La révoltante Hébron

Jonas Mossiat

Hébron est la ville que tous les palestiniens poussent à aller voir. Située au Sud de Jérusalem et de Bethléem, sa vieille ville constitue un véritable musée de ce qu’est l’invasion israélienne sur le territoire palestinien, en Cisjordanie.

C’est une grande ville, de près de 170 000 habitants, bruyante et arabe, pleine de souks, de vie et de chants. Les taxis doivent partager leur route avec les charrettes et les piétons, les ânes et les écoliers. Le tourisme y est peu développé ( et ça se ressent dans le regard qu’ils nous portent) puisque peu d’information n’est sensée sortir de ce cas assez spécial.

Outre les 170 000 palestiniens, 500 colons juifs ont décidé de faire de la vieille ville d’Hébron leur endroit de villégiature. Au centre de cette antique cité se trouve en effet la Mosquée d’Abraham, pour les palestiniens, qui est également nommée le tombeau des Patriarches par les juifs. Un unique bâtiment prenant une importance identique, mais des sens religieux complètement différents. Ces 500 colons juifs implantés dans Hébron sont ”protégés” par près de 1700 soldats israéliens. La vieille ville (H1) est donc devenue sous l’autorité israélienne, alors que la périphérie est sous le contrôle de l’autorité palestinienne. Ceci dit, des palestiniens courageux vivent toujours dans H1. En périphérie, Hébron semble donc une ville arabe des plus normales et des plus vivantes, alors que son centre pourrit tout doucement.

''Here become the Apartheid''

C’est l’association Hébron-France qui nous a permit de découvrir tout ça. Outre le fait d’étendre la francophonie au sein de la Palestine, ils disposent de guides hébroniques francophones aux visiteurs. C’est avec Ullud, une jeune voilée de la région, que nous entamons la visite de la vieille ville.

Ce qui choque dès le commencement, ce sont les check-points situés au cœur même de la ville, entre H1 et H2. Des parpaings bloquent l’entrée aux véhicules dans certaines rues. Des blocs de pierre schizophrènes, tagués d’un côté de ”Here begins the apartheid”, de l’autre ”Free Israël”. Le centre historique d’Hébron a été encerclé de murs, de sorte que l’entrée ne peut se faire que par le passage obligatoire par ces check-points. Les israéliens contrôlent donc l’ensemble des entrées et sorties de la population palestinienne. Des barbelés, des déchets, avant une baraque où le reflet de la présence des soldats se voit à travers les minuscules fenêtres. Voilà un check-point. Les sacs et les identités sont fouillés pour les palestiniens, tandis que pour nous, seulement, le passeport doit être montré.

Après, on se retrouve face à la désolation. Ce qu’on imaginait être un souk il y a 60ans, ce qu’on imaginait être le cœur d’une grande ville, avec ses passages, ses vendeurs ambulants ou voleurs à la sauvette, tout cela se retrouve anéanti. Ainsi que les ombres des enfants jouant au ballon et celles des vieux hommes papotant autour d’un çay. Tout cela a disparu et fait maintenant place à un vide profond. Cette rue décédée, affluente d’une autre morte également, ces parallèles et perpendiculaires aussi, pour couvrir tout un quartier, sont d’autant plus tristes qu’on les sent pleines d’un passé joyeux. Et certainement d’un futur également. Sans compte ce bouton ”pause” qui a été enfoncé.

Toutes les échoppes aux portes émeraudes sont clauses, et les rares personnes arpentant les rues se dépêchent s’ils sont arabes, déambulant s’ils sont touristes ou paissent s’ils portent une kippa.

Comme Mahmoud nous l’illustra plus tard, on peut comparer la colonie juive d’Hébron à une greffe. Si l’organe greffé n’est pas en adéquation totale, sans compromis, avec le corps dans lequel il s’est établit, tôt ou tard, par la force naturelle des choses, le greffon sera rejeté. Une comparaison idéaliste et heureuse. Ceci dit, Mahmoud, malheureusement, n’a pas réfléchit au fait qu’une mauvaise greffe, à défaut d’être rejetée, peut détruire l’entièreté du corps hôte.

