poser des questions. A bafouiller. A essayer de ne pas me heurter. Tu ne me blesses pas tu sais. Ce n’est pas le mot en soi qui compte ou ce qu’il transmet. La durée, voilà c’est ça, la durée du mot qui importe. J’ai le droit de te dire « je t’aime » parce que je le ressens à cet instant précis. Je n’ai rien promis. Je n’ai pas ajouté de temporalité. Je ne t’ai peut être aimé qu’une minute. Et toi tu en fais tout un foin ! Bergman disait « Nous sommes des analphabètes de l’affectif ! » et comme il avait raison !
MAXIME
Tu ne serais pas en train de déballer ta pseudo science là ?
COLLINE
Pffff !
MAXIME
C’est quand même fort de significations « je t’aime ».
COLLINE
Uniquement si on le désire.
MAXIME
Les mots signifient. Sinon à quoi bon s’exprimer ?
COLLINE
Jamais dit le contraire. Je suis amoureuse des mots, de leur sonorité plus que de leur sens.
Je ne comprends pas pourquoi ils ont parfois tant d’impact sur notre vie. C’est tout.
Je t’aime (elle réfléchit)… comme j’aime les pommes de terre !
MAXIME
Merci. Je suis très touché.
COLLINE
Non c’est positif ! J’ai mon plat en face de moi, j’ai faim, je m’enivre les sens, me lèche les babines, me dit que je vais me régaler et soudain dans ma tête, dans mon cœur, peut être aussi, survient ce sentiment d’amour, d’envie inégalable pour les patates ! Alors, je le dis à haute voix en espérant dans mon fort intérieur qu’elles apprécieront la douceur de ces mots et qu’elles seront fières que je les engloutissent avec passion ! Certaines sont meilleures que d’autres, et mon amour varie selon leur qualité.
MAXIME
Tu me compares à une patate, ogresse ?
COLLINE
Non ! Une patate n’a pas peur d’être aimée !
MAXIME
Ca t’arrive de ne pas contredire les gens ?
COLLINE moqueuse.
Oh ! Comme tu as raison ! Oh ! Nous aimons les mêmes choses ! Oh nous devenons peu à peu une seule et même personne ! Je savoure cet instant, cette plénitude, cet harmonie naissante ! En accord sur tout, est ce bien cela le sens de l’Amour ? Oh ! Oh ! Qu’est ce qu’il m’arrive ? Oh ! Mon corps ! Ma peau ! Je change, me transforme ! Mes cuisses, mes genoux, mes mollets, mes chevilles, mes pieds !
MAXIME
Quoi ? Quoi ?
COLLINE mimant peu à peu Maxime. Jouant à l’homme.
Crapaud !
Je suis Toi !
Très agréable.
(Faisant des allers et venues en Maxime en marmonnant avec une voix d’homme des bouts de phrases « tu fais quoi dans la vie ? » « Mes chaussettes sont dépareillées » « la vie c’est très sérieux tu sais »)
MAXIME
T’es folle ma p’tite !
(Pendant qu’elle continue son jeu, il s’approche, l’embrasse, l’enlace. Antoine et Marianne se regardent. Ne savent pas quoi faire. Antoine tente de faire pareil que Maxime maladroitement. Marianne recule. Sort de scène, en quille très apeurée. Suivi de peu par Antoine, penaud.)
(musique : Blue Moon – The Marcels) Maxime et Colline dansent ensemble tout en discutant.)
Changement de Lumière
COLLINE
Faut que je te dise quelque chose…C’est pas méchant. Mais faut que ça sorte !
MAXIME
Dis moi.
COLLINE
Non, je vais être mystérieuse et me taire. En même temps j’ai besoin de m’exprimer. Je ne peux pas garder ça pour moi. Faut se dire tout ? Je ne sais pas. D’un côté, faut entretenir une certaine distance…
MAXIME
Colline…
COLLINE
Pour que l’autre te désire et te reste un peu. Pour qu’il s’accroche. Le truc du Fuis moi je ne sais plus quoi. Oui c’est ça. Non. En même temps c’est des conneries tout ça. Et de l’autre côté dans l’idée du couple, on dit qu’on partage tout. Pas de secret l’un pour l’autre. On est pas mariés remarque. Et puis moi je trouve qu’un jardin c’est bien. Je ne veux pas avoir le même que toi. On aime peut être pas les mêmes fleurs…Et si je ne dis rien,…
MAXIME
Colline..
COLLINE
Quoi ?
MAXIME
Dis moi.
COLLINE
Voilà. Il y a des moments où je pense beaucoup à toi et d’autres… pas du tout. Je suis occupée à faire mes trucs et je me sens bien et toi, dans tout ça, t’es pas là. T’existes pas. C’est comme si j’étais toute seule. Et j’aime bien ce sentiment. Et d’un coup, je me souviens. Je me souviens de toi. De toi et moi. Et je culpabilise de t’avoir gommer un instant. Voilà. Tu m’en veux ?
MAXIME
Non. Réaction absolument normale. C’est bon quand tu m’oublies. Plus léger pour toi comme ça.
COLLINE
C’est tout de même étrange : je suis terriblement heureuse et consciente de ta présence quand je suis avec toi, et pourtant…
Bizarre non ? Ce contraste…
De revenir à soi …
MAXIME
C’est la non-dépendance.
Tu me fumes quand tu veux.
COLLI NE
Oui.
MAXIME
Moi par contre, en toute honnêteté, je pense à toi tout le temps. D’ailleurs j’ai l’air un peu débile à sourire au vide dans la rue. Je suis continuellement avec toi, je pense toi, je mange toi, je danse toi, je suis avec toi !
COLLINE
Tu ne penses pas tout le temps à moi. A la limite, souvent.
MAXIME
Souvent oui.
COLLINE
Je ne veux pas prendre tout ton temps.
MAXIME
Nan, j’ai envie de faire ca. T’es mon occupation préférée..
Fabien arrive toujours en jogging sur le côté gauche de la scène. Il a terminé sa course et reprend son souffle petit à petit.
Changement de Lumière
COLLINE s’allonge à même le sol. Et fait un caprice. Crescendo.
Ecrase moi !
MAXIME
Hein ? Non.
COLLINE
Si ! si ! Ecrase moi ! S’il te plait ! Ecrase moi ! Je veux tout ton poids, là , sur moi !
MAXIME
Non. C’est ridicule.
COLLINE
Allez ! Viens ! Allez !
MAXIME
Non. Je vais te faire mal.
COLLINE
T’as peur c’est ça ? Vas y je te dis vas y ! Tu fais ce que je veux ! Je veux que tu m’écrases alors tu viens et tu m’écrabouilles ! Je veux que tu sois tout proche de moi, je veux te sentir près de moi, contre moi alors viens ! VIENS ! VIENS ! VIENS !
FABIEN
Tu devrais y aller.
MAXIME interloqué par l’intrusion de Fabien dans sa conversation avec Colline.
Pardon ?
FABIEN
Tu devrais y aller. Elle ne lâchera pas tant qu’elle n’aura pas eu ce qu’elle désire.
COLLINE
ECRAAAAAAAAAAAASEEE MOIIII !!
MAXIME
Mais non ! C’est complètement con ! Je vais te faire mal.
FABIEN
Fais ce qu’elle te dit, vous n’allez pas vous disputer pour ca…
Regarde la, je me souviens (il rit), elle va se mettre à bouder…
COLLINE
Eh oh ! Je ne boude pas !
FABIEN Il rit.
Ok… je n’ai rien dit…
COLLINE
Viens sur moi…s’il te plait ! S’il te plait ! S’iiiiiiiiiiil te plaiiiiiiiit !
MAXIME
(à Colline) Calme toi…
(à Fabien)Toi, je n’ai pas besoin de tes conseils. Je me débrouille très bien.
COLLINE
Je ne demande pas grand chose ! Ecrase moi!
FABIEN
(à Colline) Je suis vraiment désolée, je ne me souvenais pas d’être aussi têtu à l’époque.
(à Maxime) Je voulais juste te faire gagner du temps. Un petit coup de main, quoi. Bon…
MAXIME
Quoi « bon »?! Tes petites remarques insidueuses, tes interruptions déplacées dans ma vie de couple tu te les gardes ! Tu seras bien aimable.
