La seine
patrizia
Sur le fleuve, une péniche éclairée aux guirlandes. De la musique, des voix qui s’entrechoquent. Passionnément.
Ils s’amusent, rient, dansent, chantent.
Je les regarde passer, je suis sur le pont, je lève mon verre imaginaire pour trinquer à leur santé, je suis longtemps des yeux la péniche festive, toute illuminée dans le jour éteint puis ce n’est plus qu’un point à l’horizon ; quelques badauds épars traînent, la douceur du crépuscule les retient sur l’asphalte.
J’enlève mon sweat et mon jean que je range dans mon sac à dos et me retrouve en justaucorps noir et blanc à paillettes, un couple à ma hauteur me dévisagent avec étonnement, je leur fais un beau sourire et ils s’arrêtent. Je saute lestement sur la rampe du pont, la femme pousse un cri et l’homme avance les bras pour m’agripper mais je me suis décalée pour lui échapper, d’autres personnes regardent de loin ou se dirigent vers nous.
Je fais des bonds gracieux sur la rampe, une musique rythmée enfermée dans mon sac s’élève jusqu’à nous, j’ai déposé un chapeau près de lui pour le spectacle. Je virevolte, me déhanche sensuellement, conguguaison de la grâce et la performance, des applaudissements m’accompagnent à chaque entrechat céleste, un attroupement grandit au fur et à mesure et bientôt il est impossible de circuler sur ce côté de la seine. Des appareils me flashent, des ‘oh’, des ‘ah’ fusent, je les entends furtivement, seul mon corps est parmi eux, je flotte mentalement dans une autre dimension.
Des sirènes hurlent, elles se rapprochent, deux voitures de police stoppent et les occupants bondissent près de ma rampe, ils me crient de descendre, ils ordonnent aux spectacteurs de s’éloigner , ils en bousculent certains même mais personne ne s’en va, ils me regardent évoluer.
L’un des policiers ouvrent mon sac pour éteindre la musique, je suis débranchée au même moment. Je me fige sur la rampe, les deux pieds joints, les bras en croix. Les respirations semblent suspendues, les yeux sont fixés sur la femme en justaucorps à paillettes. Eux aussi.
Je regarde le ciel en tendant les bras au dessus de ma tête, je plie les jambes en ramenant mes coudes à la hauteur de mes genoux et je quitte la rampe en tournoyant en vrilles et je disparais sous l’eau.
Ca n’a duré que quelques secondes, la foule s’est ruée contre la rambarde, les policiers ont appelé les pompiers, le samu, l’eau ne rejetait pas de corps. Deux minutes ont passé, des commentaires fomentaient.
‘La voilà !’ et un tonnerre d’applaudissements saluait ma vision.
Il ramassa mon sac et le chapeau et détala à grandes enjambées. L’un des policiers donna l’assaut, en vain.
Je nageais sous l’eau et j’accostais plus loin, là où m’attendait mon acolyte avec mes vêtements.
Le lendemain matin, la vidéo de mon exploit était sur le net, le buzz fut vertigineux.
Ah AH Astrov, lui importe peu la saison, seul la folie de son art,
· Il y a environ 11 ans ·patrizia
La danseuse en danger... J'aime ces danses extrêmes, mais j'ai toujours la trouille pour l'artiste! Pareil au théâtre, peur du trou d'mémoire. Me goure-je, ou bien vous ne dites pas en quelle saison se passe le spectacle? Entre mai et septembre, j'espère, sinon glagla!
· Il y a environ 11 ans ·astrov
Tu as bien perçu ce que je voulais faire passer Alice, merci,
· Il y a environ 11 ans ·patrizia
J'ai lu ce texte comme une danse, comme les artistes que l'on voit faire des pirouettes en se demandant s'ils ne vont pas tomber, mais si! et puis non, ils maîtrisent ! La fuite en catimini devant toute cette foule est aussi une belle prouesse! Un texte frais et léger, merci :)
· Il y a environ 11 ans ·Alice Neixen
Eh bien, je peux dire que la fin m'a surprise, j'ai eu peur comme le couple qui a voulu rattraper la femme au justaucorps, après je me suis dit que c'était que du spectacle, ensuite j'ai vraiment cru au suicide et finalement je ne me suis pas du tout attendue à la chute !
· Il y a environ 11 ans ·Par contre, faire le buzz pour des choses pareilles, c'est assez dépitant selon moi.
rafistoleuse