La plouille.

'Ça plouille' est une expression qu'utilise Betty pour signifier qu'il pleut et qu'il va faire froid chez les grenouilles. Quand ça plouille ce n'est généralement pas ma fête.

Bien que ma fête se situe au mois de mai et comme le dit le dicton 'Au mois de mai fais ce qu'il te plaît', j'attends juin pour me persuader des bons résultats. Sur le guide de l'entreprise matrimoniale, il est spécifié que le chiffre d'affaire d'une vie de couple est indexé sur la vente des consommables du mois qui précède : Betty est le stock de mes impressions.

« Putain, j'arrive pas à imprimer cette foutue attestation de sortie ! J'ai coiffeur à 16 heures ! Ça fait au moins dix fois que ça m'indique que l'imprimante n'est pas prête ! Prête à quoi ? »

« T'as regardé ma chérie s'il reste encore assez d'encre ou si le papier n'est pas bourré ? »

Quand ça plouille en juin, c'est qu'en mai la gestion de mon stock semble avoir été mauvaise.

Au mois de mai je me contente de ramasser du muguet par luxe. N'adhérant plus aux conditions CGT que m'imposait mon syndicat pour le revendre un dimanche à titre exceptionnel, je me contente aujourd'hui de le mettre en vase avec quelques roses de mon jardin sur la table de notre salon.

« T'as encore coupé du muguet aujourd'hui ? T'es pas allé aux fenêtres ? Ça plouille de partout dans la maison !»

Nos fenêtres avec l'âge sont malades, trouées de part en part elles demandent à être changées. Elles font passer à l'heure, autant d'air que d'oxygène dans les narines d'un Covidé pour sa résurrection. J'insiste pour avoir les mêmes en bois parce que le plastique c'est moche et que l'aluminium c'est froid.

J'hésite à les changer du fait que celles que l'on me propose aujourd'hui sentent trop le catalogue, la grosse industrie implantée dans un pays de l'est, celle où par delà des forêts soi-disantes intarissables et labellisées, l'on fabrique des salaires de clopinettes pour endiguer la prostitution des blondes du Net, en reversant des bénéfices à Youporn pour l'étanchéité au silicone.

« Tu voudrais qu'elles sentent quoi ? Le menuisier ? »

Je connais un vieux menuisier qui sent encore bon le bois, l' hêtre et le musqué. Un de ceux qui prenait le temps de choisir son essence en scierie et de la sécher en silence en son atelier avant de lui planter à cœur son ciseau et de lui dire : « Toi, t'es bonne à te faire travailler ! » Récemment, un jeune ébéniste a repris son entreprise, et qui avec sa commande numérique te refait selon Betty, les ouvertures à l'identique d'autrefois !

« Tu devrais passer le voir ! Ça plouille à donf ici ! On va encore se chopper la rhinite du carreau cet hiver ! Autant aller se faire laver les vitres chez Carglass, t'as 2 balais offerts !»

Moi je les aime bien nos vieilles fenêtres, elles font passer l'air sans que l'on soit obligé de faire des trous de partout pour ventiler notre maison. J'ai beau expliquer à Betty que changer nos 'ouvertures de misère' par des ' trucs supers étanches' reviendrait à faire casser tous nos beaux plafonds en lattes de Palissandre pour installer des bouches de ventilation double flux, faire des saignées dans tous nos murs joliment maçonnés à la chaux de Venise pour installer des interrupteurs marche-arrêt et des commandes régulatrice de débit d'air, et que tout ça mis dans un sac bien fermé, risquerait de coûter bien plus qu'un saladier de mousse au chocolat chez sa mère, pour au final économiser quoi ? 300 balles de chauffage à l'année pour en avoir dépensé 20 000 en portes, accessoires et fenêtres en 8 jours !

Betty dit que je me fou de la plouille comme de l'an 100, que je ne vois que le bout de mon nez et le fond de mes poches, alors que moi, ce que je regarde, c'est juste la mise en œuvre de tout cela, pour avoir quoi de plus ? 1 à 2 degrés supplémentaires sur une échelle planétaire qui oscille entre -40 et + 50 pour des températures moyennes ?

Dans la salle de bains, celle du Dyson indiquait 95° en mode pulse, effet Balmain.

...