la mystérieuse

roigoon

La mystérieuse

Je prétexte à mon N+1 un dérangement intestinal pour m’éclipser une fois de plus. Il me dévisage comme si j’étais sur le point de vendre des informations confidentielles ; « vendre du beurre aux allemands » dirait ma grand-mère. Quel con !

Bien installé sur le trône, hors de vue, je relis pour la douzième fois le court message que j’ai reçu dans la matinée et que je ne peux me résoudre à effacer malgré sa provenance inconnue.

Si Sylvie tombe dessus, je suis mort. Madame mon épouse est très suspicieuse en ce moment. Il faut vraiment que je trouve une astuce pour le dissimuler avant de rentrer à la maison. Cela ne devrait pas être trop difficile vu le maelstrom de conneries qui jonche la mémoire de mon Blackberry.  

A quelle femme attisé-je donc une telle appétence ? On ne m’a pas adressé de telles déclarations depuis la fac. Je me souviens de Véronique qui avait l’habitude de prolonger nos nuits d’amour par un lien épistolaire, dont les mots crus enflammaient mon désir. Ce souvenir provoque dans mon bas ventre une demi-molle. De toutes façons, cette friponne est morte dans le Rio Paris, il y a deux ans. Quel gâchis ! Une bombe pareille… Je ne serais pas surpris qu’elle soit la cause du crash !

Et Bérangère ? Elle m’aimait bien celle qu’on surnommait Caline la coquine. Mais comment aurait-elle eu mon numéro ? Facebook, Linkedin ? C’est si facile aujourd’hui de localiser quelqu’un. Non, pas elle ! Trop bien mariée à un polytechnicien. Combien lui a-t-elle pondu de futurs aristos ?

Mais pourquoi ne pas avoir signé ce foutu message ? Pourquoi ce rendez-vous saugrenu au salon de l’auto, samedi ? Que vais-je annoncer à Sylvie ?  Parce que  j’ai bien l’intention de m’y rendre. Je n’ai pas gâché une journée de travail à gamberger pour ne pas découvrir la responsable d’un tel gaspillage. Dommage pour ma promesse de cinéma avec les enfants, le beau Zac Efron attendra dimanche.

Ce rendez-vous m’obsède. Ces trois jours vont se transformer en supplice, je le sens. De plus, je ne sais pas ce qui arrive à Sylvie en ce moment, les hormones probablement, elle me colle tous les soirs dans le lit. Et moi, je prétexte les soucis au boulot. Si elle savait qu’elle ne m’excite plus…

Plus tard, dans le métro, je passe en revue mon agenda, des fois qu’un nom me saute au visage.

Et si c’était Alexandra ? Elle m’a avoué l’autre soir, au diner des Letourneur, que son couple battait de l’aile - cette expression ravive le souvenir de la pauvre Véronique (nique nique) – Qu’essayait-elle de me dire ? Ne serait-ce pas une invite à un batifolage extra conjugal ? Non, pas elle ! C’est la meilleure amie de ma femme. Alors qui ? Au bureau ? Impossible, je n’y travaille que depuis six mois et la Mystérieuse affirme que : « j’en rêve depuis des années »…

Merde, j’ai loupé Bastille…

Pendant le dîner, pour faire pardonner mon retard, j’essaye de m’intéresser à la vie scolaire des enfants mais le court de mes pensées glisse aussi surement qu’un fleuve s’écoule vers la mer. 

Sylvie s’en aperçoit car, lorsqu’elle éteint la lumière, après « les experts », elle me demande derechef si j’ai une maitresse. C’est devenu son leitmotiv. Muet, je la saisis et la baise comme cela n’est pas arrivé depuis longtemps. Moi qui pensais avoir des problèmes d’érection, j’en suis loin. Ce SMS a décidément du bon.

Le lendemain, au bureau, je m’arrange pour aller en clientèle et en profite pour passer au Printemps Haussmann. Je puise, sans complexe, dans la réserve vacances et m’offre un costume Kenzo et une chemise Arrow. Au Diable la crise, les grèves, les manifs ! On n’a qu’une vie ! Je craque même pour une crème miracle dont la publicité promet une réduction de tour de taille dans les trois semaines. Il ne me reste que deux jours mais ça sera toujours ça de pris.