COLLINE
Je rêve… Il réussit à s’engueuler avec lui même !
Je compte jusqu’à trois…je commence à perdre patience. Vous préviens ! Si y a pas quelqu’un qui vient m’écraser dans les secondes qui suivent je vous jure…
FABIEN en se rapprochant.
Ah ? Moi j’accepte !
MAXIME se précipite, le devance et s’écrase violemment sur Colline et lui fait mal.
A Fabien
Toi tu ne bouges pas !!
COLLINE
Aiiiiiie ! Pousse toi tu me fais mal ! T’es vraiment nul, c’est pas possible ça !
Elle sort de scène.
FABIEN
Bien joué. La délicatesse incarnée !
MAXIME faisant le dur, le « coq »
T’as dit quoi ?!
FABIEN
Rien.
MAXIME
T’as rien dit ?
FABIEN
Si. « Rien ».
MAXIME
Avant !
FABIEN
Rien de bien méchant. J’ai dit…
MAXIME
Quoi ?!
FABIEN qui se met en mode coq aussi.
Bien joué. LA DELICATESSE INCARNEE !
Y a un problème ?
MAXIME qui arrête de faire le malin, un peu flippé, et très poli.
Non, non... tout va bien…
Scène 5
FABIEN COLLINE MILENA ANTOINE MARIANNE
Maxime fait un gros sourire de faux cul et s’éclipse gentiment, pendant qu’il sort, il croise Milena qui arrive en joggant sans le voir. Elle s’arrête près de Fabien en reprenant son souffle. Colline fait juste un passage rapide en arrière scène râleuse. Antoine et Marianne ont accroché sur leurs vêtements des branches. Ils feront des arbres vivants durant cette courte scène. Chacun d’un côté, l’un deux, pommier, mangera sa propre pomme. Tandis que l’autre, sans fruits, ne pouvant pas bouger, le regardera avec envie et frustration.)
FABIEN
A Colline
Ca va ?
COLLINE triste
Ca va.
Joyeuse.
Ce n’est pas grave.
Elle sort.
MILENA reprenant son souffle.
Vous disiez ?
FABIEN quittant des yeux Colline revenant sur Milena et prenant conscience de sa présence.
Hein ? Euh...non rien.
MILENA tentant d’engager la conversation.
Pfouuuh…Fait chaud !
FABIEN
Hum.
Silence. Pesant pour Milena. Ne trouve pas ses mots. Fabien lui est tranquille.
MILENA
Mes grands parents venaient souvent dans ce parc. Ils devaient m’y traîner également quand j’étais enfant. Je ne me souviens plus ! ( Elle rit.) Je ne sais pas pourquoi je viens là. Peut être pour que ca me revienne. Pour qu’ils me reviennent un peu. Ah ! Ah ! Je ne sais pas pourquoi je vous dis ça ! Histoire de papoter. Enfin… Je ne vais pas vous déranger.
FABIEN
Bonne journée !
Milena sur le départ puis revient à la charge.
MILENA
Vous savez… ca fait un moment qu’on se croise !
FABIEN
Ah oui ?
MILENA
Oui… Vous courrez bien. Vous venez le mardi le samedi et le dimanche toujours à la même heure. Pas que je vous traque, hein… (Rire Nerveux.)
C’est juste que c’ est amusant cette régularité. Je ne sais pas… J’ai trouvé ça marrant.
Et là j’ai cru que vous me parliez et donc je me suis lancée.
Voilà.
Fabien sourit poliment.
Pas du genre bavard hein ?
Ce n’est pas grave, je parle pour deux !
FABIEN
Ca tombe bien je parle peu.
MILENA
Oui, oui… Je comprends parfaitement ce que vous venez de dire. Faut savoir s’économiser. Non, mais je ne parle pas tant que ça. C’était pour plaisanter. C’est agaçant ces gens qui blablatent sans arrêt…pas souvent passionnant en plus ! (Rire Nerveux)
Il fait vraiment bon aujourd’hui. C’est très agréable. Si ca ne vous dérange pas, je vais me poser quelques minutes. Ca crève de courir. C’est bon, mais ca crève !
FABIEN
Faites comme bon vous semble. Cette herbe n’est pas la mienne.
MILENA éclate de rire, puis dans la confidence.
Vous fumez ?
FABIEN
Non. Pourquoi cette question ?
MILENA
Euh laissez tombez…J’ai cru que vous faisiez une… Non, rien. Ce que je peux être cruche des fois…
FABIEN
Vous en avez les délicates formes.
MILENA horrifiée, vexée, se regardant.
Ah bon ? Vous trouvez ??
FABIEN
Excusez moi, je ne voulais pas dire ça. Y a de belles cruches : très raffinées, très élancées avec de belles courbes…
MILENA mielleuse et troublée.
Ah bon ? Vous trouvez ??
FABIEN
Hum.
Silence. Tous les deux posés observe la nature, ce qui les entoure.
MILENA
Ils ont entretenus une correspondance de deux ans avant de « consommer leur relation ». C’est beau non ?
FABIEN
Oui.
Qui ?
MILENA
Mes grand- parents. Ils ont été marié une cinquantaine d’année. Vous imaginez le temps que ça fait ? C’est incroyable. C’est beau de se découvrir dans l’écriture. Dommage que ca ne se fasse plus.
A la mort de Jeannine. Il les lisait tous les jours. Ses lettres. Il refabriquait ses souvenirs, se rattachait à ces traces. C’est beau l’amour de cette manière. C’est beau de ne pas se remettre de l’autre. C’est beau de se connaître ainsi aussi.
Il ne parlait pas beaucoup, un peu comme vous d’ailleurs, et depuis sa mort, à elle, il ne peut contenir des sanglots dès qu’il s’exprime. Comme si tout était rattaché a cette petite femme aux allures d’Audrey Hepburn, du moins c’est ce qu’il m’en dit. « Elle avait son élégance, sa grâce !» .Si c’est pas de l’amour ca ! Je me demande si on aime les gens davantage quand on les a perdus.
FABIEN
On prend réellement conscience de leur existence. Avant on ne les voyait pas vraiment. Tel un voile. Et dès que ce n’est plus, c’est comme un caprice d’enfant. Attention, un très beau caprice, j’entends, qu’il nous faut absolument.
MILENA
On est plus vivant lorsqu’on est mort.
Là, nous ne sommes que des ombres.
Je ne supporte pas cette idée.
D’être là, inachevée…
Vous me voyez ? Vous me voyez Moi ? Moi !
FABIEN
Je vois une jolie cruche.
MILENA
Ah. C’est déjà ça !
Regarde l’heure.
Je dois aller travailler. C’était très intéressant. Merci.
FABIEN
Egalement.
MILENA
Alors…bonne journée !
FABIEN
Merci. Vous aussi.
MILENA au moment du départ prenant son courage à deux mains.
On pourrait se revoir ?
FABIEN
Oui.
MILENA
Je veux dire, en dehors du mardi, samedi ou dimanche. On pourrait se revoir ?
FABIEN
Oui.
MILENA
Je vais souvent dîner au café qui fait l’angle.. Si ca vous tente, demain par exemple… Ou plus tard, comme vous voulez.
FABIEN
Demain soir ce sera. 20h ?
MILENA
Parfait.
Alors…au revoir.
FABIEN
Au revoir.
Il s’approche comme pour lui serrer la main, elle comme pour lui faire une bise. Ils se cognent un peu.
MILENA
Ah vous allez par là vous aussi ?
Très bien !
Ils sortent de scène.
Scène 6
COLLINE MAXIME
Entrée Colline/ Maxime en courant.
COLLINE criant pendant que Maxime la fuit
Je te demande pour la dernière fois de me répondre !!!!
Et arrête de fuir la discussion !
Tu fais toujours ça. C’est pas grave les disputes tu sais…
Y a même des gens qui disent que c’est bénéfique pour un couple !
Qu’on va s’aimer encore plus fort après !
Comme on dit « Les Conflits ça a du Bon » !
MAXIME s’arrête net.
Qui c’est qui dit ça ?
