La Partition Rouge
Nathan Noirh
« Je vais te raconter une histoire. Une affaire pas très happy end si tu vois ce que je veux dire. Tu l'entendras sûrement dans des bars miteux ou des endroits plus glaude que les parkings de pisse et de baise. Il est probable que la majorité des gens refuseront de te raconter leurs versions. Ils refuseront également de te croire si par malheur tu la leur raconte. Même toi, tu risques de ne pas de me croire, et même de prendre cette histoire pour une fiction à deux sous. Mais je t'assure, sur la tombe de feu mes parents, que tout ce va suivre est vrai.
Cela s'est passé il y a plusieurs années, dans une petite ville. Non pas un village. Oui en France. Si t'a l'intention de m'interrompre toutes les deux secondes, je te préviens je décampe. Et ressers-moi un verre. Ouai de ton whisky pas trop dégueu là. Donc, une petite ville. Le genre tranquille, sans ennui, proche de la montagne. Les gens de là-bas ne demandaient rien à personne, et vice-versa. Un jour un type a débarqué, un chapeau sur la tête et une énorme caisse derrière lui. Ça attire toujours la curiosité les étrangers. Il disait à qui veut l'entendre qu'il était musicien, et qu'il recherchait un endroit pour jouer au bon vouloir des gens. On lui a indiqué le bar du coin, assez grand pour y poser son matériel. Tu sais ce qu'il y avait dans sa caisse ? Un piano. J'te le dit. Un grand piano noir, dans le genre chic, mais pas trop non plus, assez usé le machin si tu veux mon avis. Je n'y étais pas, je le précise pour la suite, on me l'a raconté dans un bar aussi. Le type s'est installé à son piano, il a sorti ses partitions, et a commencé à jouer. Apparemment le concert a dû durer une vingtaine de minutes. Et bien tu ne vas peut-être pas me croire, mais tout le monde est mort. Quand je dis mort, c'est crevé jusqu'à l'os. Ils ont tous rendu l'âme. Celui qui me l'a raconté est sourd, donc il n'a pas entendu ce qu'il s'est passé, c'était un pauvre clodo qui squattait en face du bar. Il a juste vu le pianiste sortir du bar, trainer sa caisse derrière lui, et prendre la tangente. Alors mon gars est rentré, et il a vu un drôle de tableau. Les hommes et les femmes, et les enfants même, gisaient par terre, le sang et le cerveau sortant par les oreilles. Des larmes rouges coulaient de leurs yeux. A mon avis, ce n'étais pas très Killing me sofly with this song cette histoire. La police est arrivée, à « constaté » les dégâts, et une véritable chasse à l'homme s'est mise à l'œuvre. Le plus étonnant, c'est qu'ils ne l'ont jamais retrouvé ce tueur. Pourtant, un mec qui traine un truc aussi lourd qu'un piano, tu te doutes qu'il va vite avoir des crampes ce con. Mais pas une trace de lui. L'affaire a été classée, histoire sordide rangé dans un coin. »
Il reprend une gorgée de son whisky. Allume une clope. Tire fort sur sa taffe. Je sentais qu'il n'en avait pas fini. Bon dieu.
