La valse se danse à deux

Thomas Cock

Sans la musique, la vie serait une erreur.

Friedrich Nietzsche


–          Ma femme, l'amour de cette vie ! Je l'ai tuée.
–          Pourquoi ?
–          C'était une diablesse. Maintenant c'est un ange !
–          T'as de la chance. La mienne est toujours en vie… Je l'ai loupée.
–          Bravo !
–          Pourquoi t'as tué la tienne ?
–          Pourquoi ? J'ai eu le temps d‘en causer avec le précédent, il  avait aussi refroidi sa bo-bonne, comme il disait. Un gars plutôt intéressant. Spirituel. « La mort a ses raisons que l'amour connait bien. » qu'il disait le gars d'avant. Il avait des théories sur tout mais pas de dieu. « La tyrannie du sens » qu'il disait, « Cette salope ! ». Comment t'as fait pour la louper ?
–          J'étais en train de la tabasser, quand ils sont entrés et …
–          Les empêcheurs de tourner en rond ?
–          Ouais.
–          Moi aussi, ils m'ont eu directement. Mais j'ai eu le temps de la tuer. Il y a une raison si tu t'es fait boucler directement et moi aussi.
–          Tu crois ?
–          Le mec d'avant pareil ! Du sang sur la gueule, du sang partout en fait, il était plein de sang quand il s'est fait coffré ! Il avait cette obsession du sang ! « Le sang, c'est la vie ! », qu'il disait, la face toute folle. Merci pour l'info ! C'est trivial mais pour le coup, ça m'a empêché de dormir.
–          Un fou, c'est tout.
–          Le fou, c'est celui qui n'a jamais connu l'asile ! Et lui, il en a soupé de la prison ! Ça allait toujours plus loin avec ce type ! L'avortement par exemple, dès que l'embryon ou je ne sais quoi a du sang en lui, c'est qu'il est en vie, tu peux plus le tuer.
–          Je m'en fous, moi de ces conneries-là.
–          Bien sûr que tu t'en fous ! Ça se voit à ta tronche, t'as pas la lumière dans toutes les pièces ! J'en étais certain…
–          De quoi ?
–          Que le visage de la stupidité viendrait poindre son nez une dernière fois.
–          Va te faire foutre !
–          On m'électrocute d'ici la fin de la journée ! C'est une question d'heures ou de minutes ! J'ai un peu perdu la notion du temps. Mais je l'ai fait mon deuil. Je vais même te dire. J'attends la mort avec impatience! Je l'ai trouvé mon dieu, tout au fond de moi ! Et je vais bientôt retrouver ma femme ! Dans la vie qui vient ou dans la suivante !
–          T'es givré !
–          Tu savais que le dessin de l'ADN était le plus vieux symbole de la vie ?
–          Qu'est-ce que ça peut me faire ?
–          Des serpents qui s'entrelacent ! L'autre hémophile, il le savait.
–          L'autre quoi ?
–          Laisse tomber ! T'es nœud-nœud et pour moi la musique, c'est fini. Gustave Wagner disait « La musique commence là où les mots s'arrêtent. ». Mais pour moi, c'est l'inverse ! Je me mets à causer quand la musique s'arrête.
–          Quelle musique ?
–          La vie, margoulin ! L'amour, le temps… Pour celui d'avant, c'était du sang ! Pour moi, c'est de la musique !
–          Tout ça, c'est de la merde !
–          Ben voilà, pour toi, c'est de la merde ! J'en étais certain ! Tu te fais dessus même dans tes rêves! Faut avoir peur de ses rêves ! Sinon, c'est que ce ne sont pas les bons ! Mais des rêves, t'en feras plus des masses ici, de toute façon ! Alors, c'est mieux que tu t‘emmerdes pas trop avec tout ça, comme tu dirais !
–          C'est toi qui commences à m'emmerder !