COLLINE
Euh…Je ne sais pas…Des gens… Moi… Tout le monde.
Ce n’est pas le problème de toute façon.
Revenons à nos moutons.
MAXIME
Y a pas de moutons ! Tout va bien. Je t’assure.
COLLINE
Je suis pourtant obligée de te poursuivre pour te parler.
MAXIME
Tu ne faisais que hurler.
COLLINE
Il le fallait bien. Tu m’as menti. Et tu continues.
MAXIME
Non.
COLLINE
Tu recommences ! Ce n’est pas croyable ! Tu ne fais que dire ça « non » !
Ce n’est pas une réponse valable.
Je mérite plus qu’un mot seul, isolé, abandonné!
MAXIME
Qu’est ce que tu veux que je te dise ?
Non, je ne m’en rappelle pas !
Je ne vais pas inventer pour te faire plaisir.
COLLINE
Tu ne comprends rien. Je me suis confiée à toi. Je t’ai donné un peu de mon univers, un peu de moi. C’est précieux. J’aurai voulu qu’on partage des choses. Personnelles. Tu ne veux pas. Soit. Je ne te dirais plus rien.
MAXIME
Pourquoi tu te mets dans des états pareils ?
Je ne sais pas comment je vole dans mes rêves ! Je te jure ! Alors arrête un peu !
COLLINE très rapide
Non je n’arrêterais pas ! C’est important !
Y’a des gens pour qui c’est évident. Pfiouth ! Dans les airs.
Moi, que dalle !
Je suis obligé de courir pendant un long moment, en agitant les bras dans tous les sens, comme ça, et mes pieds décollent légèrement, à peine, et il faut que je continue à gesticuler encore et encore pour m’élever davantage. C’est un terrible effort ! Alors oui, c’est important pour moi de savoir si toi aussi ça t’es difficile, si ça te demande un effort conséquent, du travail ! Parce que moi, ça me fatigue, ça m’épuise... C’est censé être reposant un rêve…
MAXIME
Ca t’ aurais rassuré que j’ai du mal à voler ?
COLLINE
Oui…Non… Peu importe. Je voulais simplement qu’on partage des choses.
MAXIME
Ok.
Un Temps.
Il m’arrive, mais c’est uniquement par plaisir personnel, je n’ai absolument aucune ambition professionnelle là dedans, il m’arrive….de chanter.
COLLINE toute heureuse.
Tu chantes ?????
C’est vrai ????????
MAXIME
Oui.
On y va, maintenant ?
COLLINE
Oh, s’il te plait, s’il te plait, s’il te plait…Chante quelque chose !
Une comptine, un air tzigane, du jazz ! Ce que tu veux !
MAXIME
Ah non !
Tu as vu comment tu es ? Tu comprends pourquoi je ne veux pas te dire les choses ?
COLLINE
« Tu ne veux pas »…ça signifie que tout à l’heure…
MAXIME
Arrête un peu ! Je ne vole pas ! Voilà ! Je ne vole pas !
Colline fait la tête. Maxime commence à lui chanter Fly me to the Moon peu volontaire pour la calmer. Puis avec plus d’entrain. Colline redevient joyeuse. Pendant la chanson, Fabien rentre se coucher dans son hamac, en chantonnant également une ou deux phrases. Maxime et Colline sortent de scène. Laissant Fabien à son sommeil.
ACTE 2
Scène 1
Des Bulles.
ANTOINE MARIANNE FABIEN
(Arrivée Antoine vêtu entièrement de boîtes en carton sur Musique Fly me to the Moon de Franck Sinatra. Tenue le faisant ressembler à un astronaute. Il avance sur scène armé d’un drapeau. Cosmonaute du rêve de Fabien.)
ANTOINE
« C’est un petit pas pour l’homme, mais un grand pas pour l’humanité ! »
Marianne arrive vêtu de noir. L’air sombre. Personnage puissant.
MARIANNE
Qui êtes vous ?
ANTOINE
Et vous ?
MARIANNE
Qui je suis ?
Vous vous baladez sur mes cratères et vous osez demander qui je suis ?
ANTOINE
La lune est à tout le monde.
Laissez moi tranquille.
MARIANNE
Tu veux mourir ?!!
ANTOINE
Non. Simplement jouer.
Il recommence à se promener sur scène. Marianne prend une posture de grande méchante pour l’effrayer mais ça ne l’impressionne pas plus que ça. Il continue ses affaires tranquillement. Marianne pousse alors un cri de haine et fonce sur lui très en colère. Elle lui arrache des bouts de cartons, le frappe de toutes ses forces. Antoine commence à avoir peur, n’arrive pas à se défendre, trop encombré par sa tenue, il se retrouve à terre.
MARIANNE
Retourne d’où tu viens petit effronté ! Cette Lune est Mienne ! Insolent !
ANTOINE
Aie, arrêtez ! Mon costume d’astronaute ! Non, laissez moi ! Je vous en prie !
MARIANNE
Tu vas mourir !
ANTOINE
Mais ! Je n’ai rien fait ! Aie ! Non !
MARIANNE
Ah !Ah !Ah !Ah !Ah !
(rire de méchant machiavélique)
ANTOINE effrayé hurle
CHANGEMENT DE REVE !!!!
MARIANNE s’arrête immédiatement
Comment ?
ANTOINE reprenant peu à peu de l’assurance
Oui, Madame ! Je change de rêve ! Il est dit que lorsqu’un songe devient cauchemar à nos dépends, avec un peu de volonté on peut le modifier selon nos souhaits !
MARIANNE
Je n’en crois pas un mot !
Elle se remet à l’attaquer.
ANTOINE
Non ! Non ! Non !!!!! CHANGEMENT DE REVE !!!!!!!
Marianne est comme projeté en arrière. Un temps. Ils se regardent. Et soudain Marianne change complètement d’attitude. Elle le regarde très amoureusement. Et s’approche de lui emplie d’un désir irrésistible. Lui surpris, commence à sourire.
Ca marche…
MARIANNE allumeuse
Embrasse moi…
ANTOINE
Oui…oui...Tout de suite !
Alors qu’il s’apprête à l’embrasser, tout proche du baiser, Marianne redevient sombre et méchante.
MARIANNE
Tu as cru que tu pouvais me contrôler ?!
Ils se battent à nouveau. Ce qui réveille Fabien.
FABIEN très énervé
Taisez vous ! Taisez vous !
Je ne vous supporte plus !
Vous êtes là, partout, tout le temps ! Sortez de ma tête, je ne veux plus vous voir !
MARIANNE ANTOINE penauds
On ne faisait que jouer.
FABIEN
Je m’en fous ! J’en ai marre ! Ma claque de vous ! J’essaye de vivre ma vie ! C’est sérieux. La vie. Et vous, vous passez votre temps à me déconcentrer, à faire des âneries, à vous amuser pendant que moi je me tue au boulot ! Vous me pourrissez même dans mes rêves ! C’est quoi ces idées d’astronautes, de guéguerre ? Je suis fatigué, je voudrais juste rêver d’un grand champ de tulipes, de coquelicots avec de l’herbe haute bien fraiche où je pourrais me prélasser et ne plus penser à rien. Me reposer.
MARIANNE
Ce n’est pas de notre faute. On vient de ton imaginaire. C’est toi qui nous fais faire ça.
FABIEN
Suis je donc fou ? C’est Moi qui te fais dire ça ?
MARIANNE
Non. Ca c’est sorti de ma tête. Nous avons tout de même le droit à un peu de liberté de pensée.
Antoine pendant ce temps, a les bras levés et fait des mouvements étranges.
A Antoine.
Mais qu’est ce que tu fabriques ?
ANTOINE
Je m’entraîne.
MARIANNE FABIEN
A quoi ?
ANTOINE
A faire la tulipe.
MARIANNE
Ce n’est absolument pas le moment ! J’essaye de nous sauver ! Il veut nous oublier ! Nous ôter de son esprit ! Tu imagines si cela arrive ? Nous ne serons plus rien ! De la poussière dans l’air !
Antoine effrayé regarde Fabien qui est un peu gêné.
Marianne regarde également Fabien en détresse.