« Sauf qu'il y a cinq ans, le type s'est re-pointé dans la même ville. Pas de chapeau. Pas de caisse. Comment veux-tu que quelqu'un le reconnaisse ? Le pianiste tueur fou. Personne n'avait idée de quoi il pouvait bien ressembler sans son piano. Et je te le donne en mille, il a dit qu'il était musicien et qu'il cherchait un endroit pour jouer. Un groupe de musique était présent, ils lui ont demandé ce qu'il savait jouer. Quand le type a répondu « piano », tu te doutes que le peuple présent a tiqué. Tout le monde s'est dit que c'était peut-être lui, qu'il était revenu finir sa besogne, qu'il y allait encore avoir plein de bazar. Du coup, on a appelé la police, venir témoigner du gars en question, on a fait venir le clodo de l'époque pour une reconnaissance faciale, ils n'ont rien trouvé. Nada. Que dal. Grosse détente dans le bar. Le groupe de musique lui a demandé ce qu'il savait jouer comme morceau, et s'il pouvait essayer de jouer un de leurs airs. Le pianiste s'est installé à un piano déjà en place, il a joué, personne n'est mort. Du coup, le groupe est parti en tourné pendant quelques semaines. Ils sont devenus assez connu d'ailleurs, toujours plus de monde à leurs petites sauteries. Ils ont même été dans un immense théâtre, avec plusieurs milliers de personnes et… De quoi ? Comment je sais alors que c'était bien le tueur de la dernière fois ? J'allais y venir mon gars. Ce soir-là en question au grand théâtre, t'aurais vu le massacre ! Tout le monde y est passé, y compris le groupe de musique. Et toujours le même topo : oreilles qui saignent, larmes de sang. C'est le propriétaire du Théâtre qui a découvert le tableau. Il était parti acheter des cigarettes, tu parles d'une veine ! « Fumer tue » haha ces cons. Qu'est-ce qu'on a pu rire avec les copains. Bref, ce théâtre, ce n'était pas vraiment la Bonne planque pour les spectateurs, si tu vois ce que je veux dire. Alors évidement, même topo : la police arrive, « constate » (haha), et organise une chasse à l'homme une nouvelle fois ! Cette fois-ci, on savait à quoi ressemblait le bonhomme. Cela faisait des semaines qu'il vadrouillait avec son groupe de musique, alors forcément on connaissait sa trogne. Un grand brun assez maigre, mais très maigre. La peau blanche, les yeux cernés. En bref, on l'a surnommé le Squelette. Fallait bien lui trouver un nom accrocheur pour faire vendre les journaux à deux sous. Tu devines évidement la suite, personne ne l'a retrouvé, envolé le squelette ! Malheureusement pour toi, mon histoire n'est pas finie. On a reparlé de lui il y a trois ans. Une affaire encore dans le même genre, on a retrouvé du peuple les quatre fers en l'air et du sang plein la figure dans un bar. Puis dans un autre. Et encore un autre. Le malade devait faire une sacrée sérénade pour enchainer les coups comme ça. Mais le plus étrange tu vois, c'est que l'on a jamais retrouvé de piano dans ces lieux. Des guitares, des violons, des tambours mais alors aucun piano. Là tu te poses des questions forcément. Est-ce qu'il traine de nouveau un piano ? Ça m'étonnerait, en ville on le repérerait assez vite. Un clavier quoi machin ? Non non rien de tout cela. Oui, j'ai ma théorie. Moi je pense que le Squelette sait jouer de plusieurs instruments différents. Le problème, ce n'est pas l'instrument en fait, c'est plutôt ce qu'il joue. Il doit jouer un morceau des enfers si tu veux mon avis. Un genre de symphonie si macabre que les mortels ne peuvent l'entendre ni la supporter. Ou bien les notes qu'ils utilisent sont si hautes, si aigus, que n'importe quel oreille pète les plombs en l'entendant. Sinon c'est une sorte de sorcier. Alors, elle n'est pas belle mon histoire ? »
Belle, ce n'est pas vraiment le mot. Des mecs qui racontent des histoires j'en ai vus, mais alors celui-là. Et il a siroté la moitié de ma bouteille de mon meilleur whisky. D'ailleurs c'est quoi ses feuilles là...
« Mes partitions ? Oui elles sont rouges. Pourquoi ? Parce que depuis le temps, je n'ai jamais eu le cœur de les laver. Va savoir. »
Excellent, j'aime cette façon d'écrire et l'histoire est sympa aussi :)
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher
Merci ! C'est un style facile à écrire, mais difficile à contrôler parfois pour ne pas tomber dans la grossièreté :)
· Il y a environ 10 ans ·Nathan Noirh
J'aime bien tes textes dis donc! ça a un côté Poe pas déplaisant! La chute est très bonne, et le texte accroche bien.
· Il y a environ 10 ans ·Juste deux petits trucs constructifs, un avis strictement personnel:
"leurs petites sauteries.", pour moi ça détonne un peu, ça colle pas avec l'oralité populaire du reste, mais ça n'engage que moi
et j'aurais éliminé deux ou trois haha, surtout le final. Voilà, sinon très bon texte
jasy-santo
Merci pour ta lecture et ta critique ! Si j'ai d'autres retour dans le même genre, je modifierai ;).
· Il y a environ 10 ans ·Nathan Noirh
Bien la chute! Mortel ton texte! kiss
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
très belle chute!! Joli texte. Vivement ton prochain écrit.
· Il y a plus de 10 ans ·arthelys
Merci beaucoup ! J'essaye d'en faire deux par semaine :)
· Il y a plus de 10 ans ·Nathan Noirh