–          Quel raffinement. Le contraire m'aurait étonné ! Tu devais être du genre à faire ce que la musique te disait ! Populaire ! Populeux ! Moi, j'essayais de trouver les toilettes dans mes rêves ! Ça te dit quelque chose, ça ?
–          T'es une pisseuse ?
–          Le besoin de création ! Dali, un grand débile comme toi, ça doit connaître Dali !
–          Bien sûr que je connais Dali !
–          Mais tu ne sais pas ce qu'il raconte dans ses toiles. Ça ne t'intéresse pas les symboles ? Ce qu'il y a derrière la musique ? Ce que la musique veut dire ?
–          T'as l'air de bien aimer les dictons, alors en voilà un et de Duke Ellington, monsieur.
–          Oh oh Monsieur !
–         « Il n'existe que deux sortes de musique : la bonne et la mauvaise. » Et moi, je pense comme lui. Je suis de la mauvaise musique. Pour causer comme toi. C'est comme ça, je ne sais pas aligner trois notes ! Jamais rien joué de correct ! Tout sonne faux avec moi !
–          T'es un mauvais garçon, c'est ça que t'essaies de me dire ?
–          Ouais !
–          « Qui veut faire l'ange, fait la bête. » C'est bien connu.
–          Comprends pas.
–          C'est normal, c'est de Blaise Pascal.
–          T'avais l'air de l'aimer ta greluche.
–          Strangulation. Je l'ai fixée droit dans les yeux ! Jusqu'à son dernier souffle ! J'ai respiré doucement le dernier de ses soupirs, en regardant la vie l'abandonner.
–         Taré !
–         Pour elle, la vie, c'était de l'air ! Une chanteuse d'opéra. J'ai serré sa gorge entre mes mains et pendant quelques instants, j'ai senti tout son être m'appartenir. J'ai senti sa musique me monter dans les nasaux, enivrer ma tête comme si on avait pu me caresser de l'intérieur.
–          C'est bien ce que je dis. T'es un fou !
–          Qui est le plus fou ? Le fou ou celui qui suit le fou ? T'es libre de ne pas m'écouter.
–          Oui, ben c'est ce que je vais faire. Toute façon, j'entends des pas, ils vont venir te chercher pour te couper le son.
–          Elle était folle de moi. Elle m'aurait suivi à l'autre bout de la Terre. Elle disait qu'elle voulait que je la libère et c'est ce que j'ai fait. Elle était fille de chanteuse d'opéra. La grand-mère, elle-même chanteuse d'opéra. De mère en fille, comme ça, sur des générations. Des autrichiens. Ses parents l'étouffaient. C'est là qu'est née son obsession pour l'air. Comme quoi tout est toujours une question d'éducation.
–          Ça recommence… T'aurais pu l'étouffer rien qu'en parlant. T'y as pensé à ça ?
–          Bien sûr que j'y ai pensé.
–          Mon dieu !
–          Exactement ! Je l'avais tout de suite compris. Dieu, l'air qui nous connecte et nous alimente tous. C'était trop gros ! J'en brassais moi de l'air. J'étais comédien. De la même manière que deux âmes sœurs sont une et une seule âme divisée en deux. Certains disent une étoile. Comme deux pôles, deux antipodes, deux aimants, nous nous sommes obtenus par magnitude. Le choc de notre rencontre fut de la belle violence de la vérité, de la force de l'évidence, de la logique du chaos et de la grâce de l'invisible.
–          Tout ça ?
–          On s'est rencontré dans un cabinet à curiosité, comme elle appelait ça, un magasin d'étrangetés pour courtisans d'occulte et de plaisirs pervers.
–          Tiens donc.
–          C'était ma cause. La cause et son effet. L'élément déclencheur si tu préfères.
–          Tu joues là ?
–          Tout à fait ! Une dernière fois la partition de ma vie pour un imbécile. C'est pour ça qu'on appelle ça de la comédie. Qu'est-ce que tu croyais ?
