La mort d’un phénix ?
Constance Farrugia
24 février 1955 – 16 mars 2024 : Steve Jobs. Il est des destins de romans, riches en rebondissements. Celui de Steve Jobs en est un. Il est des destins qui marquent l'Histoire des Hommes. Celui de Steve Jobs en est un.
Hier, à 11h36, Steve Jobs visite les usines de production de son concurrent et ennemi de toujours, Microsoft, dans l'optique d'annoncer un inévitable rachat. Alors qu'il montait sur le podium préparé à son attention pour un discours, attendu des journalistes et des Apple addicts depuis plusieurs mois, la tour d'un ordinateur a été lâchée sur lui. Au fracas de l'unité centrale brisée a répondu celui des flashes des appareils photo et des ordres des forces de sécurité.
Les premières photos de la scène ont été mises en ligne accompagnées de messages évoquant tour à tour tristesse, colère et incompréhension. Vers 11h55, les serveurs de Twitter étaient en surchauffe. Rien n'avait été vu de pareil depuis 2011, alors que l'on enterrait déjà Jobs qui se battait contre un cancer du pancréas. 5 millions de tweets avaient été échangés. A l'heure actuelle, la spécialiste française du community management, Stella Grandel, nous donnait une première approximation de 500 millions de tweets. Apple tente actuellement de supprimer les photos publiées qui nous laissaient croire Jobs décédé.
En effet, après l'arrivée rapide des secours et leur intervention, Steve Jobs a pu être stabilisé. Il a été transféré immédiatement à l'hôpital. Il est actuellement maintenu dans un coma artificiel. Selon des sources proches d'Apple, il pourrait être le premier à bénéficier d'une technologie qu'il a lui-même élaborée permettant le transfert de sa conscience dans une unité centrale. Une technologie dénoncée depuis la présentation du projet il y a maintenant 2 ans.
Les interrogations relatives aux motifs de l'accident sont aujourd'hui dans toutes les têtes. Dans l'après-midi d'hier, un suspect a été approché. Il est écouté actuellement par les forces de police. Homicide involontaire, coup de folie d'un employé de Microsoft, le mystère reste à élucider. Les dernières innovations du self-made man suscitaient autant l'exaspération que la vénération.
Après sa rémission spectaculaire en 2011, Jobs prend une décision courageuse qui va mener Apple au bord de la faillite. Alors que l'entreprise connait des problèmes de sécurité sur la dernière gamme d'Iphone, Jobs annonce vouloir stopper la production en Chine. Son pari ? Conserver les prix de ses produits et développer un pôle de production aux Etats-Unis.
Au cours de sa célèbre conférence en 2015 à San Francisco, alors que tous ses plus proches collaborateurs menaçaient de lui tourner le dos, devant un parterre désireux de le renvoyer, Jobs avait dit : « Vous m'avez fait confiance en me donnant la direction d'Apple. En dépit des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui, Apple est dans le peloton de tête de l'industrie informatique. Je vous demande aujourd'hui de me renouveler cette confiance. Le combat que j'ai mené dans ma vie personnelle relevait de l'impossible et pourtant je l'ai réussi. Cette épreuve m'a ouvert les yeux sur les priorités pour Apple et pour le monde de demain. Des priorités qui dépassent les lois du marché, ou plutôt qui les devancent. Nous conserverons la qualité des produits Apple. Mais ces produits seront fabriqués différemment. Sans produire de déchets, sans puiser dans nos ressources naturelles. Ces produits seront entièrement faits à partir de matière première recyclée, ici, aux Etats-Unis. »
La première usine est créée en 2016. Une boucle est créée, à travers tout le pays, les anciens appareils ont trouvé une seconde jeunesse. Ils sont maintenant démontés, retraités, les composés précieux récupérés. Jobs s'en sort de justesse, soutenu par l'Etat américain. Celle que l'on nomme depuis la Green Apple s'est engagée dans l'écologie durable aux prix de la rupture de différents accords commerciaux conclus autrefois avec la Chine. La fermeture récente de la dernière usine de production chinoise avait suscité la colère des salariés mais aussi de nombreux dirigeants puisque la recentralisation d'Apple avait été suivie par d'autres sociétés américaines et européennes.
Malgré cette réussite, on ne peut pas oublier les critiques à l'encontre du produit-phare de la marque depuis 10 ans. L'IGlass, lancé en grande pompe lors du Superbowl en 2014 a suscité tant polémiques et scandales que louanges et honneurs. Jobs souhaitait intégrer la technologie au quotidien du plus grand nombre. En s'associant, puis en rachetant Oled Screen Vision, il a pu développer une technologie révolutionnaire. Les processeurs ont pu être intégrés à des surfaces aussi fines et transparentes que le verre. L'IGlass a transformé notre rapport aux écrans et à leur utilisation. Apple a permis de faire émerger le concept de design informatique : un support technologique transformé en une interface personnalisable à l'infini.
