la quete d'Arkäel
Yves René Bonjour
La quête était presque finie. Le voyage avait été long et dangereux, le franchissement du col des Âmes perdues lui donnait encore des tremblements compulsifs. Un filet de sang à ses oreilles se craquelait sous le soleil, le bourdonnement sourd de son cœur lui faisait tourner la tête. Mais enfin, après tant de souffrances, la grande porte en granit se découpait devant lui. Encastrée dans la montagne, elle était gardée par quelques maléfices étranges, comme pouvaient en témoigner les ossements dispersés par les prédateurs. Les restes décharnés des prétendants vaincus se dispersaient sur le plateau rocailleux, et l'odeur de charogne submergeât Arkäel: il ne pouvait vomir car le dernier repas était depuis longtemps passé, d'ailleurs il ne s'en souvenait même plus, sa folie étant devenue sa seule source de vie. Il cherchait La puissance absolue, connue de quelques initiés, richissimes et aux pouvoir incroyables, réduisant des civilisations entières à l'esclavage, s'arrogeant des pans entier de l'économie du monde connu. Le secret se tenait dans un coffre, contenant la force d'un milliard d'hommes. La quête Arkäel, la seule, l'ultime pas vers l'absolue puissance.
Il avait cherché dans les monastères les plus reculés la trace écrite de la Porte, les signes d'une antique civilisation perdue, la clef de la vie éternelle. Il avait passé la majeure partie de sa vie dans la poussière toxique des bibliothèques, à s'user les yeux pour décrypter des codex improbables, des parchemins tortueux remplis de délires hallucinés, récits de voyages au frontières de la réalité visible. Les moines l'avaient mis en garde, lui signalant les perversions d'écrivains, les poisons distillés dans les pages, les aiguilles glissées entres les pages, propageant la peste noire et les nombreux livres enchainés, interdits car par trop venimeux pour sa santé mentale. Mais il n'en avait cure, la quête lui autorisant toutes les folies en lui ôtant toute inhibition, toute peur et raison. Les gros gants de cuir épais, qu'il portait pour compulser les archives, se trouvaient maintenant dans sa besace, rongés par les acides contenus dans les pages du Livre des contemplations Ultimes. Le procédé était inconnu par les nombreux prétendants à la quête, comme en témoignait les mains des squelettes autour de la porte, toutes rongées jusqu'au poignet droit. Un rictus lui stria le visage, un éclair de compassion lui fit pousser du pied un crane vers un trou comme ultime sépulture. Il n'avait pas de temps à perdre, la porte aurait dû s'ouvrir depuis le lever du soleil, en ce jour d'équinoxe.
La porte semblait vibrer sous les rayons du soleil. Il y était gravé quelques runes, effacées par les années et une forme en creux, pourvue de cinq rayons. L'empreinte d'une main droite, la clef requise pour entrer dans les ténèbres …Arkäel se félicita intérieurement pour sa prudence, posa sa main sur la pierre et poussa légèrement vers l'intérieur. Un raclement sourd, comme celui d'une pierre tombale sur son coffre, lui fit couler un filet de sueur glacée dans le dos. Les grands mystères se terraient là, derrière cette porte. Une odeur de terre humide s'exalta d'un coup et la porte pivota sur son axe, libérant le passage et dévoila un escalier gluant de mousse. Prenant une torche fichée dans le mur, Arkäel y mis le feu grâce à son petit briquet à amadou. Il scruta l'escalier, qui semblait se perdre dans les abysses puis commença sa descente, glissant degré par degré, le cœur battant à tout rompre. Sa quête, qui lui avait volée trente années de sa vie, lui faisant oublier femme et enfants, passer des jours et des nuits sans sommeil, devait se finir aujourd'hui, quoi qu'il arrive : la passion qui le rongeait ne pouvait plus le maintenir encore longtemps en vie...
L'escalier tournicotait comme un ver, évitant des rochers, laissant apparaître les racines des buissons du dehors. L'eau ruisselait sur les parois et l'air semblait figé, âcre et malsain. Une cavité se dessina, prit de l'ampleur et se dévoila à la lueur de la torche. Un rocher noir comme l'âme d'un démon se dressait, seul, au milieu, avec sur le dessus, un tout petit coffre. En bois, tout simple et comme patiné par des millénaires. Enfin, la quête s'achevait et Arkäel , les mains moites, se saisit du coffre, se mélangea les mains et les doigts, trébucha maladroitement en essayant de se rattraper avec le rocher et fracassa le coffre sur le sol. Le fond en bois se détacha, dévoilant une petite étiquette « made in china ».