–          Je crois que les comédies romantiques me font chier.
–          En toute logique.
–          Cause toujours !
–         Je disais donc… L'élément déclencheur qui mène au nœud dramatique. Le feu sacré !  « La musique doit faire jaillir du feu de l'esprit de l'homme. » disait…
–          Johnny Halliday ?
–          Non bécassot ! Ludwig Von Beethoven !
–          Quand je l'ai vu… J'ai su !  « La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l'âme chercher le chagrin qui nous dévore. » Tu sais de qui c'est ça nigaud !
–          Tu me saoules !
–          Stendhal. On rejouait « le rouge et le noir ». Une fois encore.
–          Tu ma saoules et tu vois, grâce à toi, je viens de me rendre compte. Pour moi, la vie c'était de l'alcool. Et je crois bien que je boirais à m'en tuer si je pouvais.
–          Tu serais incapable de le saisir si on te le mettait sous le nez ton galopin d'espoir, ta gorgée d'illusion ! Les yeux grands ouverts de ne rien voir, le chien fou… De l'opéra avec une voix de cigarette. Tu peux imaginer ça !
–          Une cigarette, ça oui très bien !
–          D'une rareté séculaire ! On en était tous bleu au repère. Tous les musiciens ne jouaient que pour elle et moi je contais ! J'écrivais notre histoire ! Et des nouvelles lois naissaient en moi, des poils poussaient partout sur mon visage. Je n'avais jamais été aussi barbu !
–          Super !
–          J'avais dans le cœur et dans les couilles un mustang noire. Elle ronronnait tout près de moi et elle avait un nom. Lisbeth ! Elle répondait à ce nom-là mais ça ne servait à rien de l'appeler. C'est elle qui vous trouvait. Depuis le temps que je la cherchais. Et c'était tant mieux. Les vraies femmes savent mieux que les hommes ! Et pas seulement ce qu'elles veulent. Celle-là avait un sixième sens, comme nous tous au repère mais chez elle, c'était divin. Alors qu'on cherchait tous à rouler notre bosse, à comprendre notre musique… 
–          Elle était la musique.
–          Elle m'a trouvé et je l'ai découverte un peu chaque jour comme le sot qui essaye de lever le rideau, découvrant ainsi ma propre curiosité, ma bête !
–          Faut pas te miner, c'est bientôt fini !
–          Pourtant je la connaissais. Passe-moi l'expression…
–          On n'est plus à une près.
–         « Comme si je l'avais faite ! » Et c'était précisément le cas. Je l'ai conçue ! Elle était une partie de moi. De la même étoile, du même éther, du même son, de la même explosion.
–          Une supernova ?
–          Une symphonie !
–          Vous deviez foutre les boules à deux.
–          Elle était de cet opium dont j'ai halluciné ma vie. Ludwig disait que « La musique rend la vie plus belle. » Mais c'est sourd qu'il aurait dû dire. De la même manière que la vie rend aveugle. Elle était de cette croyance, de cette aberration, de cette utopie au bord des yeux que le monde peut être différent. Elle s'illusionnait ! Et je l'ai tuée pour lui prouver !
–          C'est réussi.
–          J'ai réussi !
–          Mais personne n'en doute !
–          Le monde est ce qu'il est et surtout ce qu'il devient. Comme le présent est toujours en devenir.
–          Fatalement !
–          Simplement ! Duke Ellington avait raison ! Il n'y a que deux types de musique et la mauvaise est en train de l'emporter. Ils t'ont eu à l'instant même où tu l'as buttée, comme nous tous ici.
–           C'est-à-dire ?
