La tendresse des fous
sisyphe
Dressant leurs bois menaçants mais vides d'adversaires, les arbres célébraient la Novembre qui achevait de les dévêtir. Un souffle d'Hiver s'invitait et déversait la lente et froide colère de ceux qui sont prisonniers de trop longue date. Balayée par le vent glacial, la morne et triste cour de cet asile psychiatrique en banlieue d'une petite ville de province demeurait déserte. Pour quiconque poussait les larges grilles de fer rouillé mordu par l'usure et la négligence, le constat s'imposait: Voilà une prison à peine masquée propice à parquer les âmes. En effet, la tristesse, la désolation du lieu étaient tant de spectres qui gardaient les patients à l'abri d'éventuels désirs de joie, de liberté. Et lorsqu'il arrivait à ce ciel maudit de céder et de se fendre en éclairs d'azur et en chiffons éclatants de nuages, le personnel fermait les fenêtres depuis l'extérieur. Les fous n'étaient alors plus que des rats, piégés au plus épais de leurs cachots d'ombre. Mais, durant les jours gris, le visiteur infortuné venu contempler tristement la silencieuse agonie d'un ancien parent ou ami, pouvait distinguer des silhouettes agitées, reflets de folie qui se massaient à leurs meurtrières respectives, intriguées et amusées par ce nouveau venu.
Toutefois, une des cellules restait vide, enfin c'est ce qu'on voyait depuis la cour. Son prisonnier restait prostré le plus loin possible de la fenêtre, face à elles pourtant, de sorte que seule la teinte du ciel puisse inonder ses yeux si il daignait les lever. Raillé par les gardes et l'ensemble du personnel de l'asile, ce fou s'était encore plus muré dans sa folie que les autres. Happé, fauché, dans son plus bel âge par ce que l'on a coutume d'appeler folie, il avait été interné, exilé de l'humanité. Cependant, arrivant à extirper sa tête des eaux sombres et profondes du désespoir, il retrouvait son existence antérieur à la faveur des charmes de sa compagne qui, la triste larme à l'oeil, le visitait. C'étaient pour lui les seules déchirures dans l'opaque voile que plaquait l'asile sur sa vie. Mais un violent cynisme poussait ces déchirures à se résorber. Dans l'étroit cachot de sa condition, le pauvre homme voyait son espoir se réduire à un maigre filet d'une lumière pâme à mesure que les visites s'amenuisaient.
De fil en aiguille, les déchirures se recousirent totalement, l'opacité redevint reine. Brisé et muré, il avait cessé d'attendre de la providence un éventuel geste, revoyant sans cesse l'ombre de cet être chéri s'éloigner, faisant place à l'aveuglante, crue et absurde lueur du désespoir. C'est ainsi qu'un jour où la promenade quotidienne se déroulait comme à son habitude, sans encombres, que, prit par l'éternel dégoût de la vie qui l'assaillait depuis, il gagna trop rapidement pour les gardes, une fenêtre ouverte par les mêmes vents de Novembre, envoyés d'un destin cruel. Les pieds plantés à la limite du vacillant, imperturbable dans sa résolution d'en finir de vouloir continuer, sans un seul regard en arrière vers les tortionnaires tétanisés, colosses aux pieds d'argile, il se laissa tomber.
Une très belle description de ces lieux si impersonnels et cruels dont vous nous montrez l'unique issue... avec une plume... terriblement précise et sensible ! excellent choix que Satie pour l'accompagner.
· Il y a plus de 13 ans ·Edwige Devillebichot
Magnifique .. :)
· Il y a plus de 13 ans ·Décrire cet univers aussi admirablement que tu l'as fait ...
delphine
C'est un texte magnifique et bouleversant.
· Il y a plus de 13 ans ·Merci pour le partage, Lousalome.
minou-stex