''Here it's South Africa. Black there and white in the other side''

En marchant dans les rues fantômes, nous apprenons, par Ullud ou d’autres, l’histoire de la ville. Les familles juives sont venues s’implanter avec l’aide de la force armée des militaires. Après avoir encerclé la ville de murs et installé les check-points, les israéliens ont commencé par la pourrir de l’intérieur. S’installant dans les maisons palestiniennes, souvent au second étage, les familles débutèrent leur règne de la terreur. Grâce à Ullud, qui se voyait pousser des ailes et sa confiance gonflée en se promenant avec des européens, nous avons pu grimper sur le toit d’une des dernières maisons palestiniennes accessibles. Une vue d’ensemble sur la ville, qui nous fait comprendre une chose: nous sommes observés. Des snipers/soldats sont postés sur une multitudes de toits, dans des postes que l’on ne voit pas forcément lorsque l’on marche en bas.

Quoiqu’il en soit, cette possession par le haut à de nombreux revers pour la population arabe. Du haut de leur étage, les colons envoient des pierres, des déchets et tout ce qui leur passe sous la main. Les insultes fusent, les tags fleurissent, mais ces lancers, ces déchets sont souvent faciles, perchés depuis les anciennes fenêtres des palestiniens qu’ils assaillent et défendus, pour chacun, par un quota de 3 soldats.

On peut donc observer des rues où des treillis ont été tirés, des tôles ont été mises pour éviter de blesser les palestiniens. Un drapeau d’Israël en haut, les fierté des palestiniens en bas, séparés par un fil tendu soutenant des pierres, des sacs poubelle et d’autres restes alimentaires, destinés aux gens d’en-bas.

Et les traces d’apartheid ne s’arrêtent pas là. Seulement 3 échoppes ont été autorisées à ouvrir dans la vieille ville, près de la Mosquée d’Abraham et encore plus proche d’un petit poste militaire. Ce qui reste également le plus choquant, c’est cette rue, d’une cinquantaine de mètre de longueur. Divisée dans sa longueur par un muret, 5m d’un côté, 1m de l’autre. Akmeht, un des trois commerçants, autour d’un thé, nous éclaire sur une situation que nous avions déjà comprise. Les 5 mètres sont réservés au israéliens, le mètre restant aux palestiniens. C’est ici que commence la ségrégation.

La division est partout dans cette ville. Il suffit d’en voir le symbole: La Mosquée d’Abraham/Tombeau des Patriarches. Cette mosquée abrite les tombes (sans corps) d'Abraham, Isaac, Jacob et leurs femmes respectives. Un haut lieu musulman, arabe et juif. Lors de l’occupation d’Hébron, les israéliens ont décidé de s’approprier la moitié, la plus belle part du gâteau, pour le transformer en synagogue. Une partie est donc restée une mosquée, alors que l’autre est devenue juive. Le tombeau d'Abraham est visible par les deux communautés. Qui peuvent se juger, se voir par deux fenêtres voisines.

''Just work and eat''

Nous avons été accueilli à Hébron par Munir et Ind, un joyeux couple avec 4 enfants. L’occasion de passer une soirée dans une famille palestinienne, plutôt aisée. Dès notre arrivée, Munir nous informe de deux choses: Barcelone joue ce soir, et sa femme vient d’être élue présidente d’un syndicat pharmaceutique. Une petite révolution, une grande nouvelle pour le couple. Fier, il nous apprend qu’Ind a presque été élue à l’unanimité, étant également la première femme à atteindre ce poste.

Alors que Munir doit se rendre à sa pharmacie pour travailler, c’est avec Ind et les enfants que nous passons la soirée. Après avoir souper ( à 4h de l’après-midi), Ind nous invite à faire une petite promenade dans la ville, après s’être préparée et bien maquillée. Ind est une femme curieuse, curieuse de nos habitudes, de nos vies, de notre venue ici. Elle est aussi bavarde et intelligente, souriante et chaleureuse. Quand on aborde la question de ses enfants, elle n’hésite pas une seconde. “Je ne veux pas qu’ils restent ici. Je veux qu’ils partent, qu’ils voyagent à travers le monde entier. Ce n’est que comme cela qu’ils pourront se forger leur propre personnalité. S’ils décident de vivre ici, je veux que se soit leur propre choix, pas notre égoïsme de parents. Il n’y a plus rien ici pour eux. Ici, c’est juste “Eat and work, eat and work all the time”. Et je le fait pour eux.”

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