–          Pas plus vite que la musique mon coco ! Elle hurlait et elle grognait ! Elle n'était pas d'accord et ce de manière générale ! Elle voulait changer le monde. Ou le conquérir ? Je n'ai jamais su. Sentir l'univers trembler pour elle. Elle voulait qu'on soit amoureux comme des enfants et faire l'amour dans des pouponnières d'étoiles. Elle voulait partir au Brésil, dans le Nord-Est, là où la vie a perdu prise, n'a pas d'emprise, aucune valeur. Elle voulait m'y emmener « pour baiser », qu'elle disait.
–          Et t'a dû dire non, bête comme t'es.
–          Je lui ai parlé du serpent et de l'aigle. De cette mutation qui m'attendait, qui s'ordonnait à moi.
–          Hé ben, le vol part bientôt rassure-toi.
–          Elle disait que nous étions des loups mais que là-bas, je redeviendrai un aigle. Un aigle royal et qu'elle serait un mustang noir. Elle hésitait entre la jument et la voiture.
–          Qu'est-ce que vous preniez ?
–          Elle se serait occupée de tout ! Elle aurait tout ritualisé, avec plein de plumes, la lune bien centrée, entre la constellation du dragon et celle du lion. On aurait écrit des poèmes éphémères qu'on se serait empressé de fumer. On aurait mangé du cactus, le peyote, la mescaline, on aurait oublié les mots…
–          Par hommage pour elle, tu pourrais essayer de la fermer deux secondes ?
–          On aurait oublié les mots, le nom des choses, des gens, la vie des autres pour se concentrer sur la nôtre, sur la vie ! Une sonate exotique !
–          C'est merveilleux ! Mais si tu dois continuer à parler, explique-moi plutôt pourquoi tu l'as tuée.
–          Dali est Dali et il est lié depuis toujours et à jamais au Portlligat. Ce qui veut d'ailleurs dire port-lié. Nous sommes liés !
–          Et merde ! Résume !
–          Elle était de partout et d'ailleurs ! J'étais de nulle part et à elle. Juste à elle ! Juste pour elle ! Contre elle, en elle, dans ses yeux, dans sa bouche immense, malade à tuer. Dans sa caverne, son antre, son refuge, sa volonté et sa provenance. Dans sa vie ! Dans son sexe, j'ai entendu l'origine du monde, un petit concerto en La majeur, une musique pour aimer deux fois.
–          L'homme qui parlait aux chattes des filles.
–          Elle était toutes les femmes ! Et je la trompais avec elle-même. C'était une actrice en plus d'une cantatrice ! Un personnage en perpétuelle mue, une peau de serpent, un serpent blanc, une peau marmoréenne, en constant renouvellement, deux yeux verts reptiliens, sortis du fond des âges qui voyaient juste, te mettaient à nu et allaient te faire l'amour à ton enfance. Il lui fallait toujours plus d'air pour ses immenses poumons. Son majestueux balcon ! Ses cheveux noirs toujours en train de gifler l'air à force de changer d'avis. Elle grognait et on baissait les yeux ! Elle vous dévorait de sa musique, de sa vérité !
–          Une femme, quoi !
–          Elle hurlait presque autant qu'elle chantait ! Elle hululait !
–          Elle quoi ?
–          Elle poussait des cris de loups !
–          À la pleine lune ?
–          À la lune !
–          Une louve-garou ?
–          Tant d'animaux ! Tous dangereux ! Des animaux au sang bien rouge, du Tom Waits dans les veines, qui donnait à sa peau, cet éclat surnaturel à toute heure de la nuit et cette rage dans tout le corps, cette fulgurante beauté aussi insaisissable qu'une seconde, cette véhémence à vouloir sortir d'elle-même, ce petit supplément d'âme que chantait l'autre poupée de cire qui débordait.  C'était tout ça qu'elle exprimait sans même ouvrir la bouche ! Alors quand sa gueule se déployait, à en engouffrer l'univers, les galaxies, les planètes comme des petits pois et les gens, les gens… mes os se tordaient.  Big Bang ! Elle recrachait tout ça ! Les quatre saisons arrosées d'essence … Andando ! Crescendo ! Elle incendiait ce fond de cave, la contrée du cerveau de tous les amateurs d'ivresses illégales. Et dans cette croyance noyée, à travers la fumée, on voyait la face cachée de la lune. 