FABIEN
Mais non… Ne dites pas ça…Je ne pensais pas ce que je disais… Je suis de mauvaise humeur, je me suis un peu laissé emporté. Ca arrive… Tout ce que je demande c’est un soupçon de douceur supplémentaire et un brin moins d’agressivité dans vos jeux. Est ce du domaine du possible ?
Les deux hochent de la tête tout heureux.
Très bien. Filez maintenant ! Je vais prendre ma douche.
Tout heureux, ils sortent de scène. Marianne la première. Juste avant la sortie d’Antoine.
Bon boulot. Ta tulipe.
Antoine sourit et sort fièrement.
Fabien sort de scène.
Scène 2
COLLINE ANTOINE MARIANNE FABIEN
Colline entre sur scène, s’assoit sur un cube. Déprimée.
COLLINE
Je ne me sens pas bien. Des nœuds dans le ventre. Des larmes qui se refusent à couler.
Et le pire dans tout ça, c’est que je ne sais absolument pas pourquoi. Ca me déprime encore plus. Alors je culpabilise, j’essaye de trouver une raison, mais rien. Alors j’attends que ça passe.
Colline attends que ça passe.
Il doit forcément il y avoir des gens la haut qui tirent les ficelles. Je veux dire, ce n’est pas possible d’être malheureux sans raison. C’est inutile, ça ne sert pas.
Oui, c’est ça ! Bien sûr ! Ils sont la haut, tranquilles voguant de nuages en nuages, à boire de l’hydromel jusqu’à plus soif, à se gaver de nectar et d’ambroisie ; et dès que l’ennui surgit ils jouent avec nos émotions ! Si ça se trouve, ils ont des sortes de petits carnets, avec nos noms dessus, et ils cochent au hasard Tristesse, Fou Rire, Colère, Désir, Folie et Paf ! L’émotion nous tombe dessus comme un cheveux sur la soupe ! Et on se met à chialer sans même savoir pourquoi ! Je comprends dans un sens, leur besoin de distraction, on se lasse de tout avoir. C’est leurs mots croisés à eux, et nos vies à nous.
Ou alors, ils font ça pour équilibrer. D’en haut, ils doivent voir facilement quand y a trop de gens heureux. Ils nous façonnent à leur manière, en nous donnant de l ‘Ambition, ou bien de la Colère pour qu’on soit tous différents les uns des autres.
En confidence, pour que les Dieux n’entendent pas.
En tout cas, y a un truc qu’ils ont oublié ! Un moment où on est tous semblables !
Elle hoche de la tête. Un temps. Puis avec de plus en plus de fascination.
C’est lorsqu’on enfile nos chaussettes…
C’est vrai ! A cet instant, il n’y a plus d’attitude, de statut, de grade, de faux semblants, on est ce qu’on est réellement. !
Le matin, encore hagards, on se pose l’air endormi sur une chaise ou le rebord d’un lit et qu’on soit docteur, chimiste, danseuse, plombier, taxidermiste, couturier, on l’enfile avec la même absence notre chaussette, notre collant, notre mis bas, notre socquette ;
et là,
pendant qu’elle se déroule et qu’elle enlace notre pied, on pense à Tout. Et à Rien.
En même temps
Elle rit. Un Temps.
J’adore les chaussettes !
Pendant que Colline dit sa dernière phrase, la musique commence (Two Weeks de Grizzly Bear) Danse en l’ honneur de la chaussette et hymne à la joie avec Colline, Maxime, Antoine et Marianne)
Pendant la chorégraphie, Fabien est revenu de la salle de bain, et regarde la scène, émerveillé par Colline. En plein milieu de la musique on sonne à la porte.
Scène 3
FABIEN LA VOISINE COLLINE ANTOINE MAXIME MARIANNE
Il y a une porte disposée sur le côté de la scène. On peut voir ce qu’il se passe de chaque côté.
Colline, Marianne et Antoine se cachent tous les uns derrières les autres en lignes et ne bougent plus.
Fabien se dirige vers la porte et l’ouvre.
FABIEN
Oui ?
LA VOISINE anglaise
Je ne supporte plus. Il faut arrêter maintenant Monsieur. J’ai une famille. Vous n’êtes pas tout seul dans l’immeuble.
FABIEN
Je ne comprends pas. Arrêter quoi ?
LA VOISINE
Vous faites du bruit ! Tout le temps ! I can’t sleep anymore and it’s entirely your fault!
Alors je vous demande s’il vous plait, Monsieur de stopper.
FABIEN
Ecoutez moi aussi ca commence à me fatiguer cette histoire ! Je vis seul, ne suis pas particulièrement bruyant, ne reçois pas de visites ou rarement, je ne vois pas du tout ce à quoi vous vous référer. Alors je vais vous demander soit d’argumenter vos propos, ce qui me semble difficile, soit de rentrer à votre domicile, Madame, et de me laisser en paix.
LA VOISINE hystérique
Vous faites le bruit ! Tout le temps ! Je ne suis pas folle ! A quatre heures du matin, j’entends le son des talons sur mon plafond ! Vous le faites exprès ! Vous voulez m’empêchez de dormir ! That’s not fair !
FABIEN
Vous êtes dingue ma pauvre ! Vous pensez sérieusement que je mets des talons aiguilles la nuit et que je fais les cent pas pour votre nuisance personnelle ?
LA VOISINE hurlant
Si ! Si ! J’entends chaque nuit ! Laissez moi tranquille !
La lumière du côté de la voisine s’éteint. C’est la lumière de la cage d’escalier.
Un temps. Fabien va pour allumer la lumière du couloir mais est interrompu par la voisine qui le tape sur la main et l’en empêche.
LA VOISINE mauvaise
Je n’ai pas besoin de lumière pour vous parler.
Fabien allume la lumière.
FABIEN
Mais moi j’ai besoin de lumière pour vous voir.
LA VOISINE
Don’t act as if you were a nice guy. I know who you really are !
FABIEN
Calmez vous immédiatement.
C’est vous l’hystérique qui passez votre temps à crier dans l’immeuble depuis mon arrivée et qui empêchez les gens de vivre paisiblement ! Alors ce qu’on va faire, c’est que je vais descendre avec vous et qu’on va vérifier ensemble les sons imaginaires que vous entendez ! Compris ?
LA VOISINE a moitié en larmes
Vous me hurlez dessus ! Et vous voulez m’attaquer à mon propre maison ! Je vais appeler la police si vous me menacer encore ! I will sue you !
FABIEN
Très bien. Faites donc !
Il lui claque la porte au nez. Elle part furibonde d’un côté lui de l’autre puis regarde les trois acolytes restés sur scène qui se remettent en position pour danser.
Non ! Ca suffit maintenant ! Vous m’épuisez ! Tous !
Sortez ! J’ai des choses à faire !
Les autres rient. Rire particulièrement moqueur de Colline.
FABIEN à Colline
Surprenant ? Oui ! Je fais des choses ! Les gens changent.
Vous restez plantés là ?
Alors c’est moi qui pars !
Il enfile son manteau et sort.
Scène 4
FABIEN COLLINE MAXIME ANTOINE MARIANNE DEBORAH
Colline et Maxime sortent de scène.
Pendant ce temps, Antoine tire sur le rideau qui amène le lieu du restaurant. Et Marianne amusée par cette nouvelle chose, commence à jouer à la tenancière. Antoine se prête au jeu, et devient serveur docile et appliqué.
Musique commence au moment où le rideau est tiré ( Diferente de Gotan Project ).
Fabien entre. S’installe seul à une des tables du restaurant. Pendant ce temps derrière le rideau, Marianne et Antoine, Maxime, Colline on enfilé des fausses tables en carton autour de leurs tailles.
Ils entament une chorégraphie basée sur la nourriture, le fait de boire, manger, de rire, fumer dans un café. Très synchronisé, et minimaliste. Arrivée de Déborah en serveuse, sur la musique, au centre de la scène. Danse très sensuelle aux airs de tango au milieu des autres qui continuent leurs gestes robotiques. C’est la présentation de Déborah qui symbolise le Désir, la Beauté. Peu à peu les autres danseurs s’éclipsent : Maxime et Colline se posent en fond de scène et discutent comme deux clients prenant un verre, Antoine joue au serveur et tente de prendre la commande auprès de Fabien qui n’a d’yeux que pour la danseuse et le renvoie d’un geste, Marianne envieuse de la beauté de Deborah, retourne à son comptoir et interrompt la danse et la musique en reprenant son rôle de patronne.