Sylvie, une fois l’intimité de notre chambre retrouvée, éclate de rire lorsqu’elle m’observe oindre mon abdomen de cette matière visqueuse et odorante. Il faut dire que face à nous, le Docteur House, lui, n’en a pas besoin. Il séduit toutes les femmes malgré son handicap, sa barbe de trois jours et sa tenue négligée. Moi aussi, je suis grand, j’ai les yeux bleus, mais personne ne se pâme lorsque je pénètre dans le métro.

A la fin des deux épisodes, Sylvie éteint la télévision, sans demander mon avis, et glisse sa main dans l’entrebâillement de mon pyjama. Je me demande pourquoi il n’y a qu’un bouton en guise de braguette. Je me projette à samedi ; devant la Mystérieuse, je ne porterai jamais ce vêtement hideux. D’ailleurs, dés demain, je retourne m’acheter une paire de caleçons présentables. Je veux le même que celui de Yannick Noah dans la pub.

L’étreinte est moins fougueuse que la nuit précédente, mais d’une vigueur suffisante pour arracher le râle libérateur qui envoie ma chère et tendre dans les bras d’un Morphée récupérateur.

Le jour J, je n’ai aucune difficulté à lui faire admettre ce besoin légitime de liberté qu’est la visite de ce temple de la carrosserie et des belles mécaniques. Ce haut lieu de concentration testostéromobile semble dorénavant convenir au nouvel homme que je suis devenu. Mon épouse, étrangement, ne rechigne même pas lorsque je lui annonce que je dînerai probablement sur place. Pour une fois, elle est détendue et compréhensive. Elle m’enlace en me souhaitant bonne soirée.

Je pénètre dans le hall B la démarche conquérante. Une main dans la poche de mon Kenzo à sept cent cinquante euros. Je ne me suis pas rasé. Bizarrement, je me surprends, par moment, à claudiquer. Je suis devenu autre : le « House » de la porte de Versailles. Une femme ne s’y trompe pas lorsque je me baisse pour ramasser galamment le prospectus qu’elle a laissé tomber. Son sourire est éloquent.

L’heure du rendez-vous approche. Je vais enfin être délivré.

« Seize heures au stand Mercedes » a-t-elle écrit. Son originalité me plait. Il faut oser ! J’espère quand même que l’on ne va pas se rater. Quelle affluence ! Au pire, elle a toujours mon numéro de portable. Je garde mon Blackberry à la main. Pour plus de précautions, je décide de m’y rendre avec un peu d’avance.

Le stand Mercedes Benz a beaucoup de succès. Je piétine derrière des centaines d’abrutis qui, comme moi, veulent accéder au saint des saints. Ma grande taille me permet d’observer les hôtesses de charme qui font le pied de grue autour de modèles récents. L’air blasé, je cherche autour de moi un visage familier, le sourire d’une femme, mais je ne vois que des hommes. Ils n’ont pas le visage des clients habituels ; plutôt bien habillés, ils dégagent des effluves de parfums délicats. L’un d’eux n’a pas peur du ridicule en tentant de protéger, autant que faire se peut,  un bouquet de fleurs.

Un doute m’assaille mais je n’ai plus le temps. Les lumières s’éteignent et une musique assourdissante nous agresse. Des projecteurs s’allument et se concentrent sur un monstre d’acier qui monte lentement des profondeurs sous une pluie de flocons argentés.

Les vestales en tailleur jaune s’animent et, tout en effectuant une chorégraphie ridicule, distribuent des plaquettes quadrichromes.

Sur la première page, à côté du nouveau modèle de la X260, je découvre, pantois, les premiers mots du texto qui m’a fait tant fantasmé :

« Toi qui rêves de moi depuis des années, je deviens enfin accessible. Pardonne-moi cette franchise mais je brûle de désir à l’idée de recevoir en moi ton corps musclé ; je frémis en imaginant tes mains me caresser. Ne me fais plus attendre. Rendez-vous samedi… »

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