–          Hé ben, j'aurais aimé la rencontrer !
–          Tu l'aurais aimé salaud !
–          Qu'est-ce que j'en sais ? Je sais que je ne me serais pas privé pour tes beaux yeux ou pour la diarrhée qui te sort de la bouche !
–          Personne n'aurait pu résister à une union si sensuelle du bien et du mal. Les deux serpents, le yin et le yang, les deux branches de l'ADN originel. La fractale de l'univers, le code génétique de Dieu !
–          Et toi, t'as été la butter ? T'as pas peur ? Tu commences à me foutre les boules !
–          Qu'est-ce que tu croyais ?
–          Rien ! Je ne crois rien ! Mais je suis certain que t'es un malade et qu'on sera tous délivré d'un beau-parleur !
–          Bien sûr que cette réincarnation de Dieu, ce bouddha dans un corps de femme ne pourrait tomber amoureuse que du diable !
–          T'es le diable ? Allez bon !
–          Le monde ne tourne que comme ça !
–          Hé ben quelle année ! On avait une réincarnation de dieu et une du diable. Personne ne s'en est aperçu et maintenant les deux s'en vont. Quelle année !
–          On ne voit jamais le diable mais ceux qui l'ont vu elle, s'en seront aperçu. Ils auront cru, ne serait-ce qu'un millième de seconde, ça les aura traversé, illuminé ! Ils auront eu ce coup de foudre que tout le monde avait pour elle ! Cet amour en électrochoc ! Tu la vois maintenant l'apothéose ? L'apocalypse ?
–          Non, ce que je vois, c'est que de ton côté, t'as réussi ton coup ! Tu l'as tuée et tu nous en as tous privé !
–          Exactement ! Tout le monde l'aimait ! Tu sais ce que c'est que d'aimer quelqu'un que tout le monde aime ?
–          Ce n'est pas croire en Dieu ?
–          T'es moins con que t'en as l'air ? C'est ça !
–          Alors, tu voulais consciemment butter Dieu, espèce de fou ?
–          C'est ce que j'ai fait ! Maintenant le monde court, sprint à sa perte ! L'apothéose !
–          L'apocalypse, oui !
–          L'apocalypse, oui ! C'est ta première note juste ! Je te parle de musique ! De LA MUSIQUE !
–          Oui, la musique ?
–          La musique, le grand final ! Les autres nœuds dénominateurs majeurs du scénario sont déjà derrière nous à ce stade-ci ! Tout le monde la voulait, tout le monde la désirait ! En voulant faire l'ange, elle faisait la bête ! En voulant nous montrer ce qu'il y avait de plus beau et ce qu'on en faisait ! Nous éclairer ! Elle nous aveuglait de jalousie, d'envie, de nos plus bas instincts ! J'avais mon alibi ! Un alibi biblique : Délivre-nous du mal ! »
–          La Bible, maintenant !
–          Bien content qu'elle ait choisi une réincarnation moins catholique, ce coup-ci.
–          On est tous content pour toi. Mais cet alibi ?
–          Mon alibi, c'est vous qui me l'avez donné. C'est le monde qui de son conscient l'a donné. Vous avez donné au diable son alibi pour tuer Dieu !
–          Mais oui bien sûr…
–          Vous avez provoqué votre propre perte. Le messie était là, sous vos yeux et vous vouliez la crucifier, l'embrocher sur vos queues malsaines ! Vous repentir en elle ! Qu'elle s'occupe de vos maux avinés et de tous vos péchés.
–          Et au lieu de ça ?
–          Elle avait envie de baiser avec un vrai flingue, une bête, un nain, quelque chose de bien moche d'immonde, du mal à l'état pur ! Pour vous montrer ce que c'était que d'aimer !
