La Psychanalyse

Nathan Noirh

« Entrez Mr Royalles, je vous en prie. Vous pouvez vous installer ici.

- Au bureau ? Sur une chaise ? Pas de divan ?

- Un cliché très répandu, j'en ai bien peur. Mais nous pouvons en faire venir un, si cela peut vous mettre à l'aise…

-  Non cela ira, la chaise me semble très confortable.

- Alors, Mr Royalles, est-ce la première fois que vous prenez rendez-vous avec un psychothérapeute ?

- Oui.

- Et bien commencez je vous en prie. En quoi puis-je vous aider ?

- Je suis cocu.

- Cocu ?

- Oui docteur. Ma femme me trompe…

- Je vois. Vous savez, il arrive toujours un moment où un couple a besoin de franchir certaines limites pour…

-…avec vous. »

Le docteur Vance a reçu beaucoup de patients qui possédaient des complexes d'infériorité, des problèmes d'égocentrisme et de manque de confiance, mais un patient avec une arme à feu, jamais. « Mr Royalles, je ne pense que vous soyez en mesure d'analyser calmement la situation et de vous rendre compte que vous menacez un docteur en psychothérapie avec une arme.

- Je suis plus que conscient de notre situation, docteur Vance. Vous couchez avec ma femme. Je vous menace avec une arme. Que déduisez-vous de la suite ?

- Je déduis que nous allons avoir un entretien sur la façon de comment vous avez découvert que votre femme vous trompait, et ce qui m'intéresse encore plus, comment vous avez déduis que j'étais l'amant de votre femme. Et me tuer ensuite j'imagine ?

- Excellente déduction docteur. On commence la thérapie ?

- Et bien je vous en prie. Pourquoi pensez-vous que je couche avec votre femme ?

- Elle me l'a avoué. Elle a évoqué votre nom, votre profession, votre couleur de cheveux, vos yeux, votre manie de réajuster vos lunettes. Elle m'a tout raconté. Comment elle vous a rencontré. Comment elle vous convient parfaitement.

- Dans ce cas, vous auriez dû amener votre femme. J'aurais, moi-même, deux mots à lui dire.

- Ceci, j'ai bien peur que cela soit impossible.

- Et pourquoi donc ?

- Ma femme est morte. Un malheureux accident je dois dire. Son esprit aussi fort soit-il, ne résiste pas à la pression d'une balle dans le cerveau.

- …

- La mort vous fait-elle peur docteur ?

- A vrai dire, j'ai surtout peur de mourir sans savoir pourquoi. J'ai peur de mourir et de laisser ma femme seule.

- Ah bien sûr, votre femme. Elle sera sûrement ravie d'apprendre que vous la trompiez avec une autre.

-  Mais puisque ce n'est pas le cas, et que je vais vous prouver le contraire, elle n'aura pas à s'en inquiéter. Je pense que vous êtes malade, et que vous avez grandement besoin d'aide.

- N'avez-vous jamais appris à l'école qu'il était dangereux de dire à homme qui vous menace d'une arme qu'il est malade ?

- Serait-ce dangereux d'exposer une vérité ?

- Tout dépend donc de cette vérité. La vôtre, mais aussi la mienne.

-  Docteur, vous connaissez ma femme.

-  Je vous dis que non.

-  Albane.

- …

- Brune, les cheveux longs, les yeux verts, des grains de beauté en grand nombre, une grande intelligence, un caractère évident, une légère manie à…

- Arrêtez. Je ne sais pas à quoi vous jouer, mais ce jeu a assez duré. Comment la connaissez vous ?

- Et bien voyons docteur, c'est ma femme.

- Je ne sais pas comment vous la connaissez, mais cela prouve que vous êtes encore plus atteint que je ne le pensais. Vous ne pouvez pas inventer tout cela. Votre psychose est réelle.

- Ma psychose ?

- Vous êtes en train de décrire ma femme depuis tout à l'heure.

- Vous avez les sentiments faciles, docteur, de penser qu'après avoir couché avec elle, qu'elle soit devenue votre femme. L'acte physique et charnel n'est en rien un engagement social.

- Cette situation est délirante. Albane est MA femme. Depuis 13 ans. Vous venez de la décrire parfaitement, vous l'avez suivi ? Pourquoi elle ?

- De quoi parlez-vous ?

- Bon. Je pense que nous sommes dans une situation assez compliquée qui vous dépasse Mr Royalles. Vous devez faire face à la réalité et vous rendre compte que vous avez une illusion ancrée qui n'est qu'un reflet de votre inconscient. Albane est ma femme, pas la vôtre.

- Docteur Vance, est-ce que votre femme à une cicatrice sur la hanche ?

- Espèce de…

- Un père mort qui travaillait dans l'immobilier ?

- …

- Elle voudrait sauver le monde mais n'en a pas la force ?

- …

- Je crois que j'ai une explication, docteur.

- Et laquelle je vous prie ? Albane n'avait parlé de ce genre de chose qu'avec moi. Je ne comprends pas.

- Nous avons la même femme.

