La planète Dessange

petisaintleu

Texte dédicacé à Marielesmots

À la sortie du confinement, on assista à des émeutes. Tout le monde s'était habitué à se passer de farine, à se torcher les fesses avec des feuilles de lierre et à décliner à l'infini des recettes à base de spaghettis, de coquillettes ou de farfalles. Bien heureux ceux qui pouvaient se payer des raviolis,  le taux de chômage frôlant les 30 %. La raison de ces soulèvements était tout autre.

Seules deux catégories de la population, pourtant aux antipodes l'une de l'autre, observaient ces événement avec circonspection : les hipsters des quartiers bobos et les intégristes des banlieues. Les RG s'inquiétaient d'ailleurs, qu'à la sortie de la crise du coronavirus, ils ne soient plus en mesure de séparer le bon grain de l'ivraie, tant être barbu était devenu la norme depuis des mois. Les rastas aux dreadlocks étaient trop dans les vaps pour s'apercevoir de quoi que ce soit.

Les grands-parents avaient ressorti de leur placard les tourne-disques et les 33 tours du Grateful Dead. Il n'y avait guère que les patients en chimiothérapie qui pouvaient se targuer d'avoir le crâne aussi lisse que des skinheads, ces derniers rasant les murs. Se faire traiter de tête d'œuf était devenu le plus prisé des compliments.

Au niveau de la population féminine, les plus extrémistes des féministes pensaient avoir gagné la partie. L'épilation était devenue un luxe, à tel point que les dernières femmes à barbe ne suscitaient plus d'intérêt et que les cirques s'en séparèrent. Sur PornHub, on constatât une hausse de 350 % de la sous-catégorie Hairy women et des films vintage où les aisselles aussi densément touffues et moites qu'une forêt tropicale étaient de mise.

Il était devenu bien plus difficile de prendre un rendez-vous chez son coiffeur que chez un ophtalmologue installé en Lozère. Les tensions étaient telles que des CRS avaient été appelés en renfort devant leurs échoppes. On assistait au quotidien à des crêpages de chignons en règle. Les gardiens de l'ordre jouaient de leur matraque pour s'octroyer le droit de passer avant les autres, ce qui déclencha un des plus violent samedi de manifestation de gilets jaunes. Au-delà de leur haine farouche envers la flicaille, ils réclamaient des mesures d'exception pour que soient financés au plus vite des centres d'épilation laser dans chaque chef-lieu de canton qui ne soient pas que l'apanage des élites urbaines. Ils arboraient des pancartes où étaient inscrites :  « Ça crin du boudin » ou « Tondez-nous, on n'est pas des moutons ». Cette fois-ci, ils ne s'en prirent pas à l'Arc de Triomphe mais à la statue équestre de Charlemagne, l'empereur à la barbe fleurie, sur l'île de la Cité. À défaut de pouvoir faire des permanentes ou des mise-en-plis, on se contenta de les boucler.

Pour démêler cette situation explosive, on appela en renfort des barbiers à la retraite. C'est ce qui déclencha la révolte du 4 décembre dite de la Sainte-Barbe. Ils avaient perdu la main. On constata une recrudescence du tétanos liée à des ciseaux rouillés. Les services d'urgence se retrouvèrent une nouvelle fois en première ligne et débordés. Des hommes se retrouvaient avec des coiffures peroxydées et se firent arrêter pour racolage sur la voie publique. Seul Johnny Rotten, l'ex chanteur des Sex Pistols, était enchanté de retrouver une teinte violette.

Jour après jour, tout cela prenait racine. Pour y couper court, une décision radicale fut prise. On décréta que tout enfant en âge de scolarité devait intégrer un cours de coiffure. On leur offrit tout le nécessaire pour s'occuper de la tonte dans le cadre familial. Du coup, ce furent les associations catholiques les plus conservatrices qui cherchèrent des poux aux autorités et qui descendirent dans la rue. Elles y virent une théorie du complot où les groupuscules LGBT étaient à la manœuvre pour finir de pervertir la société en travestissant leurs chères têtes blondes en shampouineurs invertis.

Enfin, il fut décidé de créer un gouvernement d'union nationale. Il était grand temps d'arrêter de couper les cheveux en quatre dans des guerres intestines. On nomma Ministre d'état Jean-Pierre Guiche qui sut prendre les bonnes décisions. Il n'était pas du genre à peigner la girafe. Bien qu'il ne manquât pas de toupet, il était de nature consensuelle mais pragmatique, pas le genre à monter ses adversaires en épingle ou à passer de la pommade pour préserver sa notoriété. Il fit d'une pierre deux coups et il dénoua la crise. S'inspirant des ateliers nationaux  de Louis Blanc, il fut l'instigateur de la Matelasserie nationale qui permit l'embauche de dizaines de milliers d'ouvriers. On fit venir à prix d'or des Néo-zélandais capables de tondre trois échevelés par minute. Les tignasses servirent de matière première pour élaborer des couches moelleuses et mirent enfin un terme à un des épisodes les plus ébouriffants de notre histoire.  

Signaler ce texte