–          Qui cherche trouve ! Elle t'a trouvé toi !
–          Hé oui, comme moi, je t'ai trouvé toi !
–          Tu délires mon pauvre mec !
–          Non pas du tout ! J'ai trouvé le pauvre idiot par essence pour lui raconter mon histoire, pour être certain que cette histoire tombe aux oubliettes, reste bien dans cette geôle.
–          Rien du tout, je m'en fous de tes conneries !
–          Exactement ! La vacuité même ! Un vacuum ! Un grand coup de chasse dans les toilettes, je te l'avais dit. De la crotte ! C'est maintenant, la crise, le climax ! Comment vas-tu sortir d'ici pour sauver le monde et leur dire ?
–          Je ne vais rien dire à personne ! Je vais purger ma peine ici et t'oublier.
–          Ah non, tu dois créer le suspense ! Tu dois donner l'espoir, maintenant qu'on sait que tu vas sortir, tu dois promettre d'y penser !  En provoquant votre perte, je vous ai sauvé ! C'est moi le messie ! Vous étiez condamnés !
–          Tu rêves pour que j'aille te faire ta pub !
–          La publicité, exactement ! C'est ça votre mal à tous ! Vous êtes condamnés et toi, maitre couillon, t'as la clé en main et tu vas refermer la porte sur l'existence ! Sur tout avenir ! Tu es génial ! Tu es mieux que tout ce que j'avais pu espérer ! Et tu vas rire !
–          Je ris déjà !
–          J'ai prié pour que tu viennes. Tu m'étais apparu, exactement comme dans un beau petit spot publicitaire. Vous cherchez un idiot de première catégorie ? Vous regardez la Star'Ac, The Voice, les anges de la télé-réalité mais vous n'êtes pas encore satisfait. Non mais Allô ? Appelez-nous, nous avons des idiots de toute première catégorie, de l'imbécile chantant et de la grognasse radotant mieux qu'à la télé, du vrai, du pur débile, de l'égoïste à n'avoir jamais pris une leçon de sa vie. Nous l'avons.
–          Et ça c'est moi ?
–          J'ai chanté, j'ai dansé, j'ai loué tous les maux de cette planète pour que tu viennes à moi, et t'es là pour le grand final ! T'es le coup de cymbale ! Tu sonnes faux, tu l'as dit. En plus tu es creux. Tu es le tambour de l'apocalypse !
–          Je ne jouerai rien pour toi !
–          Mais oui, c'est ça qui est merveilleux ! Tous les mouvements depuis le début de l'Histoire de l'homme ont un jour connu leur déclin sauf un. La bêtise. Mais la bêtise, ce n'est pas un mouvement, c'est à peine une note ! Mais comme vous êtes plusieurs, des milliards tout de même. Vous vous êtes propagés, reproduits à une vitesse assourdissante, dans un bruit, une cacophonie que même le chaos n'avait pas soupçonnée. Il faut qu'on vous félicite. Le moins qu'on puisse dire, c'est que vous avez de l'imagination !
–          Merci !
–          Mais quelle bêtise chez vous, l'imagination ! Pas foutu de penser pour ça ! Non, votre imagination s'est confortablement installée dans le sillage de la fainéantise. Quand vous n'êtes pas occupés à vous noyer dans vos vices, alcoolisme, drogue et autres beaux morceaux.
–          Toi, tu vas me faire croire que tu ne bois pas ?! T'es complètement allumé !
–          Suiveur, suivant, même avec du mimétisme, un don de l'évolution, vous avez réussi à faire du pathétique. Vous avez bien essayé le communisme mais ça aurait été trop mélodieux que de bien s'entendre, de s'entre-aider, de s'aimer ! C'est là, qu'on l'a notre mouvement. Andando ! Notre fabuleux crescendo, hypnotique, fascinant de stupidité. Comment auriez-vous pu résister ? C'était dans vos gênes. L'individualisme ! Votre petite survie personnelle va entraîner votre perte universelle !