- Impossible. Nous avons emménagé il y a quelques mois, j'ai ouvert ce cabinet dans la foulée.

- Quel mois avez-vous fait sa rencontre ?

- Juin. Quel jour ?

- Le 22.

- Décidément.

- J'ai une autre révélation qui risque de vous convaincre.

- Je m'attends à tout.

- Ann Arbor.

- …

- « Many minds, many hearts, but…

-…but only one truth ». La devise de Ann Arbor. Seul ceux qui ont passé l'examen de psychologie de cette université connaissent cette devise. Alors vous êtes…

- Le docteur Royalles.

 Deux docteurs en psychologie, partageant la même femme. Il y a de quoi vouloir suivre une psychothérapie. « - Bien, je pense que cela n'est plus nécessaire à présent. » Dit le docteur Royalles en posant le révolver sur le bureau.

« - Vous ne me menacez plus ?

- Il est évident que nous avons été tous les deux victime d'une tromperie. Nous pourrions peut-être… Que faites-vous ?

- N'est-ce pas évident ? »

Le docteur Vance a beaucoup d'opportunités dans sa vie. Mais qu'un malade qui le menace d'une arme à feu dépose son arme devant lui, jamais. Autant saisir cette opportunité. « - Vous avez besoin d'être suivi Mr Royalles. Vous êtes malade.

- Je ne suis pas malade. Je suis…

- En pleine hallucination. Albane n'aurait jamais de son plein gré révélé de telles informations. Où est-elle ?

- Et bien je vous l'ai dit…

- Morte ? Je ne pense pas. Je pense que vous avez imaginé sa mort autant que votre relation imaginaire. Je vais appeler la police, afin qu'il vous mette en détention et que nous éclaircissions cette histoire. Posez vos mains à plats sur le bureau. »

Le docteur Royalles s'exécute. Les mains à plats. Les doigts se tournent lentement et se positionnent en crochet contre le rebord du bureau pendant que le docteur Vance compose le numéro de la police sur son téléphone. Dans un mouvement brusque et rapide, le docteur Royalles soulève le bureau contre le docteur Vance, et envoi valser le tout. Il se retourne, cours vers la porte, empoigne la poignée, la tourne et ouvre la porte. Une douleur l'envahit à l'épaule. Le bruit bourdonne dans ses oreilles. Le docteur Vance vient de tirer une balle. Blessé, mais toujours debout, le docteur Royalles s'enfuit.


« - Et il vous lui avez tiré dessus ?

- Il fallait bien que je fasse quelque chose pour stopper ce malade.

- Effectivement. Bien, nous avons lancé un avis de recherche concernant votre femme. Tâchez de rentrer chez vous ou cas où elle appellerait. Nous vous tiendrons informé de l'avancée des recherches.

- Merci officier. Merci pour votre travail.

- C'est normal. »

 

Le docteur Vance n'est jamais rentré chez lui.

 

« Que voulez-vous dire ?

- Et bien on a défoncé la porte, persuadé que le malade l'avait coincé chez lui. Rien à faire, y'avait personne. Et sa femme…

- Quoi sa femme ?

- Aucune photo d'elle. Aucun document chez lui ou d'affaires féminines.

- Elle a déménagé ?

- Plus compliqué.

- Mais encore ?

- Pour faire simple, soit elle utilisait un faux nom, soit…

- Soit ?

- Soit la mairie ne se trompe pas, et Albane Vance n'a jamais existé.

- Mais alors ? Ce n'est pas seulement le docteur Royalles qui est malade…

- Le docteur Vance l'est aussi. Probablement.

- Bon dieu.

- Que fait-on sergent ?

- On va faire du café. »

 

Il y a plusieurs années. Un 22 Juin. Deux hommes sont couchés dans l'herbe. Une soirée arrosée. Trop peut-être.

« 

- Elle est comment pour toi la femme idéale ?

- Oh moi tu sais, belle, intelligente…

- Brune ?

- Et les yeux verts !

- Et puis elle essayera de sauver le monde…

- Sans y arriver. Et elle aura une cicatrice sur la hanche.

- Intéressant. Un fort caractère aussi. Suite à la mort d'un proche sans doute.

- Son père. Il travaillait dans l'immobilier.

- Et puis elle aura beaucoup de grains de beauté partout. J'ai toujours trouvé ça sexy !

- Et comment !

- Son prénom ?

- Alice ?

- Alexandra ? Toi aussi les prénoms en A ?

- Toujours. Axel… Armel…

- Trop typique. Je préfère quelque chose de plus original. Annabelle ?

- Trop courant encore. Non je pense plutôt… Albane…

- J'aime beaucoup ! Va pour Albane.

- Tu sais, demain on se quittera pour de bon. Je retourne chez moi, et toi tu retournes à l'autre bout du pays. Cette remise de diplôme était… intéressante.

- J'ai presque envie de dire… d'accord avec vous, docteur Vance.

- Mais je vous en prie, docteur Royalles !

- Un dernier verre ?

- Puisse t-il nous faire trouver la femme imaginaire ! »

 

FIN

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