MARIANNE
On n’est pas au cabaret ! Retourne bosser ! Tout de suite !
Déborah, reprenant ses esprits, reprend son service. Un air terriblement triste sur le visage.
DEBORAH
Vous avez choisi ?
FABIEN
Encore une toute petite minute s’il vous plait !
MAXIME à Colline
Tu vois ? Ce n’est pas si terrible de prendre un café ! Je trouve ça très agréable.
COLLINE
Moi ça m’angoisse, ces gens qui se disent rien. Faut que je sorte.
MAXIME
Non reste un peu. Tu t’en sors très bien.
COLLINE
Pas du tout. J’ai des bouffées de chaleur, l’impression que tout le monde m’observe, ça me met très mal à l’aise. Mords moi.
MAXIME
Détends toi.
COLLINE
Est ce que j’ai l’air détendue, là ?? Mords moi s’il te plait, ça va me calmer.
MAXIME
T’es sûre ?
Elle lui tend sa main. Il la mord, elle crie, elle le baffe.
FABIEN à Déborah
Mademoiselle !
COLLINE à Maxime
Excuse moi, ça ne marche pas ! On se retrouve à la maison. Je t’aime.
Elle l’embrasse et sort de scène.
DEBORAH
Vous avez choisi ?
FABIEN
Oui je vais prendre…une escalope milanaise, ça vient avec ?
DEBORAH
Des spaghettis.
FABIEN
Très bien. Très bien. Et comme boisson … vous avez quoi comme rouge au verre ?
DEBORAH
Du Bordeaux, du Côte du Rhône, du…
Elle s’effondre en larmes.
FABIEN gêné, lui touchant un peu le bras maladroitement
Ca va mademoiselle ?
DEBORAH
Lâchez moi ! Je vous ai rien demandé !
Elle retourne près du bar.
FABIEN agacé
C’est pourtant bien mes larmes que tu fais couler !
Scène 5
DEBORAH MAXIME
Lumière sur Déborah, près du bar. Maxime la rejoint.
Au fur et à mesure de la scène, une tension sexuelle s’installe de plus en plus. Les mots importent peu. Le désir prend le dessus.
MAXIME
Je vous dois combien ?
DEBORAH
Rien. C’est pour moi.
MAXIME
Vraiment ? Pourquoi ?
DEBORAH
Pour rien. Y a des choses qu’on n’explique pas.
MAXIME
Merci beaucoup.
Un temps. Il l’observe fasciné.
Vous êtes… effrayante de beauté.
DEBORAH
Je sais.
Tu voudrais m’embrasser ?
MAXIME
Je ne sais pas.
Un temps. Deborah retourne à sa lecture, adossée au comptoir.
« L’homme est sage, intelligent et raisonnable en tout ce qui concerne les autres, mais pas en ce qui le touche lui même.»
Deborah lève les yeux de son livre, sourit et le regarde d’un air interrogatif.
Gogol. J’ai vu que tu lisais les Nouvelles de Petersbourg. Alors,…
DEBORAH
T’as pensé à cette phrase.
C’est beau.
C’est vrai.
Maxime se rapproche un peu.
MAXIME
Ca fait longtemps que tu bosses ici ?
DEBORAH
Embrasse moi.
MAXIME
Pourquoi ?
DEBORAH
Parce que tu ne veux pas.
MAXIME
Non, tu es magnifique, ce n’est pas ça…
Je ne peux pas.
Je t’ai regardé toute la soirée. Pas pu m’en empêcher.
Mais va falloir que…
Deborah l’embrasse avec passion.
MAXIME émerveillé, le souffle coupé
Pour…pourquoi moi ?
Elle rit.
DEBORAH
Tais toi.
Ils s’embrassent, s’enlacent.
Scène 6
MILENA FABIEN ANTOINE MARIANNE MAXIME DEBORAH
Lumière revient sur Fabien, tamisée sur Deborah Maxime.
Arrivée de Milena dans le restaurant. Pendant la scène entre Milena et Fabien, Deborah et Maxime s’embrassent, se retrouvent à terre, et continuent à s’enlacer etc…
MILENA
Excusez moi je suis en retard…
Elle s’installe face à Fabien.
FABIEN
Ne vous inquiétez pas. Ce lieu ne manque pas de distractions !
MILENA
Oui c’est certain ! (Elle rit.) Parfois je viens dîner seule, ici ; quand je n’ai pas l’énergie de me concocter un petit quelque chose à manger, et j’observe les gens vivre. Pas de manière malsaine, attention, en tout bien tout honneur !
FABIEN
Nul doute là dessus !
MILENA
Les gens sont étranges.
L’autre jour, une jeune femme prenait un verre avec ses amis. Elle parlait fort, qu’est ce qu’elle parlait fort ! Et je ne pouvais pas faire autrement que d’écouter. Elle se plaignait qu’un homme, un peu plus tôt dans la journée, l’ai comparé à un tableau de Modigliani. Les autres riaient, se moquaient. Alors elle a ri aussi. Et je n’ai pas pu m’en empêcher, je suis intervenue. Et ce n’est pas dans ma nature ! Je ne sais pas, ça m’avait mis en colère, cette ignorance face à la Beauté…
FABIEN
Vous lui avez dit quoi ?
MILENA
Je lui ai dit que si un homme m’arrêtait un jour dans la rue pour me dire cela, eh bien, que ça me rendrait très heureuse tout simplement, que c’est un compliment d’une rare beauté que l’on ne doit pas gâcher.
FABIEN
Et elle a dit quoi ?
MILENA
Elle m’a fait un grand sourire, et a regardé fièrement ses amis, qui ne riaient plus d’ailleurs.
Vous avez vu des choses intéressantes pendant mon absence ?
FABIEN
Des souvenirs.
Maxime et Deborah quittent la scène ensemble discrètement.
En sortant ils tirent le rideau qui enlève le décor du restaurant, afin que l’on retrouve l’atmosphère de l’intérieur de Fabien.
MILENA
Un homme perdu dans ses pensées ! (Elle sourit.)
Une autre fois, deux hommes se sont battus, la patronne était affolée ! Je crois que c’était parce que l’un deux…
FABIEN
Tu ne veux pas me parler de toi ?
Milena ne dit rien. Elle est surprise d’avoir été interrompue. Bloquée.
Ne le prends pas mal.
Je connais la vie amoureuse de tes grands parents, une anecdote au sujet d’une femme qui t’es inconnue, le fait que tu cours… et c’est à peu près tout.
J’ai envie d’en savoir plus à ton sujet, ce n’est pas méchant ce que je te dis.
MILENA
Ce n’est pas facile de parler de soi.
FABIEN
Ca c’est sûr ! Mais c’est tellement plus intéressant de s’y essayer. Je me suis toujours dit qu’à quarante ans je saurais qui je suis, que je pourrais répondre à cette question.
MILENA
T’as réussi ?
Il rit.
FABIEN
Absolument pas ! Et qu’est ce que ça m’agace !
MILENA
Etrange ton raisonnement.
FABIEN
Et pourquoi donc Mademoiselle ?
MILENA
Je refuse de savoir avec exactitude « ce que je suis ». Je veux m’en approcher, me connaître un minimum, mais de là à avoir une réponse précise …
Je trouve cette idée terrifiante, à cause de « l’après ».
FABIEN
C’est à dire ?
MILENA
Qu’est ce que tu feras après ? Le jour où tu sauras ? Oui, bien sûr, il y a un côté apaisant à se trouver réellement j’imagine, mais après, je veux dire… les quarante prochaines années…qu’est ce qu’on doit se faire chier! Excuse moi ! Je suis grossière !
FABIEN
T’es très amusante. J’aime beaucoup.
Ils se lèvent, continuent à discuter en se dirigeant vers le hamac, où ils vont s’asseoir tous les deux. On se retrouve chez Fabien.
