La visite
Pierre Gravagna
Ils sont l'une face à l'autre. Les yeux dans la peau, immobiles et muets, indifférents à tout ce qui n'est pas leurs chairs.
Lui tout en muscles tatoués. Même s'il est grand et puissant, son uniforme gris paraît bien trop large. Sur son visage demeure cet étonnant soupçon de jeunesse, ce rare privilège qui ne disparait jamais.
Elle, fausse blonde, en robe légère taillée dans un lin blanc. Une toile si fine qu'elle aurait pu gagner un concours de transparence. Mais qui lui colle à la peau partout où le vent ocre de juillet la fait transpirer.
Lui, les cheveux rasés mais une barbe vieille de trois jours d'attente, d'impatience et d'excitation.
Un brin de dentelle noire déborde de son sac-à-main. Avant d'entrer, discrètement, elle a fait sauter son soutien-gorge vite caché dans son sac. Pas question qu'un autre que lui puisse imaginer...
Lui imite les bodybuilders professionnels. Même si l'on aperçoit seulement ses bras et un large cou solide, on devine que tout son corps est décoré d'une huile essentielle. S'il était nu, il brillerait comme une statue de marbre un soir d'orage quand l'éclair tombe tout près.
Elle sait le soyeux de sa peau, imagine déjà les premiers échanges de liquides qui vont avec les jeux de l'amour : la sueur et la cyprine, la salive et la préjute, la salive et la sueur, la salive et la cyprine. Les larmes aussi dont la salive goûte le sel, le goût âpre du sang quand la morsure de l'amour enflamme le corps tout entier.
Lui se souvient des soubresauts qui l'agitent dès qu'il appose ses larges mains sur l'immensité de sa peau, de son chant de jouissance, un peu comme un rire d'enfant. Depuis bientôt 7 années et six mois, il se souvient.
Une fois par mois, ils sont l'un face à l'autre, assis de part et d'autre d'une vitre blindée. Lui a posé sa main droite sur la vitre, elle a posé sa main gauche au même endroit. Là où le verre incassable semble fondre.
S'il existe un être qui peut voir la flamme de l'amour, il crierait à l'incendie, évoquerait un volcan en fusion, parlerait du soleil des premiers jours.
Tant que dure la visite, ils restent ainsi, les yeux dans la peau, immobiles et muets, indifférents à tout ce qui n'est pas leur chair.
Sujet original, approche bien menée, manque un poil d'érotisme mais c'est très méritoire tout d'même. Je vote!
· Il y a plus de 9 ans ·arthur-roubignolle