L'IGlass a commencé par décorer les murs de nos maisons, se transformant selon notre désir en peinture, télévision, ordinateur, miroir. Miroir de nous-même tels que nous pourrions être avec l'application IClothes, miroir de nos intérêts avec l'application ILife. La réussite de Jobs a été de concevoir un outil digital qui se fonde parfaitement dans notre environnement et réponde à nos besoins.
En 10 ans, Jobs a poussé sa réflexion plus loin en adaptant l'IGlass à l'ensemble des produits Apple. Iphone, Ipod, MacBook, les objets qui nous entouraient au début du 21ème siècle se sont aujourd'hui métamorphosés. Jobs, lors de la présentation officielle du produit au cours d'une Stevenote, avait dit : «Il est temps pour les utilisateurs des produits Apple d'être au cœur d'un véritable système. Chez Apple, nous avons été les premiers à créer un jeu de miroirs dont vous êtes l'acteur principal. Créez votre univers, soyez le reflet de votre futur ». « Reflect the future » ne s'est pas arrêté aux biens personnels, il a envahi les vitrines des magasins, les parois des métros. Ces derniers sont aujourd'hui devenus des interfaces qui comblent nos temps d'attente ou les réduisent. L'IGlass a supprimé les cabines d'essayages, a contribué au renouveau de la presse : il a apporté une pierre fondamentale à l'édifice du monde connecté et du web 3.0.
On aurait pu croire l'IGlass incassable et pourtant, plusieurs affaires ont été mises à jour. Violation de vie privée, attaque de réputation, espionnage, l'IGlass s'est trouvé au cœur de l'un des plus grands scandales internationaux. En 2020, une cyber-attaque a paralysé pendant plusieurs heures les grandes places financières mondiales qui avaient adoptées l'IGlass pour faciliter les transactions financières. New York, Londres, Paris, Tokyo, Johannesburg, Rio, Beijing, aucune n'en n'était sortie indemne. Les grands magnats de la finance non plus. Jobs avait été attaqué, mais avait tenu bon. Défendant son travail, améliorant la sécurité des systèmes, tyrannisant au passage ses équipes.
Les controverses suscitées par ses innovations pourraient être à l'origine de l'attaque dont Jobs a été victime. A l'heure actuelle, au-delà des questions que posent l'agression, les proches et la direction d'Apple doivent faire face à une épreuve plus difficile encore. Elle est liée à la technologie I-Think présentée il y a deux ans par Steve Jobs et Satya Nadella. Un projet porté par l'éternel bucheur Jobs.
En 2005, alors qu'il sortait d'une première rémission du cancer grâce à une greffe du pancréas, il se lance dans un projet fou, celui de pouvoir greffer une conscience humaine à une intelligence artificielle. Après avoir dépassé les contraintes techniques, il fallait à Jobs la puissance d'un logiciel capable d'encoder des données intellectuelles. Une capacité que seul Microsoft pouvait offrir. Après une association des plus houleuse depuis deux ans, Jobs avait réussi à négocier le rachat qui devait être officialisé hier et permettre de pouvoir étendre cette technologie au plus grand nombre. Un projet qui subissait et subit toujours des critiques.
Les premières expérimentations ont été concluantes. Cependant, il s'agissait de transferts ponctuels, expérimentaux et temporaires. Ils visaient à permettre de mieux connaître le fonctionnement du raisonnement humain. Le transfert définitif d'une conscience dans un ordinateur est-elle éthiquement viable ? Il semblerait que l'homme ait les moyens actuels de devenir pierre philosophale. Les comités d'éthique internationaux tentent depuis deux ans maintenant de trancher sur la nature de l'âme humaine et d'apporter une réponse à cette question.
Devant le siège de la firme à la pomme, à Cupertino, les anti-IThink brandissent des pancartes défendant l'éthique et dénonçant la désacralisation de la vie éternelle. On craint des affrontements dans les jours à venir avec les partisans de Jobs qui ne souhaitent pas que s'éteigne leur idole et qui affluent à leur tour. La solution pourrait venir des proches de Jobs qui cherchent dans les bases de données ses dernières volontés ainsi que la procédure du programme qui rend le transfert de conscience complet et pérenne. Ils seront alors confrontés à l'une des décisions les plus difficiles à prendre : faut-il laisser partir Steve Jobs?