MILENA
Parfois je me promène, et je suis émerveillée parce ce qui m’entoure : les arbres, l’architecture des immeubles, une couleur, une personne…
Et cette joie que m’amène toute cette beauté, m’attriste soudainement.
J’ai de la peine pour tous ces autres moments où je ne prête pas attention, où je suis trop préoccupé par mon quotidien banal.
FABIEN
Tu es adorable.
Ils se regardent. S’embrassent maladroitement.
Tu vas me rendre heureux.
Scène 7
FABIEN MILENA LA VOISINE
On sonne à la porte.
Fabien va ouvrir. Il tombe sur la voisine.
LA VOISINE dans la confidence, complice
Ah ! Vous êtes réveillé ! Impossible de fermer l’œil ! Excusez moi…
Elle le pousse, et rentre dans l’appartement de Fabien. En plein milieu de scène, devant les regards perplexes de Milena et Fabien, elle se met à hurler aux voisins du dessus, donc en direction du plafond !
Shut Up ! You filthy rats ! Shut Up ! I am calling the Cops !
A Milena, Fabien, puis à elle-même.
Je suis très fatigué par tout cela vous savez… On ne peut plus vivre dans le silence.
Je me bats beaucoup sans savoir pourquoi. C’est tout ce bruit qui m’empêche…
Et quand je dors ce n’est pas beaucoup mieux, vous savez. J’ai fait le rêve où je me trouvais à la campagne de mon enfance mais j’avais mon âge. Je déjeunais avec mon père, mon frère et ma mère et nous étions très heureux dans la conversation. Et ensuite, je me disais « No this can’t true. She’s gone ! » Alors je demandais à mon frère comment cela était possible et il ne répondait pas. Il souriait. Alors je commençais à…how do you say…m’inquiéter. J’étais folle de joie de revoir ma mère mais ce n’était pas bien. Pas possible. Elle n’est plus, comment pouvais je voir son sourire, ses sourcils se froncer lorsque mon père dit des stupidités. Alors je me suis dit c’est Papa qui a fait un robot, une machine qui lui ressemble pour qu’elle ne nous manque plus. Mais il faut nous conseiller avant de faire cela, je me suis dit, parce que ce n’est pas vraiment ma mère et que c’est triste un peu. Et puis, d’un coup, j’étais très gênée…parce que mon mari, mes amis, je leur ai dit une fois que ma mère était décédée, et je me suis dit si la machine se casse, je devrais leur dire a nouveau ? They’ll think I m crazy…On ne meurt pas deux fois. Il aurait fallu cacher, ou réparer…
FABIEN
Excusez moi, je…je ne comprends pas. Vous êtes chez moi. Je…
LA VOISINE de plus en plus folle, et malheureuse.
Laissez moi ! Je ne veux pas vous embêter. Laissez moi parler !
Je voudrais, je voudrais… qu’il se passe des choses dans ma vie ! Vous comprenez ?
Je voudrais avoir une raison pour toute cette peine.
Mon mari…non.
La solitude, c’est une raison ?
Je ne suis pas la Ophélie, ou la Juliette avec le destin tragique…
Non, le problème de ma vie, c’est l’ennui.
Il ne se passe Rien.
C’est la pire chose qu’y puisse exister.
Nothing. Nothing around. Being Nothing…
I am like, you French people have an expression, I am like… a useless socks that has been thrown away. I am a forgotten socks…
FABIEN
I am sorry. I don’t speak English. Je ne sais pas ce que vous fait…
LAVOISINE
Le chaussette oubliée je suis ! You don’t understand ? Really ? Can’t you feel the pain ?
Il n’y a pas de barrières, les mots ne sont qu’un outil pour dire la douleur !
Voilà ! Je suis le chaussette oubliée ! Nobody cares about me !
Si je crie, c’est pour vivre !
Si je viens voir ici, c’est pour combler l’ennui !
Sauf que vous avez l’air vide vous aussi !
Paris, la Ville Romantique !
Mon cul !
Elle sort furieuse de l’appartement. Laissant Milena et Fabien sans mots.
Scène 8
MILENA FABIEN
Un temps.
MILENA
Je… c’était…
FABIEN aimable mais tendu.
Va te reposer. Je te rejoins.
Il l’embrasse sur le front. Milena s’allonge dans le hamac et s’endort.
Scène 9
FABIEN MAXIME DEBORAH
Fabien va en avant scène, se pose sur un cube, pensif, fatigué.
Maxime le rejoint.
Maxime s’assoit, se relève, se rassoit. Indécis. Nerveux. Cherche du feu. Mais en vain.
MAXIME
T’as du feu ?
FABIEN
Non.
MAXIME
Moi non plus.
Semi sourire. Un temps.
FABIEN
Ca va ?
MAXIME agacé.
Pourquoi tu demandes ? Je suis toi. Tu devrais le savoir.
FABIEN
En effet.
On n’est pas obligé de parler.
Pas l’énergie de m’énerver de toute façon.
Un temps.
MAXIME
J’ai perdu Colline.
FABIEN
Je sais.
MAXIME
Je sais que tu sais.
Bref, je suis un gros con.
FABIEN
Mais non.
MAXIME
Tu sais remonter le moral des gens toi !
FABIEN
Je ne t’ai jamais dit que j’allais le faire. Et puis, tu ne m’as rien demandé non plus que je sache.
Tu n’es pas un gros con. C’est la vie, c’est tout. Faut que tu passes à autre chose.
MAXIME
J’aimerai bien. Je n’ y arrive pas. Ca, mon problème.
Un temps.
Comment faire pour que l’autre ne vous manque plus ?
Comment se défaire de ce sentiment ? De cette putain de dépendance ? De cet attachement à l’autre ? Comment ne plus penser à elle tout le temps ?
FABIEN
Je me pose les mêmes questions depuis vingt ans.
MAXIME
Je pensais moins à elle lorsque nous étions ensemble.
Et le fait d’être privé d’elle, me rend fou.
Je suis obnubilé par son absence.
Je voudrais juste qu’elle me revienne.
Non. C’est terminé. Terminé.
Je n’arrive pas à l’accepter. Je ne supporte pas cette douleur.
Commune à tous. Oui on a tous vécu des ruptures !
FABIEN en souriant, pour essayer de dédramatiser la situation.
Dans notre cas, la même !
MAXIME
Oui on dit qu’avec le temps ça passe.
Mais tu vois je m’en fous que ce soit banal comme sentiment,
je m’en fous que ça arrive aux autres.
Ca me rend dingue.
Complètement.
Ca me rend dingue qu’elle puisse aisément vivre sans moi.
FABIEN
N‘ exagère pas. Ce n’est pas facile pour elle non plus.
MAXIME
Tu prends sa défense maintenant ?
Oui, t’as sûrement raison. C’est ma faute. Je le reconnais.
J’ai perdu cette personne, mais aussi le goût des choses. Je ris avec les gens, je sors, mais ça ne m’intéresse pas. Je survole ces instants, je fais semblant. Et cet être, ce bel être, plane au dessus de moi constamment. Une sorte de fantôme. Non, c’est des conneries. C’est moi le putain de fantôme, le putain de zombie…
J’essaye de m’occuper, mais elle est là. Elle ne part pas.
Ote toi de mon esprit. Quitte moi réellement. Celui qui quitte devrait quitter VRAIMENT. Pas juste des mots, pas juste l’absence qui me serre le ventre. Il devrait partir du cœur, de l’âme, des pores, de l’esprit de l’abandonné. Du laissé pour compte. Je n’ai plus rien.
Elle est arrivée. A troublé ma vie, joliment. Et est repartie salement.
FABIEN
C’est toi qui as gâché la magie.
MAXIME
Ca va ! J’ai fait une erreur ! UNE SEULE ERREUR ! DE RIEN DU TOUT ! Oui je n’aurai pas dû ! Oui je regrette ! Mais elle sait pertinemment que je suis fou d’elle. Que l’autre….C’est une erreur. Un écart, que je n’aurai pas dû faire, j’en suis conscient, mais juste un écart. Un minuscule dérapage qui ne devrait en rien entraver notre relation.