–          T'inquiète, ils vont bien te soigner ! C'est bientôt fini.
–          Je sais ! L'apothéose. Le grand final ! Mais pour que tu comprennes, il faut que je t'explique l'apogée. À ne pas confondre avec l'apothéose.
–          Ah non, hein !
–          L'apogée, c'est ce sommet du milieu de l'histoire, la voûte de l'église ! L'individualisme, mouvement ma foi fort solitaire, mineur finit par germer, pousser comme une jungle de mauvaise herbe pour finir par trouver son tuteur pour croître : le capitalisme ! Là, vous épatez tout le monde ! La télévision ! Quel brio ! L'internet, l'inconscient collectif matérialisé en fibres optiques. Et même le rêve ! Bravo ! Votre appétit n'a d'égal que votre voyeurisme !
–          C'est toi qui vas bouffer et qu'on va se faire un plaisir de regarder !
–          Exactement ! T'as tout compris ! Et, à partir de là, tout était en place ! Avec votre exhibitionnisme exponentiel et votre voyeurisme, la musique se jouait d'elle-même comme sur quatre roues. A toute allure !
–          C'est le cycle de la vie !
–          Mais oui mon bonhomme ! Un enregistrement tellement prévisible et d'une si mauvaise qualité, pourtant ce n'est pas faute d'avoir mis de la bonne volonté dans toutes ces technologies. En voulant vous libérer, vous vous êtes enfermés !
–          Regarde-toi !
–          En voulant-vous libérer du temps et de l'espace, l'un et l'autre vous ont mangé. Oh mon beau Moloch, toi et ton immense bouche !
–          T'avais pas dit qu'elle s'appelait Lisbeth ?
–          Tais-toi ! Pauvre fou ! Tu n'es pas digne de prononcer son nom !
–          Je vous emmerde toi et ta Lisbeth ! Et ton Moloch en prime !
–          Moloch, c'est la bouche qui vous dévore et pourtant c'est la vôtre ! C'est votre désir, ce sont vos craintes ! Tu sais ce que c'est qu'une phrase Tatin ?
–          Ça avoir avec la tarte ?
–          Le désir craint sa réalisation et la crainte désire sa réalisation. C'est ça une phrase Tatin ! Une phrase renversable.
–          Ça me fait une belle jambe !
–          Vous vouliez vous libérer… Alors que vous naissiez libres ! C'est vous-mêmes qui vous êtes claquemurés !
–          Tu parles !
–          Il n'y avait qu'un seul moyen d'échapper au temps. Et vous aviez tous cette clé en vous mais ça aurait été trop dur que d'être tolérant pour pouvoir l'utiliser ! Le seul moyen d'échapper au temps, c'était de l'accepter. Et c'était valable pour tout ! Pour l'autre, pour l'ailleurs qui vous faisait tellement envie mais qui devient l'ici dès que vous y posez le pied !
–          Calme-toi petit père ! Tu deviens tout rouge !
–          Il ne suffisait plus que de trouver l'objet de votre soif, le culte de la liberté, l'objet à votre image, votre image, qui vous isolerait pour de bon. Et comme vous croyez que la liberté à un prix, vous payerez pour. Un téléphone sans fil, dont le fil pourtant existant mais invisible, votre envie, votre fainéantise, se resserre toujours plus sur vos vies, sur vos pauvres individualités, en voulant vous faciliter la vie, en voulant libérer la femme soi-disant, en voulant vous libérer de toutes vos tâches, du travail-même ! Qu'est-ce que vous auriez foutu sans travail ?
–          Ben, il y a des tonnes de gens qui y arrivent très bien !
–          Vous vouliez qu'elle ait un prix. Alors elle en a un. Votre liberté vous a coûté les autres ! Vu que …
–          La liberté s'arrête là où commence celle des autres.
