La rédactrice en chef

linacarof

Kate veut la place de rédactrice en chef. Lundi ce sera fait.

 

Elle badigeonne de rouge Chanel ses lèvres charnues, jette un coup d'œil satisfait à son joli petit nez, artistiquement retouché par un chirurgien esthétique. Victoire. La vieille a été virée.

Elle l'a vue sortir du bureau de JP, livide sous le blush qu'elle met systématiquement sur ses pommettes espérant faire oublier son âge. Voilà six mois que Kate (elle n'aime pas qu'on lui rappelle son prénom de baptême, Catherine) pousse JP à se débarrasser de Michelle. Combien de fois lui a-t-elle susurré, suggéré, conseillé, affirmé, répété, martelé que l'autre n'était qu'une has been.  

Kate  avait  joué avec JP de tous les registres. La conseillère de l'ombre, construite et rationnelle, comme elle l'avait appris à HEC. La copine bien intentionnée. La séductrice. C'est ce qui avait le mieux marché. Dans le bureau de JP,  elle choisissait le fauteuil qui permettait au patron une vue grand angle sur ses longues jambes gainées de bas couteux. Elle les croisait avec une grâce mesurée. Sa jupe coupée 15 cm au-dessus du genou, laissait entrevoir des cuisses musclées. Elle remuait ses escarpins à 300 € la paire, pour montrer ses chevilles fines et souples. JP était hypnotisé. Elle pouvait faire passer ses idées.

Ok, Michelle a dirigé pendant quinze ans le magazine Marie-Jeanne que Jean Pierre Veuillard, dit JP avait  racheté quelques mois plus tôt. « Mais aujourd'hui, à 55 ans, elle n'est plus dans le coup ». JP avait besoin de réfléchir. Il savait que Michelle  avait intégré toutes les évolutions des technologies de l'information, créé une belle page Facebook pour le magazine suivie par des milliers d'amis. Idem sur Tweeter. « Elle a fait son temps. Elle ne sera plus à même de renouveler le journal. On veut s'adresser aux jeunes, elle n'en connait rien. Encore si elle avait des enfants… Mais c'est une célibataire, une ménopausée. Elle était adaptée à l'ancien public de Marie-Jeanne, la ménagère de province de moins de 50 ans. Mais aujourd'hui on veut parler aux jeunes, les 25-35 ans, n'est-ce pas ? ». Kate multipliait les coups de bélier avec une énergie et un argumentaire inépuisables. JP a fini par  céder. Convaincu ? Ou de guerre lasse ?  Kate à 32 ans est pile poil dans la cible. Elle saura parler à sa génération.

 

Kate respire. Sa guérilla a porté. Elle jouit du moment délicieux. Elle a gagné. La route devant elle est déblayée. JP lui a donné rendez-vous lundi à 9h, à son retour d'Houlgate. Il sera détendu comme toujours, quand il revient de sa propriété normande. Il va la nommer rédactrice en chef, lui proposer un contrat en or. En or ? A voir... JP est malin et près de ses sous. Kate ne veut que de l'or massif, du 24 carats, mais JP risque de lui proposer du plaqué, ou un titrage réduit. Elle a le week-end pour peaufiner sa position. Elle va en discuter avec Georges. Il revient de son séminaire à Londres, ce soir vers 23 heures. Georges négocie des fusions-acquisitions, il l'aidera à déjouer les pièges.

 

Samedi, 10 heures, Kate dans son épais peignoir éponge blanc chantonne en préparant le brunch. Le thé Mariage infuse dans la théière anglaise en faïence fleurie. Le pain grillé dégage une odeur appétissante. La confiture d'oranges qu'elle a dénichée à la Grande Epicerie (à un prix honteux, mais elle s'en fiche) reflète le rayon de soleil qui envahit la cuisine. Elle et Georges ont eu ce matin un grand moment de bonheur. Ce n'est plus si fréquent, Georges travaille trop et rentre souvent épuisé.

Sorti de la douche, le cheveu mouillé, dans son jean Armani, la chemise blanche à peine boutonnée Georges est tel qu'elle l'aime. Sensuel, beau, rayonnant.

« Alors qu'en penses-tu ? » demande Kate ravie de son nouvel horizon professionnel.

Georges lève les yeux vers le plafond comme il le fait dès qu'il commence à réfléchir. « Il y a une question qui me turlupine. Peut-on devenir rédactrice en chef d'un magazine, quand on ne lit jamais un journal ? ».

 

 

 

 

  • Entre esbrouffe et savoir faire...qui sera le gagnant ? Le "bon" choix n'est pas la donnée la mieux partagée. Merci de votre commentaire.

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    linacarof

  • ça me parle tout particulièrement... cyniquement drôle.

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    Nicolas Juliam


  • Bravo ça sent le vecu

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    babiquette

    • C'est vrai il y a le vécu, et l'interprétation du vécu.

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      linacarof

  • très chouette nouvelle, j'aime le ton incisif, et précis

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    lmenben

    • Merci de votre commentaire

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      linacarof

  • Très bon! J'ai passé un moment fort agréable!

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    17h27

    • Merci de ce retour

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      linacarof

  • J'ai bien apprécié, cette nouvelle bien tournée. Ecriture efficace. Un truc que je n'ai pas compris:le passage "Il savait que Michelle avait intégré .." Est ce Michelle qui a developpé tout ça ou Kate?
    Sincères Salutations

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    Al Prubray

    • Merci pour votre commentaire. C'est bien Michelle qui a intégré la connexion avec les réseaux sociaux pour faire évoluer le magazine qu''elle dirige.
      Je n'ai sans doute pas été assez claire dans la formulation..

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      linacarof

    • RE bonjour, j'ai bien été pris dans l'histoire.MAis je ne comprends pas la réaction de JP. Il y a des éléments en béton pour garder Michelle à son poste: Elle a développé la communication à la façon dont on l'enseigne dans les écoles de commerce aujourd'hui, me semble t il (j'ai suivi d'assez loin une formation en force de vente et c'est très tendance). Et je défends Michelle d'autant plus qu'elle a presque mon âge...!

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Al Prubray

    • Bonjour Al Prubay
      Pour répondre à votre étonnement, force est de constater qu''un haut niveau de compétence n'est pas toujours le facteur de choix d'un salarié dans les entreprises.
      Le décisionnaire est à même de faire appel à d'autres critères,, consciemment ou pas, avouables ou pas. On peut le regretter. C'est hélas un constat que partagent ceux qui ont une longue pratique dans les entreprises. Les victimes en gardent en général beaucoup d'amertume.
      Si l'histoire de Michelle vous touche, vous pouvez lire l'épisode précédent sur le site pournouslesfemmes.com, (rubrique "écrire")

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      linacarof

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