Entre Déborah, furieuse, elle décolle une grosse claque à Maxime et ressort de scène. Maxime hagard, n’a pas l’air conscient de ce qui vient de se produire et continue son discours.
Je vais aller la voir. Je vais lui parler. Je vais la récupérer. J’ai appris de mon erreur. Je lui dirais. Et on sera ensemble à nouveau.
FABIEN
Non.
MAXIME
Mais qu’est ce que tu en sais toi ?!
Tu t’es vu ? Franchement, tu t’es vu ?
FABIEN
J’essaye de te simplifier les choses. C’est fini. Ne perds pas ton temps. C’est pour t’aider que je dis ça.
MAXIME
Tu penses sérieusement pouvoir me conseiller ?
T’as quarante ans, t’es seul, t’es triste. Il ne se passe RIEN dans ta vie ! RIEN !
Je refuse de te ressembler. Tu verras ! Je suis une meilleure version que toi, moi j’ai du courage ! J’aime ! Je l’aime ! Et je n’abandonnerai pas !
FABIEN
Tu crois que je n’ai pas essayé ?
MAXIME
Pas suffisamment apparemment.
Je refuse de représenter un raté.
Je vais me battre. Tu verras !
FABIEN blasé.
Je verrai, tu verras…
MAXIME
Non c’est toi qui verras !! C’est toi !!!! TU VERRAS !
Fabien commence à partir calmement pendant que Maxime continue à s’exciter nerveusement.
FABIEN
Bonne nuit.
MAXIME
Comment ça « bonne nuit » !?
C’est moi qui te dis « bonne nuit » ! C’est moi qui me casse ! JE suis en colère ! Pas toi ! Merde !!!!
Maxime sort furibond. Fabien, perplexe, retourne se coucher près de Milena.
Scène 10
MILENA FABIEN MARIANNE ANTOINE
Milena et Fabien sont endormis.
Antoine et Marianne viennent disposer des cubes en avant scène pour donner la forme d’un banc. Ils jouent à un jeu de cubes que l’on ne comprend pas. Les deux sont très sérieux, on dirait une partie d’échec.
MARIANNE
J’ai gagné !
ANTOINE
Ah non ! J’ai gagné !
MARIANNE l’air évident.
Non ! J’ai gagné ! Regarde !
Ils regardent un cube, très professionnels. Puis quittent la scène, en continuant à se chamailler sur qui à gagner ce « jeu ». Musique The Clapping Song de Shirley Ellis. Marianne et Antoine commencent une chorégraphie très sixties et tonique, la Voisine passe en arrière scène, observe les deux ahuris qui l’inviteront à danser. Voisine, Marianne et Antoine quittent la scène heureux, tous ensemble.
Scène 11
MILENA FABIEN COLLINE L AUTRE
Milena Fabien toujours endormis.
Colline se pose sur le banc. Elle regarde droit devant elle. L’air ni triste, ni joyeux. Elle attend. Elle pense.
L’autre la rejoint sur le banc. Ils ne se disent rien. Un temps.
COLLINE
J’ai lu une très belle histoire un jour.
Au japon, l’histoire.
C’est une vieille femme qui ramasse des mégots dans un parc, qui passe ses journées, ses nuits à faire ça.
A errer dans ce parc.
Elle se pose sur un banc, un jeune homme, un poète, la rejoint. Il a bu.
Ils commencent à discuter d’amour, de la vie, de pleins de choses.
Le jeune est arrogant, plein de vie, et la vieille femme, cynique et sage.
Les dialogues sont très beaux.
Elle dit au poète que tous les hommes lui ayant parlé de sa beauté en sont morts.
Elle raconte ensuite le souvenir de l’homme qu’elle a aimé lorsqu’elle avait vingt ans, et en au fur et à mesure de l’histoire, elle rajeunit, et redevient cette femme là.
Le poète se transforme à son tour, et devient son amant de l’époque.
La sublime femme, très courtisée, demande à cet homme, qu’elle aime, de l’attendre patiemment cent nuits sur un banc donnant sur sa fenêtre. Au bout des cents nuits, elle serait sienne.
L’homme est fou d’elle. Chaque nuit, il se présente, et attends sur son banc. La centième nuit, ils se retrouvent enfin.
L’homme est heureux. Il dit à cette femme qu’il l’aime, que cette nuit est la plus belle de toute sa vie, qu’il y met un terme en lui déclarant son amour, pour pouvoir lui dire combien elle est belle au moins une fois.
Il demande, avant de mourir, à son aimée de ne pas oublier ce banc, qu’il reviendrait un jour. Réincarné.
La jeune femme redevient vieille et le poète est sous le charme, comme envoûté. Elle tente de le raisonner : « non, regardes moi je suis pleine de rides, tu me disais tout à l’heure que j’étais laide. Tu es jeune et saoul, tu te trompes. »
Le poète lui répond que son visage illumine. Elle le supplie de se taire.
Alors il lui dit : « Si quelque chose me semble vrai, je dois le dire même si j’en meurs. Vous êtes belle. Vous êtes la plus belle des femmes qui soient au monde. Et vous ne cesserez pas d’être belle, même après dix mille ans. » . Le jeune poète meurt, la vieille femme le regarde, se lève et se remet à ramasser et compter ses mégots.
L AUTRE
C’est une très belle histoire.
COLLINE
Depuis lorsque quelque chose me contrarie, je vais sur un banc. Et j’attends.
L AUTRE
Un poète ?
COLLINE
J’attends.
J’attends un changement.
Musique : Hey Jacques, de Eartha Kitt
Sur la musique, danse sur la rencontre amoureuse entre Colline et l’Autre. Cliché de la rencontre amoureuse, doigts qui se touchent, regards furtifs, etc… Un amour naissant, facile et heureux. Puis ils sortent tous de scène. Milena toujours endormie, Fabien regarde la scène.
ACTE 3
Scène 1
FABIEN MILENA
Fabien se réveille. Mauvais humeur. Il réveille Milena.
MILENA souriante
Bonjour…
Quelle heure est il ?
FABIEN
Cinq heures et demi.
MILENA inquiète
Il est très tôt ! Ca va ?!
FABIEN
Je voudrais que tu rentres chez toi.
MILENA
Je ne comprends pas. J’ai fait quelque chose ?
Je ne comprends pas.
FABIEN énervé
Je voudrais que tu partes. C’est tout.
Ne soit pas choqué. Je croyais que c’était une qualité la franchise.
Milena quitte l’appartement sans un mot, dégoûtée par l’attitude de Fabien.
Scène 2
MARIANNE ANTOINE COLLINE FABIEN
Il se pose à sa table. Lit. Regarde le public. Puis lit à voix haute l’Attente de Roland Barthes du Discours d’un Fragment Amoureux. Texte divisé en trois parties. Les attentes seront jouées par Marianne. Musique Agnès Obel – Phillarmonic version instrumentale- Colline arrive en avant scène et écoute. Fin du texte, Marianne sort de scène.
« Il y a une scénographie de l’attente : je l’organise, je la manipule, je découpe un morceau de temps où je vais mimer la perte de l’objet aimé et provoquer tous les effets d’un petit deuil. Cela se joue donc comme une pièce de théâtre.
Le décor représente l’intérieur d’un café ; nous avons rendez vous, j’attends. Dans le Prologue, seul acteur de la pièce (et pour cause), je constate, j’enregistre le retard de l’autre ; ce retard n’est encore qu’une entité mathématique, computable (je regarde ma montre plusieurs fois) ; le Prologue finit sur un coup de tête : je décide de « me faire de la bile », je déclenche l’angoisse d’attente.
L’acte I commence alors ; il est occupé par des supputations : s’il y avait un malentendu sur l’heure, sur le lieu ?
J’essaye de me remémorer le moment où le rendez vous a été pris, les précisions qui ont été données. Que faire (angoisse de conduite) ? Changer de café ? Téléphoner ? Mais si l’autre arrive pendant ces absences ? Ne me voyant pas, il risque de repartir, etc…
L’acte II est celui de la colère ; j’adresse des reproches violents à l’absent : « Tout de même, il (elle) aurait pu… », « Il (elle) sait bien… » Ah ! si elle (il) pouvait être là, pour que je puisse lui reprocher de ne pas être là !
