La rouquine en corolle verte

Cathy Galliègue

– Tu es magnifique. Me disait-il, sans l'ombre d'un doute dans la voix.

Je ne m'étais jamais trouvée magnifique, mais si cet homme-là le pensait alors je voulais bien faire semblant de le croire.

Je relevais ma longue tignasse rousse en chignon – il aimait toujours ma nuque découverte – et je me plantais devant le miroir au-dessus du lavabo…

Est-ce que cette image est magnifique ?

Je me souviens les avoir longtemps regardés jouer. Et un jour, je m'étais approchée du groupe dans la cour de récréation. Avec des vraies manières de fille, je faisais valser les godets de mon nouveau manteau vert en faisant des petits demi-tours sur les pointes. Ça s'ouvrait comme une corolle, c'était très joli.

Assez joli pour que je me paye l'audace d'espérer que le beau petit garçon blond voudrait être mon copain. Il m'a propulsée au centre de la ronde, j'ai d'abord cru que c'était pour jouer, mais devant tous les visages édentés et hilares il a scandé avec un rire méchant « Emmanuelle heuuu, elle est pas belle heuuu !!!! »

Les autres ont repris en cœur.

J'aurais voulu me sauver tout de suite. Courir chez mémé, jeter mon manteau, lui raconter mes misères et me faire consoler.

Je suis rentrée à la maison après l'école. Ma mère était là, agacée par je ne sais quoi. Ça se voyait quand ça n'était pas le moment. J'ai posé sur la table de la cuisine les deux clichés qu'on nous avait distribués le jour même. Photo de groupe et photo individuelle, la frange coupée de travers, le sourire forcé, le col de mon sous-pull orange godillant jusqu'au menton.

Je n'aurais pas dû lui raconter mon humiliation publique. Que pouvait-elle me dire ? Elle ne supportait pas mes larmes pour des raisons aussi futiles.

Et elle avait mal à la tête.

En jetant un œil distrait sur ma photo, comme un constat sans appel mais pas dramatique, elle a donné raison au petit garçon blond en soupirant « heureusement que tu es intelligente parce que c'est vrai que t'es pas belle… »

Intelligente… C'est le docteur qui lui avait dit. Après une angine pas soignée qui avait tournée en méningite, je m'étais réveillée de sept jours de pseudo coma avec une faim d'ogre et un vertige me bloquant net en haut des escaliers.

Gracieuse, j'avais descendu les marches sur les fesses en m'accrochant à la rampe et avec un parfait accent picard, j'avais réclamé des patates.

Il fallait que l'on sache si mon cerveau n'avait pas un peu morflé au passage. Il était nickel. Ma mère était fière cette fois. Non seulement je n'étais pas neuneu, mais les tests disaient que la petite irait loin.

Alors, non, je ne trouvais pas cette image magnifique. Il était trop tard pour qu'on me fasse croire ça. Mais j'avais appris à la rendre harmonieuse. Ma singularité avait fait le reste.

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