–          C'est ton avocat qui te l'a dit ?
–          Non !
–          Normal alors qu'elle termine tous ensemble !
–          De là, où je me trouve, je m'en fous !
–          Vous ne vous plaindrez pas dans ce cas, qu'on vous retire votre liberté, si elle vous incombe si peu.
–          Non !
–          C'est ce qu'il s'est passé ! C'est ça le grand final ! L'apothéose va rimer avec apocalypse !
–          Et l'apogée ?
–          L'apogée, c'est quand je l'ai tuée sous vos yeux ! Sous vos yeux avides et insensibles !
–          Qu'est-ce que tu racontes ?
–          Un téléphone, c'est tout ce dont j'ai eu besoin pour filmer et mettre en ligne le meurtre de votre Dieu. J'ai appelé ça « La strangulation d'un ange » ! Je voulais un titre simple à votre image !
–          C'est trop aimable !
–          Ma catin bien aimée ! Des lustres, qu'on se courre après comme Lune et Soleil. Avant-même qu'il y ait des soleils et des lunes on se chamaillait déjà !
–          Et à quoi, tu vas jouer maintenant ?
–          La même chose jusqu'au grand final ! Mais là, j'ai sérieusement pris l'avantage !  Depuis le temps !
–          Ben oui !
–          Mais je dois dire que ce coup-ci, je suis vraiment fier ! Je n'avais plus fait aussi médiatique depuis 2000 ans. Je l'ai tuée sous vos yeux. Elle, qui était un électrochoc pour tous ceux qui croisaient son chemin, elle sera ravie de la mort que je lui ai réservée ! La vidéo va en causer du dégât chez les malades et comme vous l'êtes déjà tous !
–          On la retirera du web !
–          C'est trop tard ! Et puis, il y a la nouvelle qui arrive !
–          Laquelle ?
–          Ah, ils ne t'ont pas dit ?
–          À quoi tu joues encore, espèce de cinglé ?
–          À rien ! Calme-toi petit père! T'es tout rouge !
–          T'arriveras pas à me butter !
–           Non, tu le feras toi-même !
–          C'est ce qu'on verra !
–          Oui et en attendant, ils vont faire une belle vidéo de mon électrocution ! Tu vois, tu t'inquiétais pour rien.
–          Ta gueule !
–          J'en ai bientôt fini mais maintenant, t'as compris et ça c'est le pire pour quelqu'un comme toi !
–          Qu'est-ce que j'ai compris ?
–          T'as compris que l'apogée est l'apothéose et l'apocalypse ! Je vous tue comme vous me tuez avec une secousse ! Avec de l'électricité. Votre propre énergie mal utilisée.
–          Tu rêves !
–          Moi bien, mais pour vous c'est fini ! Je suis désolé qu'on n'ait pas eu le temps de faire les présentations mais je pense que ces messieurs sont venus me chercher pour m'emmener au paradis !
–          Attends ! Qu'est-ce qu'il se serait passé si vous vous étiez aimés ?
–          Oh, s'il-te-plaît ! On s'aime ! C'est un jeu !
–          Et pourquoi on s'est tous fait prendre à l'instant-même où l'on commettait nos crimes ?
–          La délation ! C'est le dernier mouvement de ce concerto. Et il est en marche ! L'individualisme a donné le capitalisme et ce dernier la technologie. Et sans cette technologie, l'individualisme n'aurait jamais pu prospérer aussi vite et aussi bien. Vous avez voulu mettre le holà et vous avez eu bien raison. Parce que maintenant vos droits sont vos devoirs ! Vous êtes les esclaves de vos soi-disant libertés. Il ne vous reste plus que la délation!  Vous êtes vos propres gardiens dorénavant.
-            Il nous reste la liberté d'abandonner la garde.
-            Laisse-moi rire ! Ou plutôt devrais-je dire, laisse mon âme chanter.  

 

Signaler ce texte