Dans l’acte III, j’atteins (j’obtiens ?) l’angoisse toute pure : celle de l’abandon ; je viens de passer en une seconde de l’absence à la mort ; l’autre est comme mort : explosion du deuil : je suis intérieurement livide. Telle est la pièce ; s’il arrive en I, l’accueil est calme ; s’il arrive en II, il y a « scène » ; s’il arrive en III, c’est la reconnaissance, l’action de grâce : je respire largement, tel Pélléas sortant du souterrain et retrouvant la vie, l’odeur des roses. »
Scène 3
COLLINE FABIEN
COLLINE
Comment fait on quand l’autre ne vient pas ?
FABIEN
Je suis désolé, je ne suis pas rentré. J’étais jeune. J’étais peut-être con. Je n’en sais rien. Excuse moi.
COLLINE
Tu étais avec l’autre. C’est dommage.
C’était difficile, je le sais.
En Amour, on se bat. Et on avance. Il ne faut pas cesser d’y croire.
Etre disponible pour soi et pour l’autre. C’est ça la maturité amoureuse.
Tu as abandonné. C’est dommage.
J’étais curieuse de nous.
FABIEN
Tu avais de l’expérience à vingt ans ?
Quand on s’est connu ?
COLLINE
Petite certes, mais j’en avais. Et j’ai appris de toi. Tu fais partie intégrante de l’expérience que j’ai actuellement.
FABIEN
Comme un rat de laboratoire ?
COLLINE dépitée
Oui…oui…c’est ça.
Non, mais tu ne comprends rien. T’es vraiment trop con parfois !
FABIEN
Oui peut être. Un gros con de quarante ans !
Je ne sais pas combien de temps il me reste. Peu importe.
COLLINE surprise
A vivre ?
FABIEN
Non à aimer.
Si c’est pour ressembler à cette vieille folle, non merci.
COLLINE compatissante
Tu passes ton temps tout seul. Vois des gens. Sors.
FABIEN
Pour ne pas sombrer dans la folie, je m’isole. C’est les autres qui te rendent fou. Pour ça. Faut être seul.
Et puis ça me fatigue vos discours positifs, vos niaiseries.
Les gens s’aiment et se quittent. Amoureusement, amicalement.
C’est devenu banal.
On dit qu’il ne faut prendre que le « bon » d’une relation.
Moi je préfère ne rien prendre. Je suis fainéant. Pas de tri à faire. Trop compliqué.
Je ne suis pas déprimé pour autant, c’est juste un constat.
Pourquoi s’évertue t on à vouloir être heureux ? A vouloir être à deux ? On vit c’est tout.
Colline veut le réconforter il la repousse.
Arrête ! Je ne suis pas triste, putain !
Ce n’est pas parce que tu es joyeuse et que tu carbures à ça que je dois faire la même chose !
On est différent. Point.
Je ne suis pas nécessairement malheureux pour autant !
Voilà, c’est ça !
On fonctionne différemment et je me suis trop souvent laissé influencé par ton attitude, l’idée sous jacente que tu as de moi. Respecte ça. C’est pour ça aussi que je ne me suis jamais remis de toi. Ton avis m’a toujours trop importé. Et maintenant, je vais bien. Oui tu hantes toujours mes pensées, oui je te parle et tu n’es même pas là mais je parle à un souvenir heureux. Transformons la douleur. Notre vision de la vie est différente, pourquoi la tienne serait meilleure que la mienne ?
Laisse moi maintenant.
Je n’ai plus besoin de toi.
Colline, interdite, ne croyant pas ce qu’elle entend. Elle s’approche et le prend dans ses bras.
Ah ça ne te plait pas que je t’oublie ?
Soit heureuse. J’ai mis vingt ans à t’effacer. C’est déjà très beau, non ?
Tu t’es barrée, pour mieux rester. Ca a marché.
Ils se sourient, se tiennent la main. Puis Colline sort de scène.
Scène 4
FABIEN MILENA
Fabien seul sur scène. Musique de Moanin’ de Charles Mingus qui reprend.
Interrompu par arrivée de Milena. Elle ouvre la porte de chez Fabien, très en colère.
MILENA
On ne traite pas les gens ainsi ! Je suis une personne ! Tu sais ce que tu es ? Tu sais ce que tu es ?
FABIEN
Ecoute…
MILENA
Tais toi ! Assieds toi ! Tu sais ce que tu es ?
T’es un Roi ! Un putain de Louis XIV !
Tu t’asperges de parfum, t’as l’air propre en apparence mais en réalité tu sens mauvais ! T’es dégueulasse !
Je ne l’ai pas compris tout de suite…
Etre soi même, ça ne fonctionne pas.
Remarque, rien ne marche avec moi.
Quand j’étais plus jeune, j’ai essayé d’aimer en étant moi au naturel.
J’ai vite compris que je ne plaisais pas… Après quelques échecs, j’ai commencé à m’adapter à l’autre. Oui, à prévoir. C’est moins joli, mais ça fait moins mal aussi.
Y avait cet homme, un guitariste, j’étais folle de lui, alors j’ai pris des cours de guitare pour le comprendre un peu mieux comme ça on partageait la même passion. C’était bien, ça un duré un joli moment et… il est parti. Alors moi je ne sais plus.
L’inaccessible attire follement . Je suis accessible. On se lasse. Mon amour est trop évident, trop banal. Je pensais qu’en aimant sincèrement purement, cela suffisait. C’est terrible qu’on rejette l’amour de quelqu’un comme ca. Je ne comprends pas.
Ca va aller. Ca va aller. Ca va aller.
Je le sais. Evidemment que ca va aller.
Je commence à être fatiguée vraiment par cette idée qu’il faut être avec quelqu’un.
Je veux être seule.
Je veux qu’on m’épargne.
Je veux qu’on me laisse.
Désormais vous pourrez toujours venir me chercher. Je ne voudrais pas de vous. Je ne me laisserais plus avoir.
Peut être que oui l’Amour est une illusion, il déforme la réalité.
Mais lorsque l’amour n’est plus, pourquoi la douleur, la souffrance, la peine ressentie n’est elle pas elle aussi une illusion ? Pourquoi ca fait un mal de chien ?
Un temps. Elle se refuse à pleurer.
Je n’aimerais plus. J’aimerai mes amis, ma famille.
Je n’aimerai plus ainsi.
C’est ca le vrai deuil que je dois faire actuellement c’est ca qui me fait le plus grand mal. Tu n’es qu’acteur dans cette mort de mon Amour joyeux pur et innocent. Je suis juste triste par rapport à ca. Peut être que c’est ca grandir, se remplir, se gonfler de plus en plus de désillusions.
Je suis sans doute restée une gosse.
C’est bête, je croyais qu’aimer sincèrement, s’intéresser pleinement à la personne, l’aimer le plus gentiment, le plus drôlement, le plus curieusement possible suffirait. Je pensais bêtement qu’en donnant, on recevait.
Mais non, les gens prennent, et c’est tout.
Donner de temps en temps éventuellement. Dans un élan de générosité soudain !
On dit souvent « tu donnes trop, et les gens t’ont rien demandé » …
Ce qui me fait rire dans cette phrase, c’est que les gens prennent a chaque fois. Et après ils osent te balancer, avec beaucoup de bienveillance « tu donnes trop !» mais tu l’as pris le « trop » connard ? Il te plaisait bien le trop sur le moment ! Je ne l’ai plus moi !
Je ne sais pas ce qui est le mieux : ma vision d’enfant sur l’amour dont je fais le deuil actuellement, ou la vision qui s’installe peu a peu dans mon esprit ?
Vision d’adulte.
Transformons nos propos.
Pourquoi parle t on toujours quand on commence une nouvelle relation de ce qui nous a détruit auparavant ?
Ce que je sais, c’est que malgré tes défauts, tu persistes à me plaire.
Je suis loin d’être parfaite. Je pensais qu’on aurait pu…essayer ?
Fabien se lève, regarde Milena.
Noir.
Félicitations, je suis admiratif
· Il y a environ 13 ans ·Michel Chansiaux